On ne présente plus Les Ateliers Vortex, espace de création et de partage d’art contemporain à Dijon. C’est notamment un espace de résidence, qu’ils offrent chaque été à un artiste. Cette année, l’artiste résidente, Anaïs Gauthier, propose « Opération Stase » du 8 septembre au 4 novembre. Les thèmes du soin, du corps, du mouvement ou encore de l’eau se développent sous nos yeux dans l’espace physique des Ateliers. Anaïs Gauthier nous a présenté son exposition et l’intimité de son travail dans une visite guidé.

Beaucoup d’éléments viennent éveiller les sens alors que l’on rentre dans les Ateliers. Les oreilles en alerte, car un bruit d’abord indescriptible noie le reste. Une machinerie ? Un bruit mécanique ? On distingue déjà une forme qui semble tombée du ciel. On est guidé dans cette véritable salle d’attente, où déjà cette forme nous garde alerte, avide d’en découvrir plus à mesure qu’elle pénètre dans notre champ de vision puis disparait à nouveau, dans un mouvement lent et motorisé.

Enfin, on monte les escaliers qui nous emmènent dans l’exposition. Tout est blanc, immaculé, aseptisé mais toujours rassurant, doux. Directement, on sent la connexion profonde entre l’espace et les formes qui y sont disposées. Comme s’ils ne faisaient qu’un, que tout ce qui se trouve dans cette pièce y appartenait comme un puzzle complet. La charpente en métal est habillée de bâches claires et floues, les formes se découpent en contraste avec les murs blancs. De part et d’autre de ces murs précaires formés par cette matière fluide, les expérimentations sont accrochées au plafond. Des formes, mêlant aspect organique et industriel. Des sortes de poumons, des organes branchés à l’espace. Une piscine occupe une partie de l’espace, le plâtre se glisse dans cette eau contenue. Les fibres organiques en mouvement continu semblent faire la liaison entre ces organes. De chaque côté de la pièce, la disposition des bassins rappelle celle d’un hammam, de bains-douches. Chaque touche de couleurs est hypnotisante. Le rouge-rosé semble se détacher des formes et devenir un motif à part entière. La couleur s’inscrit comme un rappel de l’organique, une impression de vaisseaux sanguins en contraste avec les fioles qui imprègnent les productions d’une aura scientifique, de transformation de l’organique en chimique. Le carrelage bleue nous ferait presque sentir l’odeur du chlore. La lumière naturelle traverse les fenêtres et vient illuminer la pièce avec une atmosphère chaleureuse.

Lorsque, remis de nos émotions, l’on se tourne enfin vers l’artiste, elle nous livre une part de son travail. L’expérience de la résidence, l’envie de s’imbriquer profondément dans le lieu, les thématiques qui l’ont amené a cette présentation finale. « J’ai voulu que quand on découvre l’espace, on ait l’impression qu’en terme d’architecture, il y ait toujours eu ces éléments.» C’est d’abord le soin et l’espace. Un travail qui relie l’espace ouvert et fermé avec le corps, morcelé et découvert. « Ici il y avait tout un questionnement de comment le corps est contenu, comment il arrive a quand même déborder du contenant. Et là, l’eau, elle devait être contenue, finalement elle a débordé…». C’est aussi l’organique et le mécanique, qui ensemble forment quelque chose de nouveau, d’hybride presque. C’est cet angle qui nous a le plus marqué. La façon dont l’artiste réfléchi la mécanique avec, ou plutôt dans le processus artistique.

Ce n’est pas la première fois qu’Anaïs Gauthier expérimente les installations motorisées, bien au contraire. Elle nous rapporte sa fascination pour l’intervention de la mécanique dans ses installations, les idées que ça lui a donné. Car c’est l’idée de la maintenance qui semble l’avoir amenée a ces thématiques présentes du soin, de la transformation. Après tout, « une motorisation ça a toujours besoin à un moment d’un humain qui vient faire de l’entretien », et au-delà de ça, ça prend une dimension dans son monde artistique : «  il y a presque quelque chose de performatif, à venir comme ça réparer les petits bugs… ».

Dans ses expérimentations sur les larges thèmes du soin, du corps, de la vie, on remarque l’intention de l’artiste à insuffler la vie dans ses formes et ses idées. Elle nous parle elle-même de l’idée de venir « perfuser » les formes. C’est aussi par ces branchements que passe la vie, l’impression de respiration des formes et de communication dans l’espace. Il y a l’idée de « prendre vie » et c’est en cela que nous y avons vu le lien indéfectible avec la motorisation. Parce que c’est aussi cette motorisation qui va permettre à la forme de se mettre en mouvement, de prendre vie et ne plus être inerte. La motorisation amène avec elle une dimension immersive de cette exposition, qui ne nous laisse pas simplement spectateur passif.

«  Je suis souvent hyper touchée quand la première fois, elle – la forme, ndlr – prend vie par un mouvement mécanisé, qui est souvent irrégulier ».

Anaïs Gauthier

La beauté qui réside dans la mécanisation des installations, c’est aussi la beauté de l’imparfait, du détail qui va buguer, ne pas tout à fait fonctionner et va refaire intervenir l’artiste après son point final. C’est intéressant de voir la nécessité de la présence de l’artiste pour, littéralement, prendre soin de son œuvre. Elle ne peut se contenter de l’exposer simplement sans regarder derrière elle, et Anaïs Gauthier prend ce rôle à cœur. Pour elle, ce rôle précaire de mécanicienne vient s’intégrer dans son travail d’artiste, et on voit un attachement particulier a ces mécanismes fragiles, tout aussi fragiles que les formes elles-mêmes. « Des installations comme ça, ça demande quand même beaucoup d’adaptabilité. Tu dois souvent bricoler des solutions magiques, (…) il y a quelque chose d’une relation qui est entretenue tout au long de l’exposition. Je trouve ça hyper excitant, j’adore que ça se passe comme ça même si en même temps c’est éprouvant. »

« Opération Stase », c’est une appréhension des formes et de l’espace qui vous offre diverses pistes de lectures et de compréhension des expérimentations de leur autrice, Anaïs Gauthier. Si nous avons choisi de nous intéresser au côté mécanique de l’exposition, vous aurez encore beaucoup à découvrir au sein de l’espace d’exposition et ce jusqu’au 4 novembre aux Ateliers Vortex à Dijon. Une circulation libre dans un espace à la fois clôt mais toujours très ouvert sur le monde, sur les formes qui s’y rassemblent. Une magnifique exposition à découvrir dès que possible du mercredi au samedi de 14h à 18h30 au 71-73 rue des Rotondes, 21000 Dijon.

Texte : Emma Sko // Photos : Aydan David