Quand un groupe nommé Meule débarque en BFC, l’on pourrait être tenté de déballer l’artillerie lourde du calembour fromager. On a rencontré le trio tourangeau à la Poudrière de Belfort, juste avant leur pénultième concert de l’année, pour leur parler de leur rock si atypique dans la scène française actuelle. Entre leur relecture du rock progressif allemand des années 70 et leurs prestations scéniques où un gigantesque synthé modulaire surplombe deux batteries se faisant face, il y aurait de quoi en faire tout un …
Grosse année 2023 où vous aurez enchaîné les dates, sorti un EP et assuré la première partie de Zaho de Sagazan à l’Olympia. Ça va, pas trop rincé ?
Dorris (batterie) : On est bien KO, ça va faire du bien un peu de vacances. On a fait quasi 70 dates. L’Olympia, ça a été une journée hyper dense et un peu stressante. C’est passé à 100 à l’heure, on a réalisé que le lendemain. On connaît Zaho depuis quelque temps maintenant, on s’est retrouvés sur plusieurs festivals en même temps, on a bien sympathisé, mais on appréhendait un peu la réaction de son public. Le truc électro-pop chanté en français, ce n’est pas vraiment le style de Meule, mais ça s’est très bien passé. On a pu jouer 40 minutes dans une salle complète et mythique. Il y a un côté rêve de gosse qui se réalise.
Valentin (guitare et synthé modulaire) : Après, le repos va être de courte durée. On fait un break pour les fêtes et on repart en début d’année prochaine avec une quarantaine de dates déjà bookées jusqu’à octobre pour l’instant. On prépare notre tournée à l’étranger, en Angleterre notamment. C’est une aventure qui nous fait envie, notre musique s’y prête, nos influences viennent en partie de là-bas donc on veut faire ça intelligemment. Et puis, on veut prendre le temps de composer aussi pour un album en 2025.
Vous définissez votre style comme du krautrock / garage. Des trucs déjà très underground à leur époque et qui le sont certainement encore plus aujourd’hui. Comment on tombe là-dedans au troisième millénaire ?
Léo (batterie et chant): Dès le départ, on voulait mélanger rock et machines donc ça a été assez logique de se référencer au krautrock. Ça faisait partie de nos influences communes : Can, Neu!, Kraftwerk et les premiers King Gizzard & The Lizard Wizard qui comportaient clairement des rythmiques de ce type-là.
Vous citez très régulièrement King Gizzard & The Lizard Wizard dans vos influences. Est-ce que, comme eux, vous vous sentiriez de partir dans toutes les directions ; sortir un album jazzy puis un autre de trash métal ?
Léo : C’est un groupe qu’on écoute tous depuis 6 ou 7 ans, en essayant d’écouter les 5 albums qu’ils sortent par an sans être forcément fans de tout, mais en restant admiratifs de leur manière de faire : les giga tournées, la double batterie, le mélange des instrus traditionnels et électroniques… Même si on n’a pas exactement la même manière de faire. Chez eux, il y a le leader Stu Mackenzie qui apprend un instrument par an et qui donne l’inspiration et la direction des projets. Comme un exercice de style, ils écrivent un morceau qui serait un schéma, ils lui font plein de petits sœurs, de petits frères et hop ça fait un album. Nous, on n’est pas forcément dans ce schéma d’écriture là. Plutôt que plusieurs albums avec des styles différents, on aurait plus facilement un même album avec plein de styles différents à l’intérieur. On sortirait d’un coup un album de trash jazz métal (rires).
Dans une interview, vous employez le terme de « transe éveillée » pour évoquer votre musique en opposition à « la transe qui endort ». Il y aurait une bonne et une mauvaise transe ? C’est quoi la différence ?
Léo : Les types de substances, déjà ! (rires) On n’est pas très fans de ces trucs endormants où tu as un kick qui dure 20 minutes et dans lequel tu finis par t’oublier. On va se le permettre, mais pas sur un set entier. On aime casser les tempos, changer d’univers en cours de morceau et forcer les gens à rester éveillés.
Val : On parle de transe éveillée pour décrire ce flux qu’il y a dans notre musique, plein de reliefs et d’informations où le spectateur peut aller choper plein d’informations et avoir une réflexion active sur ce qui se passe. Il y a eu une période où je détestais la techno pour des raisons quasi-politiques, où j’avais l’impression que ce kick sur tous les temps était fait pour endormir les masses. Mais j’ai changé d’avis depuis (rires). Par contre, c’est une conversation qu’on a de plus en plus entre nous, le fait de ne plus vouloir jouer en dernier ou hyper tard pendant des soirées ou des festivals. Notre zik demande une certaine attention…
Est-ce que le krautrock ne serait pas ce pont rêvé pour unifier les fans de rock et de techno ? Est-ce que vous percevez dans votre public que les gens viennent d’horizons différents ?
Dorris : Oui, on distribue des questionnaires à l’entrée pour nos statistiques (rires). On a l’impression de parler à beaucoup de gens. Meule a ce truc un peu tout-terrain : on peut aussi bien se fondre dans un festival pop que jouer dans un fond de teufs. Il y a des endroits où on voit bien pourquoi on est programmés, d’autres un peu moins mais où on est finalement tout aussi agréablement surpris. Et en général, l’énergie du live convainc ceux qui auraient pu être sceptiques.
Léo : On est aussi à une époque où les publics peuvent se rencontrer. Les gens s’approprient le bazar à la hauteur de ce qu’ils écoutent habituellement. Il n’y a pas longtemps, un fan de kraut de la première heure est venu nous voir en nous disant « ce n’est pas vraiment du kraut ce que vous faites, c’est trop violent pour ça ». La puissance de certains morceaux nous disqualifie direct pour rentrer dans cette case, même si on en garde le côté ultra répétitif. Par contre, avec la techno, les gens acceptent plus facilement la répétition. Et c’est la répétition qui provoque la transe. Pour moi la pratique de la transe, elle n’est pas liée à un style en particulier. On peut la trouver partout.
L’artwork de votre EP Beau Red est complètement fou. Il y a une attention particulière prêtée aux visuels ? C’est déjà un premier pas vers la transe ?
Val : Carrément ! Au tout début du projet, Meule n’était pas forcément destiné à aller sur scène, c’était plus un laboratoire, une expérimentation de sons. La volonté était plus de faire exister l’univers à travers des objets, sur disque… donc dès le départ, on a associé différents graphistes pour créer des visuels qui accompagneraient notre musique. Un truc un peu à la Gorillaz où l’univers existe à côté. Pas avec un unique dessinateur comme eux, mais varier les artistes qui pourraient s’approprier la chose. Quand tu partages une identité graphique aux gens, ça leur permet aussi de se projeter quand ils écoutent ta musique. Et ça, ça nous intéresse plus que d’avoir nos tronches sur les pochettes d’albums.
Meule sera en concert à l’Antonnoir de Besac le 7 février prochain. Files-y voir.
Texte : Picon Rabane // Crédits photos : Stéphanie Durbic & Lucas Grux