On a rencontré Raphaël Thiéry à l’occasion de sa tournée des cinémas de Bourgogne pour la sortie du film L’homme d’argile d’Anaïs Tellenne. Un second premier rôle pour cet acteur originaire du Morvan. C’est assez récemment, en 2015, qu’il se consacre au cinéma, où ses apparitions sont de plus en plus remarquées, lui qui vient de la musique trad’. Un homme aux facettes multiples, qui se donne complètement dans cette dernière performance très personnelle au côté d’Emmanuelle Devos.
Le premier casting au cinéma, ça s’est fait comment, pourquoi ?
Moi j’ai une carrière un peu variée, parce que j’ai commencé par la musique en 86, en tant que musicien professionnel, joueur de cornemuse. J’ai monté plusieurs groupes, j’ai beaucoup tourné, pendant 25 ans, on a fait des centaines de concerts. Et puis j’ai rencontré un musicien qui avait créé un espèce de spectacle cabaret qu’on avait beaucoup tourné en Bourgogne. Puis à la fin on s’est retrouvé un peu tous les deux comme ça, et puis lui était très intéressé de faire du théâtre et puis moi aussi, par amour des textes, par amour des mots. Et donc on a convoqué un auteur-metteur en scène. Et c’est lui qui nous a mis le pied à l’étrier, qui nous a enseigné le théâtre. Et puis on avait l’habitude de me dire, « Raph, avec la tronche que t’as, tu devrais faire du cinéma ». Bah j’ai dis « oui bien sur ça va se passer comme ça, je vais appeler tous les réalisateurs français et ils vont me prendre tout de suite ». Et en réalité, j’avais un peu de temps et j’ai fouillé sur un site de casting un peu sauvage, et je suis tombé sur le casting pour le film d’Alain Guiraudie, qui est un grand réalisateur, et qui ne trouvait pas d’acteur pour un des personnages. Il avait pas trouvé dans le réseau des agences, donc ils ont décidé d’élargir un peu la proposition. Et puis moi je me suis dis « ça coûte rien », donc j’ai envoyé une photo et une petite bafouille, et ils m’ont demandé de venir. J’ai fais un casting, puis un essai avec le comédien principal, et c’est comme ça que j’ai commencé le cinéma en 2015, dans le film Rester vertical d’Alain Guiraudie, et qui nous a propulsé en sélection officielle à Cannes en 2016. Donc très étrange, t’as jamais tourné et tu te retrouves tout de suite sur les plus hautes marches du cinéma… c’était un moment assez curieux.
Cette gueule qui est la tienne, c’est une chance au cinéma en fait, non ?
Oui, bien que le physique ne suffit pas. Mais c’est vrai bien évidemment, le cinéma a besoin de physiques, de « tronches » on va pas se le cacher. Et c’est vrai que ça m’a aidé, avec toujours quand même la peur de tomber dans le piège où on va te confier que des rôles de taulard, de paysans bourru, de trucs où au bout d’un moment on a envie d’en sortir. Comme j’ai fais beaucoup de casting, je dis toujours au directrice que je suis aussi capable de jouer du romantique, capable de jouer un avocat etc… En tout cas je n’avais pas du tout envie de me retrouver enfermé dans ces personnages là.
C’est important pour toi de faire vivre la région ? Que L’homme d’argile soit tourné dans le Morvan ?
Ah oui, ça j’y tenais. La rencontre avec Anais Tellene, ça date de juste après Cannes, après 2016. Elle m’a vu dans le film et elle s’est dit « ce gars là, je veux le filmer absolument », et à cette époque là elle préparait le tournage de son premier court-métrage produit, et y’avait un tout petit rôle, un personnage pour qui il manquait un acteur et elle m’a appelé, on s’est rencontré, on a discuté et j’ai dis oui; Elle pensait que j’allais pas le faire (ce petit rôle) après avoir monté les marches à Cannes. Et c’est comme ça qu’on s’est rencontré, puis rapidement elle m’a confié un rôle principal dans un deuxième court-métrage, puis un autre court et après il faut passer au long. Le long, c’est venu d’une idée que je lui ai suggérée, elle est venue à la maison et a écrit pendant un mois. On a discuté beaucoup sur le scénario pendant qu’elle l’écrivait, tous les jours on allait marcher et je crois qu’elle s’est imprégnée de l’environnement, de l’univers autour de chez moi, et des gens, qui racontent le pays. Je suis très attaché au milieu rural et aussi très exigeant sur la manière dont on le traite, bien souvent il est traité par des gens qui ne le connaissent pas, qui ne le maitrisent pas, et ça devient très vite caricatural, stéréotypé… Alors que là, j’étais très heureux que ça se fasse, en plus connaissant tout autour de chez moi, c’était bien plus facile pour les repérages. Et, ça j’y suis très attaché, en plus en faisant travailler des gens de la région. Parce qu’on a un peu un cahier des charges là dessus quand on perçoit l’argent d’une région, c’est d’engager des locaux, ce qui est vraiment très bien.
On voit une très belle relation et alchimie se développer entre les personnages de Garance et de Raphaël, comment ça s’est passé sur le tournage, la rencontre avec Emmanuelle Devos ?
A la lecture du scénario, Anais nous avait invité, je n’avais jamais rencontré Emmanuelle. Et puis à la fin de cette lecture, je crois qu’Anais a entendu ce qu’elle voulait entendre, et bien que le film soit très peu bavard, on s’est dis « rendez-vous sur le plateau, on répète pas, on y va direct ». Et les premières prises avec Emmanuelle, y’a eu quelque chose comme une évidence, on s’est entendu très facilement parce que c’est quelqu’un qui est facile d’accès, qui donne beaucoup à jouer, qui fait jamais deux fois de suite la même chose – et c’est des façons de travailler que j’aime beaucoup – et puis je crois qu’on est rentré dans une confiance mutuelle. Y’a eu une grande sincérité.
Tu en parlais, le film a très peu de dialogue et tu t’exprimes surtout avec le corps, tu peux nous en parler un peu de cette relation ?
Ça c’est une façon de travailler d’Anaïs aussi, comme dans le film précédent de Pietro Marcello j’avais retiré beaucoup de dialogue aussi (en concertation avec le réalisateur) parce que je pense que les plus jolis dialogues souvent au cinéma sont les silences. Et je crois que quand tu as compris comment fonctionne un tournage, ou se place la caméra, plutôt que de le dire avec des mots tu le dis avec ce que tu es, ce que tu as, ce que tu ressens, avec les yeux… un regard bien placé qui en dis long souvent, avec le corps. Et puis je sais que ces gens là ont envie de filmer mon corps aussi, donc il ne faut pas que ce soit qu’un objet, il faut que ce soit quelque chose qui raconte.
Dans le film le personnage de Raphaël va se révéler via l’artiste (Garance) et l’art (la statue) mais aussi par sa propre pratique artistique avec les très belles scènes de cornemuse. C’est une vision que tu partages dans la vie, cette découverte de soi grâce aux pratiques artistiques ?
Oui et je crois que c’est quelque chose de très personnel pour moi. Ce personnage est très proche de moi, puisque je suis moi-même borgne, jusque dans les années 2000 j’avais un oeil complètement atrophié donc je n’ai une prothèse que depuis 20 ans, et quand j’étais jeune ado, c’est des choses qui n’étaient pas faciles à porter parce qu’on se fait pas de cadeaux entre nous les gamins. Et puis rapidement je me suis mis à la musique avec mes frères, et là je crois que ça a été un révélateur, c’est-à-dire que les gens m’ont regardé différemment. Et je crois que cette pratique artistique m’a aidé aussi a cette émancipation qui était un peu coincée au plus profond de moi. Et la façon dont ça s’est passé avec Emmanuelle, ce que raconte le film, c’est ça, c’est cet homme qui est enfermé dans le regard des autres et le regard de Garance va le faire renaitre d’une certaine façon. Dans la mesure même où on voit, pendant un moment il ose se regarder dans le miroir et il se dit qu’elle a peut-être pas tord. Lui il ne réfléchissait plus à ça, on l’avait rangé dans ce personnage, il faisait sa vie. Et oui je crois qu’il y a une renaissance.
Et enfin, t’as beaucoup de projets au cinéma en 2024 ?
Bah déjà y’a des films que j’ai tourné en 2023 qui sortiront en 2024. Et puis là j’ai un tournage avec une jeune réalisatrice, qui vient d’être décalé en septembre. Des courts aussi, et je sais que des choses vont arriver d’après ce que m’a dis mon agent. Et puis j’écris aussi un long-métrage et on est entrain de chercher un producteur, alors si on trouve tant mieux si on trouve pas tant pis, mais c’est un peu l’occupation du moment hormis toutes ces projections de l’Homme d’argile.
Propos recueillis par : Emma Sko // Images : Pierre W. Mazoyer (photogrammes de L’homme d’argile)