À l’occasion de leur concert ce 7 mars dernier à La Vapeur à Dijon, les équipes de Radio Dijon Campus et Sparse ont fusionné façon Gotrunk pour rencontrer le groupe Isaac Delusion (son chanteur Loïc). Après 3 ans de silence, le groupe revient dans le game avec un nouvel album, Lost and Found, tout en pop-electro douceur, et ils comptent bien reconquérir la scène française.

Isaac Delusion c’est un groupe qui a commencé avec un duo : Loïc et Jules, maintenant vous êtes quatre. Comment tout ce beau monde s’est rencontré ?

Disons qu’on a commencé ce projet assez tôt, il y a plus de 10 ans. À la base c’était un projet un petit peu home studio, on a crée cette musique avec nos laptops dans la chambre de bonne de Jules qui habitait encore chez ses parents à l’époque. On a tourné à deux au début. Et puis plus ça allait, plus ça commençait à prendre, à avoir des propositions de concert. On s’est dit qu’il fallait qu’on étoffe notre son live donc on a pris Nico à la basse. Puis un guitariste et un batteur en 2015 si je ne me trompe pas. C’est devenu au fil du temps un vrai groupe live, un vrai band. Maintenant on tourne comme ça parce que c’est beaucoup plus agréable de tourner avec un vrai groupe que de jouer avec un laptop à deux.

Photo du concert à La Vapeur par Paul Dufour

Dès le premier album éponyme on retrouve les couleurs d’Isaac Delusion. Une électropop assez douce, une voix assez envolée. Alors l’identité du groupe ça a été quoi ? Des références communes sur lesquelles vous vous êtes retrouvés ? Des envies particulières ? Comment s’est faite cette identité ?

Disons qu’à la base, le morceau qui résume bien la genèse du projet c’est Midnight Sun. C’est une rencontre entre deux créatifs : Jules qui lui, travaillait vraiment sur de la MAO, du sampling, qui était plus dans un univers qui se rapprochait beaucoup du Hip-Hop ; et moi qui viens plus de la musique un peu plus éthérée, de la folk, tout ce ce qui est rock indé, shoegaze, etc.. Et en fait c’est ce qui a crée la synthèse dans ce morceau Midnight Sun qui date de 2012. Par la suite, on a quand même fait 4 albums, ça a évolué, c’est parti dans différentes directions, on s’est essayé à la Soul, puis là on est revenu à quelque chose d’assez Pop. Sur ce dernier album, Lost and Found, c’est moi qui ai composé la majorité des morceaux, j’ai un peu repris toute la partie créative. Et Jules, lui s’est plus concentré sur la partie technique donc organiser le live, travailler sur la formation live. Donc maintenant on se répartit les rôles comme ça.

Tu parlais de la temporalité d’un album. Isaac Delusion c’est 4 albums dont le dernier sorti en janvier. C’est le premier album sorti depuis 2019. Ça prend du temps pour toi, là 5 ans du coup. C’est quoi qui prend le plus de temps ? C’est cette maturation, le fait que ça cogite ?

Disons qu’une des raisons pour lesquelles on est encore là dans le paysage français, qu’on fait encore des disques, et qu’il y a encore des gens qui viennent à nos concert et qui écoutent notre musique c’est qu’on a réussi à ne pas tomber dans la redite. Et ça c’est très dur. Oui c’est facile de faire toujours le même album et la même musique dès qu’on a trouvé la formule. Mais en tout cas moi, puisque c’est moi qui compose beaucoup, ce que j’essaye de faire vraiment à chaque album c’est d’arriver avec de la fraîcheur. Donc le faire une fois, deux fois ça va, mais le faire 4 fois au bout d’un moment on tombe très vite à court d’idée. C’est vraiment trouver ces idées, des choses un peu nouvelles c’est très dur parce qu’on a tendance à s’enfermer dans des automatismes. C’est ça qui m’a demandé beaucoup de temps : explorer des pistes, plein de choses, faire plein de mélanges un peu comme un scientifique, un chimiste. Et puis se dire « là on a un truc intéressant ». Faire ça sur un album qui fait dix morceaux ça veut dire trouver dix expérimentations et dix formules magiques qui vont fonctionner et c’est pour ça que c’est très long, en tout cas pour mon cas.

Photo par Charlotte Szczepaniak

Cet album, Lost and Found, ça veut dire en anglais perdu et trouvé (c’est comme ça qu’on appelle les objets trouvé en Angleterre). C’est important pour faire un nouvel album de se perdre pour mieux se retrouver ? Je pense à toi Loïc, t’étais en Bretagne dans un vieux four à pain il paraît, que t’as transformé en studio. tu l’as dis au début t’étais vraiment enfermé. T’étais autour de ta famille. Est ce que t’avais besoin de ça pour écrire ?

Disons que ça a été une période très compliquée. C’était la période du Covid, qui à un peu rebattu les cartes. Ça à un peu tout remis en question. On était en tournée avant le Covid, on a du l’arrêter parce qu’on venait de sortir un album, et c’est vraiment venu foutre le bazar total. On a perdu des partenaires, donc ça a été très long. J’ai même cru que ça allait s’arrêter, je me suis dit « bon bah voilà, ça fait dix ans qu’on est là, là ça va être compliqué ». Et finalement c’est en restant dans cet espèce de point d’interrogation, de brouillard que cet album s’est créé. Mais ce qui était très dur c’est que j’avais pas de perspectives, donc je continuais à travailler, à faire de la musique mais je voyais pas comment j’allais pouvoir sortir d’album. Je voyais que les gens se désintéressaient. J’étais un peu perdu dans cette création et à un moment tout c’est un peu éclairé d’un coup et là j’ai vu la lumière au bout du tunnel, je me suis dit ça va peut-être repartir. Je vais peut-être réussir à sortir ce disque. C’était un peu le thème de ce disque Lost and Found, il y a une dualité. Ça veut aussi dire objet trouvé en anglais. J’aime bien cette image d’un objet trouvé parce que c’est un peu le cas de cet album. On est un peu des miraculés d’être là, de faire une tournée, que l’album soit sorti, qu’il marche, que ce soit un beau disque parce que c’était pas gagné du tout et j’en suis très fier.

« Je pense que la particularité de cet album c’est qu’il est très solaire. Ça correspond au changement de vie que j’ai pu opérer […] »

Parlons d’autres rencontres, pas humaines. Tu as un environnement franco-anglais, il y a certaines tracks des albums qui sont écrites en français. C’est instinctif la langue que tu vas utiliser ? Tu fais avec ce qui sonne mieux ? 

Disons que le fait d’écrire en anglais ça a toujours été instinctif. J’ai été bercé par de la musique anglo-saxonne. Ça permet des libertés et une poésie très différente du français, même si j’aime beaucoup écrire en français aussi. J’ai d’ailleurs sorti un projet en français qui s’appelle Nautilus, il y a deux ans. J’aime beaucoup dans le nouveau disque Lost and Found, il y a un morceau en français qui s’appelle Que pour toi. Il y a notre cover d’Eddy Mitchell Menthe à l’eau qui est en français aussi. J’aime toujours mettre aussi un morceau en français dans les albums histoire de rappeler qu’on est français et que c’est possible aussi de faire de la pop un peu planante en français. C’est un peu plus dur parce que ça se marie moins. Pourquoi ça se marie moins ? Parce que le français c’est une langue assez exigeante. C’est une langue qui est très terre à terre donc c’est dur d’être métaphorique. Si tu veux faire de la poésie un peu absurde, c’est dur que ça sonne. Ce qui est agréable avec l’anglais c’est que c’est beaucoup plus vaporeux, ça peut être très ambiant, il y a pas besoin qu’il y ait un sens. Ça sonne tout de suite, c’est beau. Ça colle bien avec ce style de musique assez planant. En français c’est un exercice qui est beaucoup plus dur.

Cet album Lost and Found, je trouve que c’est l’album le plus pop que vous ayez fait. En plus avec cette pochette, on sait pas vraiment si c’est un  un lever ou un coucher de soleil. Je me demandais si Lost and Found est ce que c’est finalement l’accomplissement de l’identité d’Isaac Delusion ou alors est ce que c’est un pas vers quelque chose qui est entrain de naître ?

Je pense que c’est plus la deuxième hypothèse. C’est une naissance quelque part. Je pense que la particularité de cet album c’est qu’il est très solaire. Ça correspond au changement de vie que j’ai pu opérer quand je me suis installé en Bretagne il y a maintenant quatre ans. J’ai pu m’apaiser, j’ai réussi à évacuer beaucoup de démons grâce à la méditation entre autre. J’avais plus vraiment envie d’écrire des morceaux un peu dark et torturé. Ce qui venait naturellement c’est des choses assez solaires. Je pense que cet album a été imprégné de ce côté lumineux. Et pour faire un parallèle avec la pochette, en fait c’est une petite commune en Bretagne qui s’appelle Saint-Cado et la particularité de cette commune c’est qu’il y a une maison de pêcheur posée sur un récif qui, à marée haute donne l’impression que c’est une maison qui flotte. C’est très Miyazaki, on a décidé de s’inspirer de cette image pour décrire cette ancrage dans l’océan, qui est toujours en perpétuel mouvement. Il y a un certain paradoxe qu’on aimait bien. On a confié cette idée à Jean Mallard qui est un illustrateur qui fait des choses magnifiques. C’est lui qui a fait cette pochette d’album qui est pour moi la plus réussie ou en tout cas celle qui à le plus de sens.

Pochette de l’album Lost and Found par Jean Mallard

On vient de l’entendre l’univers visuel a une certaine importance, surtout pour toi Loïc. Le groupe affirme une certaine proximité avec le cinéma dans votre musique. Comment on mêle le visuel et la musique ? Laquelle des deux, peinture ou musique va influencer plus l’autre ?

Je pense qu’il y a pas de délimitation entre la peinture et la musique. Je pense que la peinture c’est très musical et vice-versa. Je pense que j’ai cette particularité qu’on appelle synesthésie. J’ai toujours associé la musique à des formes, des couleurs. Je vois vraiment des choses visuelles quand j’écoute de la musique. C’est pour ça que je suis aussi peintre. C’est pas quelque chose que j’ai autant développé que la musique, mais j’aime beaucoup peindre, ça me ressource énormément, c’est un truc qui me fascine. J’aimerai beaucoup en faire mon métier plus tard si un jour j’arrête la musique. Il y a pas beaucoup de démarcations entre les deux pour moi.

Et cet album alors, quelle couleur, quelle forme ça t’inspire ?

Exactement la forme qu’il a, ça a été tout le travail de cette pochette et tous les visuels de Jean Mallard. C’est la déclinaison de ce que j’avais en tête.

Pendant vos concert vous utilisez beaucoup le visuel, donc c’est important au moment du live de faire transparaitre ces visuels ?

La particularité de ce nouveau live, c’est qu’on a une très belle créa lumière, vous allez voir. C’est ce qu’on a eu de plus beau depuis le début. C’est plein de petites ampoules qui une fois allumées font vraiment comme un ciel étoilé. On est très content d’avoir ça. On avait eu auparavant d’autres très belles créations visuelles mais là c’est vraiment un step au dessus.

Le meilleur moment pour écouter votre dernier album Lost and Found ?

Je dirais en road trip avec les fenêtre ouvertes, avec le printemps qui arrive, en voiture en train de sillonner la ville sous un coucher de soleil ou carrément dans un autre pays. Je sais que je l’ai pas mal écouté quand on était en Islande cet été. Je mettais l’album et je kiffais. C’est un album de voyage, de découverte, d’évasion.

Propos recueillis par Emma Lahalle et Paul Dufour // Photo de couverture : Rene Habermacher