On a rencontré Marine Menier, pisteuse et exploratrice fraîchement adoubée par la Société des Explorateurs Français. Elle était au festival des Rendez-Vous de l’Aventure à Lons-le-Saunier pour présenter son premier documentaire : « BackTrack » où elle arpente la Colombie britannique en se questionnant sur la cohabitation inter-espèces. Au gré des rencontres, elle s’interroge sur notre part d’humanité, celle que nous perdons dans l’épilepsie des villes. Son aventure est avant tout celle de notre intériorité et de notre rapport au monde. Des aborigènes d’Australie au lynx du Jura, dans cet entretien, Marine nous a propulsé sur la piste de son propre destin.

Marine, tu sembles aller partout, mais d’où tu viens ?

Je viens de la région de Grenoble. J’ai grandi dans la forêt au contact de la nature. Sans trop de contrôle familial… J’voulais être détective ou commissaire de police quand j’étais petite. J’étais tout le temps sur la piste de quelque chose (rires). Et oui, en effet, je suis d’un peu partout dans le sens où j’ai grandi dans une famille de militaire. Ma grand-mère est née en Indochine, mon père en Algérie, ma mère en Allemagne, le frère de ma grand-mère en Syrie. Bref, j’ai grandi avec tout un tas d’histoires. Sur les murs y’avait des choses et des images qui venaient de partout dans le monde. Les trolls suédois côtoyaient joyeusement Shiva ! C’était riche, y’avait tout le temps une histoire dans l’histoire. À Noël on mangeait le couscous.

On dirait que tu es chez toi ici, quel est ton lien avec le Jura ?

Mon copain a grandi dans le Jura, il m’a fait découvrir ses terres et j’ai tout de suite accroché au coin. On s’y est beaucoup baladé. J’ai la sensation que cet endroit m’a reconnecté beaucoup plus à la terre que Grenoble ou Lyon par exemple où j’ai fait mes études. Il y a le sauvage ici, c’est une sorte de petit Canada en fait ! … Et puis dans le Jura il y a le lynx ! À Lons, je fais partie de La Fabrique de l’Aventure et je participe au projet Rebond. L’idée, c’est l’aventure pour tous, et l’asso propose des expériences a des personnes défavorisées. Avec les enfants d’un centre de loisirs de Lons on a fait des ateliers de pistage, on est partis sur les traces du lynx. Les enfants ont adoré, pour eux c’était leur première nuit en tente. On a fait tribu. C’était une très belle expérience ça ! Sinon je piste aussi en Bourgogne avec un pote archéologue, et puis j’ai fait des stages en communication animale à Dijon. En fait, je me suis souvent posée la question et je remarque qu’il y a beaucoup de choses qui me lient à cette région. J’ai l’impression qu’il y a pas mal d’aventuriers en BFC.

Tu suis une piste, tu la perds, tu reviens au dernier point de certitude, tu te demandes si tu as pu te tromper, tu tournes sur toi-même pour voir si il y a d’autres directions. Tu revois les possibles et tu reprends peut-être la bonne direction

Comment tu t’es forgée ton âme d’exploratrice ?

Aujourd’hui j’ai 37 ans. À 19 ans je suis parti en Australie pour faire un break. C’était un voyage fort, j’étais à Brisbane pour bosser et m’intégrer à la société australienne et dès que j’avais un moment, je partais découvrir le reste du pays. Et là-bas j’ai découvert la culture aborigène… Grosse connexion à la nature ! J’ai aussi passé du temps avec une vétérinaire qui étudiait l’impact des mines de sel sur une population de koalas. On les pistait avec du télétracking mais on étudiait aussi les crottes. En fait tout ça était assez cohérent et je l’ai conscientisé plus tard parce que je faisais déjà cela petite. Enfant je prenais des petites perles que je jetait par dessus mon épaule et je m’amusais à les chercher après à la loupe. Je pouvais m’occuper longtemps toute seule (rires).
Ensuite, je rentre en France et je fais un master en relation internationale géopolitique. Et là je me dis c’est quand même un sacré bazar ce monde. À 22 ans je me lance dans l’humanitaire et ma mission était la gestion de la sécurité. Je voulais comprendre les dynamiques de conflits. En terme de gestion des risques je pense que je me reliais à mes racines militaires. J’ai fait beaucoup de co-opération civile et militaire. Aujourd’hui je bosse à 80% du temps dans l’humanitaire. Je suis consultante indépendante, je fais des formations sécurité, de sûreté et de gestion des risques pour des ONG. J’ai commencé chez Handicap International, Action contre la Faim et maintenant je suis indépendante. Je fais aussi de la gestion des risques pour des expéditions scientifiques et je suis rentrée à la Société des Explorateurs Français en 2023.

Comment on rentre dans cette société ?

On postule et il faut des parrains. Les critères sont les suivants : être intéressé par le domaine de l’exploration et de la transmission de ce qu’on explore. Il y a des écrivains, des scientifiques, des explorateurs. J’ai un ami de Dijon, Damien Lecouvey, qui m’a parrainé. Il m’a convaincu que j’y avait ma place.

Backtrack, c’est ton premier film ? T’as voulu faire un film pour vivre des choses ou t’as vé-
cu des choses en te disant je vais en faire un film ?

Je suis touche-à-tout, certains diraient que je suis dispersée ! Je suis quelqu’un de terrain mais j’aime explorer aussi les différents moyens d’expression. D’ailleurs il y a trois ans j’ai publié un livre « Écobivouac », un manuel pratique pour la vie en nature. J’animais des ateliers autour de l’idée du bivouac responsable, et puis les gens me demandaient où ils pouvaient trouver de la ressource sur le sujet pour aller plus loin. Le livre est né par là mais il est épuisé aujourd’hui. Donc ça, c’était ma première expérience de production. J’aime l’idée de la restitution mais j’aime aussi être dans l’herbe. Je ne ferai pas l’un sans l’autre. BackTrack C’est mon premier film, mais je ne sais pas si il y’en aura d’autres… J’ai des idées mais je ne suis pas sûre de faire des films toute ma vie. J’ai adoré cette manière de transmettre et d’explorer mais il y a de la contraintes avec la vidéo. Je suis partie vivre une expérience que je voulais et je l’ai documentée avec des images. En fait, j’ai demandé Les Bourses des Possibles Jura pour m’aider à mettre en place ce projet, et la contrepartie de ces aides est de proposer une restitution.

Dans ton film, on ressent assez fortement une sorte de quête et d’aventure intérieure…

Backtrack, la traduction c’est remonter la piste. Le pistage animalier c’est ma pratique, et c’est même une façon de voir la vie. Remonter la piste jusqu’au dernier point de certitude. Tu suis une piste, tu la perds, tu reviens au dernier point de certitude, tu te demandes si tu as pu te tromper, tu tournes sur toi-même pour voir si il y a d’autres directions. Tu revois les possibles et tu reprends peut-être la bonne direction. Aujourd’hui je vois ça comme ma manière de gérer ma vie. C’est ma quête pour la société. J’ai envie de croire qu’on est arrivé à un point où la direction n’est peut-être plus la bonne. On peut peut-être retourner quelques pas en arrière. Je ne romantise pas le passé et je ne dis pas que c’était mieux avant. Je pense qu’on a différentes couches de conscience. Le savoir et la connaissance ce n’est pas la même chose. La spiritualité est importante… Je suis très intéressée par la notion de migration et comment on se connecte au territoire d’accueil, d’où on vient et comment on crée une connexion avec le territoire qui nous accueille. C’est vraiment un sujet qui me passionne. Et dans les savoirs ancestraux pour moi, il y a une espèce de sagesse chez les peuples premiers.

C’est quoi les peuples premiers ?

Ce n’est pas forcément la notion de premier au sens historique mais ce sont des peuples qui ont une sorte de permanence dans leur manière de fonctionner avec leur environnement. Ils montrent qu’un équilibre a été trouvé. C’est ma définition, hein ! Pas celle des Nations-Unis. C’est hyper précieux et cette idée vibre fort en moi. J’ai découvert ça avec les aborigènes, les bushmens du Kalaharis et les amérindiens d’Amérique du Nord. Si tu me demandes quel personnage de dessins-animés j’aurai aimé être ce serait sans aucun doute Pocahontas ! (rires) J’aime l’idée de reconnecter avec des sagesses sauvages et ancestrales.


Photos et propos recueillis par Cédric De Montceau