Etienne Rochefort c’est un chorégraphe génial autodidacte de Besançon, un peu tombé par hasard dans le monde de la danse. Il présentait le 03/04 dernier, son spectacle Bugging à l’Opéra de Dijon. Une rencontre entre de nombreuses danses urbaines comme le voguing, le krump, le popping, etc… Pour en former une seule et unique, le bugging, une danse dénonciatrice et puissante.

Tu dis souvent que t’es un artiste multidisciplinaire, tu travailles beaucoup le côté cinématographique de tes chorées en les mettant en vidéos, tu t’inspires aussi beaucoup des arts plastiques, etc… Est ce qu’on peut dire que cet éclectisme c’est un peu devenu ta marque de fabrique ?

Ce qui est la marque de fabrique c’est toutes ces cordes à mon arc. Par contre je trouve pas qu’on fasse des spectacles qui donnent à voir quelque chose d’éclectique au contraire, c’est très concentré, surtout avec l’univers qu’on a mis en scène ces dernières années avec Bugging mais aussi avec les films qui gravitent autour. C’est un univers qui est sur le même propos tout le temps à savoir le bug de nos sociétés, le craquement, la saturation. Je suis un peu sur ces réflexions là je trouve que tout devient très complexe, tout est entrain de craquer dans tous les sens. On est très nombreux, le système s’est complexifié parce qu’il faut gérer tout ce qu’il se passe. C’est pour ça qu’on a inventé le bugging, la danse du bug. Grâce à toutes les danses urbaines qui sont nées à chaque fois d’un bug de société que ce soit du racisme de la violence, etc.. À chaque fois ce sont des mouvements qui sont nés dans la rue. Moi j’ai décidé de toutes les réunir et de les faire converger vers une énergie unique, donc pas éclectique, c’est vraiment une seule énergie du coup, comme si elles nous alertaient sur le péril du monde dans lequel on vit.

T’as fait appelle à Olivier Bauer et Mondkopf pour s’occuper de la scénographie et de la compo musicale, comment elle s’est faite cette collaboration ?

Il faut savoir que sur ce projet là, moi j’ai appris. Je suis complètement autodidacte, donc sur les premières créations qui nous ont fait émerger en 2014, j’ai fait des erreurs, mais ça a quand même bien marché, ensuite on a commencé à décoller. On a fait d’autres projets de groupes, j’ai commis à nouveau quelques petites erreurs mais j’ai commencé à étoffer les choses parce que c’est devenu collectif. J’ai pu asseoir mon travail de chorégraphe et à chaque spectacle j’ai appris, appris, et ça a grossi en terme d’équilibre, de moyens, d’apports et de collaborations. Et sur cette pièce là c’est une sorte d’aboutissement, même si à chaque projet j’ai l’impression de revenir à zéro, donc les prochaines vont encore aller ailleurs. Mais celle-ci c’est un peu une petite consécration pour moi. C’est pour ça que sur cette création je me suis dit, il est temps de s’entourer de gens. Il faut que sur la création lumière il y est un vrai scénographe, créateur lumière, digne de ce nom. On est tombé sur Olivier Bauer, qui lui est un pur créateur lumière. Ça a été pas mal d’échanges, j’avais déjà pas mal d’idées, ça a permis de pondre cette scéno qui participe à fond au spectacle, ça lui donne toute sa qualité. Sur la musique, j’étais fan de Mondkopf depuis quelques années à mettre ses sons en répet, puis je trouvais que ce qu’il faisait, ce côté très volumineux en terme de son avec beaucoup de basses mais toujours une petite ligne mélodique ça correspondait au projet. Donc je me suis dit je l’appelle, et ça a matché, il a apprécié le travail donc il a accepté de faire la composition alors que c’est pas du tout un compositeur de spectacle. Il a participé au projet suivant Unblock Project, donc belle rencontre.

Photo par Yves Petit

En parlant de Unblock Project, il y avait eu une représentation aux Eurockéennes l’année dernière, j’ai cru comprendre que le projet est évolutif. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Alors Unblock Project, c’est un peu le cousin de Bugging. Bugging c’était destiné à des boîtes noires, donc dans des théâtres, des scènes nationales, il y a des lumières conséquentes donc on peut pas faire ça en extérieur. Étant donné qu’il y a un message, je voulais le propager le plus possible. Donc les théâtres c’est un public, mais pour toucher plus largement encore, étant donné que je viens aussi du milieu de la musique, ça me plaisait de revenir à une version concert. Le fait d’aller toucher une audience qui vient pas forcément voir de la danse. Les festivals de musique c’était le meilleur endroit pour que les gens soient là pour voir telle ou telle tête d’affiche et puis comme tout bon festivalier, se balader et découvrir des surprises, et ça a marché. Donc le but c’était ça puis après tourner dans le réseau de la musique type SMAC pour montrer que la danse, intégrée à ce projet pourrait toucher les gens. Unblock Project c’est entre la comédie musicale, le concert et le spectacle de danse. Un truc un peu inqualifiable où c’est un seul et même univers, il y a un film en arrière plan pendant tout le spectacle, il y a des musiciens en live, il y en a certains qui dansent aussi pendant qu’ils jouent et il y a une écriture concert, très poreuse, plus libre. Et dans cette écriture, je voulais qu’il y ait de la place pour les feats, aux invitations, pour que des musiciens, des potes puissent intégrer le spectacle. Et le côté évolutif c’est que le spectacle n’est pas arrêté. Peut-être que dans trois mois il y aura un nouveau titre, un featuring, une évolution chorégraphique, c’est quelque chose de modulable qu’on adapte à chaque fois aux lieux dans lesquels on joue.

Tu nous a dis que Bugging ça renvoyait au bug, que tu qualifies de dysfonctionnement social, c’est important pour toi que le domaine de la danse s’inscrive dans un contexte engagé voire politique ?

Après ça dépend des artistes, moi c’est mon truc. Parce qu’a une certaine époque, j’étais plutôt sur chercher ma patte chorégraphique, esthétique, déjà en tant que danseur en me disant est-ce que j’ai quelque chose d’original ? Ensuite je l’ai cherchée en tant que chorégraphe, juste sur le côté purement formel, ah oui c’est pas la même danse que telle compagnie, ça c’est Etienne Rochefort, ça c’est la compagnie 1 des si. Après en vieillissant, en ayant des enfants, je me suis naturellement posé des questions sur le monde dans lequel on vit. Je pense que la danse peut participer à ces questionnements là, mais c’est pas une obligation, mais en ce qui me concerne c’est le cas et en plus c’est déjà l’histoire des danses urbaines, elle viennent pour protester pour revendiquer pour créer un espace de liberté. Je le fait par nature en fait.

« On est très nombreux, le système s’est complexifié parce qu’il faut gérer tout ce qu’il se passe. C’est pour ça qu’on a inventé le bugging, la danse du bug »

Est ce qu’on pourrait traduire Bugging comme un perte de contrôle totale et générale face aux enjeux sociaux ou plus comme justement un appel à se réunir pour améliorer ces conditions ?

Les deux, les deux à fond. Après cette blague, c’est une sorte de blague, nous on s’est dit « vu que les choses bug on va inventer le bugging », mais c’est un peu burlesque, c’est une blague noire sur le monde. Mais par contre c’est une vraie danse, dans chacune des danses urbaines, il y a déjà des contractions musculaires super fortes, des fulgurances, des choses très solides. Le but c’était de garder que la substance commune à chacune de ces danses, donc le bugging, c’est que des mouvements syncopés, rigides, très tiqués, mais qui sont fait de manière virtuose, en le faisant de manière très impressionnante. C’est un reflet de la saturation du monde, sauf que dans le spectacle, on a créé une forme de cohésion jusqu’à la fin et il y a quand même cette piste positive du faire ensemble. Ne serait-ce qu’à la fin, quand tout le monde se réunit. Même d’avoir construit ce projet ensemble, c’est une manière de dire, si on fait les choses ensemble peut-être qu’on peut y arriver.

Propos recueillis par Eve Roucou // Photo : DR Compagnie 1-des-si