Faire de la musique avec un vélo, c’est le projet de Romain Joubert, dit JOUBe, qui a bricolé sa machine à deux roue pour en faire un orchestre à lui tout seul. A l’occasion de son concert au milieu de l’usine de Casseroles Cristel (oui, une usine de Casseroles, dans le cadre du festival Bo District organisé par le Moloco), à Montbéliard, on a discuté musique et mobilité douce avec l’artiste lyonnais, qui crée aussi des morceaux grâce à des enregistrements réalisés insitu. 

Intw réalisée par les jeune de l’ASEA de Montbéliard. 

Pourquoi avoir choisi un vélo pour faire de la musique ?  

A la genèse, en 2020, je flippais par rapport aux questions environnementales, le climat qui se dérègle etc… Je n’allais rien régler à cette histoire-là, mais je me suis dit que me mettre au vélo était une bonne idée. Moi à la base je suis bassiste et contrebassiste, j’imaginais prendre une charrette et me déplacer en vélo avec mes instruments. Petit à petit, l’idée m’est venue que le vélo soit l’instrument de musique. 

Tu étais cycliste avant ?

Je me rappelle que quand j’étais gamin, j’étais toujours cloué à mon vélo, c’était mon moyen de transport pour aller voir les potes. J’habitais à la campagne, du coup le vélo est apparu à cet endroit-là. Après, il s’est un peu effacé, j’ai eu un cursus de musicien mais mes parents ne voulaient pas que je sois seulement musicien donc j’ai fait des études en électrotechnique et en ébénisterie en parallèle de mes études au conservatoire et le chemin s’est fait jusqu’à ce que se croisent ma trajectoire de musicien et d’ancien cycliste. Le vélo s’est donc remis dans mon quotidien. 

Combien de temps a pris la construction du vélo ? 

Ça s’est fait vraiment progressivement, de petites trouvailles en petites trouvailles. Au début, quand je mettais mon vélo de ville dans mon studio, je mettais des petits micros dessus. A cette époque, j’étais plus bassiste et pas du tout percussionniste, mais le seul truc que je pouvais faire avec ce vélo c’était jouer avec des baguettes dessus. Mais je ne savais pas faire, donc c’était pas ouf au début. Mais à force d’expérimenter, j’ai vu que je pouvais retirer des sonorités du vélo, du pédalier, pour jouer avec ces sons. Après, j’ai eu un deuxième vélo, j’ai compris que je pouvais lui mettre une corde de basse. J’ai appelé un ami serrurier-métallier et il m’a aidé à construire la corde de basse actuelle qui est aux mensurations les plus proches d’une vraie basse électrique. Elle a été contrôlée par la suite par un luthier pour faire les choses finement. Ça évolue encore depuis 4 ans et ce n’est pas encore la fin, j’espère. 

Tu te déplaces avec le vélo avec lequel tu joues ? 

Oui !

Après un concert, combien de temps il te faut pour repartir rouler avec ce même vélo? 

La durée évolue dans le temps en fonction des techniques. Quand je vais très vite et que je suis focus, une demi-heure après que je sois sorti de scène, je suis capable de prendre la route avec le vélo avec tout le matériel dans les sacoches. Je compte la même durée pour tout installer. Il y a plein de petits câbles, de micros à mettre à des endroits précis, c’est pour ça. 

La selle est quand même bien particulière, il y a plein de boutons dessus, comment elle est faite ? 

Pour la partie construction, j’ai pris une vieille selle, j’ai enlevé toute la mousse, j’ai percé des trous dedans, j’ai mis des boutons. Pour le choix des boutons, il y avait une première version de boutons qui fonctionnait, mais je voulais quelque chose de plus précis. Donc il y a plein de boutons qui ont différentes façons de réagir au toucher. J’en suis à ma troisième version de boutons. Celle-ci marche super bien, donc je suis content. Mais avant quand j’appuyais sur un bouton, je priais pour que le son sorte, quand j’appuyais trois fois, le son sortait qu’une fois.  Après j’appelle mes supers potes qui sont trop forts dans leur domaine, donc je n’hésite pas à les solliciter. Pour le coup c’était Arthur Baude pour qui c’est le travail de construire des objets. Il a vu ma selle et il m’a dit que c’était génial ce que j’avais fait pour une première version, « mais je vais la garder et tout refaire »(rires). Il a refait les soudures pour que ce soit clean et pérenne dans le temps entre chaque montage/démontage pour que ça ne se dégrade pas. 

Quels artistes ou genres musicaux t’inspirent le plus ? 

 Je cite souvent Romare, un artiste anglais qui fait une musique avec beaucoup de sampling, ce principe qui consiste à aller chercher de sons sur Internet ou autre pour construire des musiques. Lui fait le musique en fonction de samples qu’il récupère, des bruits d’instruments, moi je fais de la musique à partir des sons que j’enregistre. Mais j’aime beaucoup ce gars car je trouve qu’il arrive à faire quelque chose de très singulier et à avoir un panel de sons très choisi qui fait qu’il fait des compositions très uniques. Si j’en cite un, ce sera Romare. 

Pour créer tes morceaux, tu enregistres des sons de nature, des sons dans des usines… Quel a été le morceau le plus difficile à élaborer ? 

Chaque son est assez dur à réaliser. Le titre « Bois » que je viens de sortir, est pile dans mon processus de création. Tous les sons, sans tricheries, à part le kick, sont issus de l’atelier d’un sculpteur que j’ai visité. En général, je trouve que faire des sons c’est compliqué, je me prends toujours la tête sur l’ambiance, les sons que je veux avoir. 

Entre les concerts, du coup tu te déplaces à vélo ? 

A 80%, je me déplace en train, parce que c’est un projet qui tourne à échelle nationale. Donc je prends mon vélo et je le mets dans le train. Pour ce genre de démarches, la SNCF ne nous aide pas du tout mais ça fait partie du projet de ne pas juste mettre le vélo dans une voiture et d’arriver au concert comme ça. Mais il reste 10% de voiture, quand il y a des problèmes avec les trains ou quand entre les deux dates programmées, il est impossible de voyager en train. Les 90% restants, c’est que du vélo. Il m’est arrivé de faire des itinéraires, par exemple j’ai fait la Rochelle/Angoulême, 250 km uniquement en vélo, avec des concerts le long de la route. Mais ce projet donne des idées à pas mal de gens, je joue dans plein d’endroits et plein de lieux. J’ai joué dans une centrale hydroélectrique de Cusset, donc un lieu plutôt atypique. 

Quand je fais ces concerts, je prends des sons enregistrés sur place et j’en fais un son que je mets en intro du concert.

Je fais un projet qui veut faire un effort sur la mobilité ce qui est un effort très engagé, qui demande beaucoup d’énergie. Au-delà de ça, je joue quand même avec un ordinateur, ce qui n’est très écolo, ça consomme énormément d’énergie. Mais j’essaie d’avoir une configuration qui fait un effort, ce n’est pas simple du tout. 

Propos recueillis par Annaelle, Meredith, Maila, Bilel, Joao, Rayan. 

Merci aux équipes du Moloco et de l’ASEA du pays de Montbéliard. 

Photos © Paul Dufour