Le groupe Tarabeat lançait cette année les hostilités du FIMU lors d’un concert d’ouverture à la Poudrière de Belfort. Des stagiaires du GRETA (de 10 nationalités différentes), en plein apprentissage du français, sont allés à la rencontre du duo libanais quelques heures auparavant pour les interroger sur leur univers électro-oriental.
Que signifie Tarabeat ?
Tarabeat se compose de deux mots. Le Tarab est un mot qui vient de l’arabe, difficilement traduisible, qui décrit cette sensation de joie que l’on ressent grâce à la musique. Et le beat, en anglais, qui se réfère à nos percussions électroniques.
Comment s’est formé le groupe?
Le groupe s’est formé il y a plus de 8 ans au Liban. Nous étions 4 ou 5 musiciens au début mais comme beaucoup, nous avons rejoint la diaspora arabe. Maintenant, il ne reste plus qu’Hadi qui vit toujours au Liban et moi, Camille, qui habite en Australie. Il y a dix ans, le Liban était très occidentalisé et la musique électronique est très populaire chez les jeunes. Nous avons voulu y rajouter un peu de notre héritage et de notre culture pour en faire une musique plus authentique. Mais quand nous avons débuté, aucun de nous ne connaissait grand-chose à la musique traditionnelle. Pour nous améliorer, cela a représenté un long apprentissage.

Quels instruments utilisez-vous et comment pourriez-vous décrire votre style ?
L’idée de Tarabeat est d’utiliser la musique traditionnelle arabe en y incluant des éléments électroniques pour en faire quelque chose de plus expérimental. Je joue du Qanun et du Ney qui sont respectivement des harpes et flûtes arabes. Je joue aussi du mizmar qu’on utilise souvent dans les mariages au Moyen-Orient et qui sert notamment à rendre sourds les gens (rires). Hadi, lui, joue des percussions et du santour qui est un ancêtre du piano où les cordes sont frappées avec des petits marteaux. Nous essayons de rendre hommage à la musique classique arabe qui est en déclin depuis plusieurs années. Nous utilisons énormément sa base qui est l’improvisation et nous combinons les éléments modernes et traditionnels. La nouvelle musique arabe, celle que l’on entend à la radio, est très simplifiée, presque devenue pop, tandis que nous, nous nous appuyons sur ses rythmes riches, complexes, irréguliers.
Est-ce que vous composez vous-mêmes votre musique ?
Oui, la plupart de nos morceaux sont originaux. Mais nous essayons toujours de la rattacher à ses origines traditionnelles en y incluant nos instruments électroniques. Et il nous arrive aussi d’adapter des morceaux classiques à notre manière.
Pourquoi n’y-a-t-il pas de chanteur dans le groupe ?
On joue parfois avec des chanteurs, mais pour ce projet on voulait vraiment se focaliser sur les instruments. C’est un style différent avec les chanteurs, il faut prendre en compte les paroles, c’est plus dur d’improviser. Les instruments que nous utilisons ne sont pas communs, ça donne la chance aux gens de les découvrir pleinement.
L’idée de Tarabeat est d’utiliser la musique traditionnelle arabe en y incluant des éléments électroniques
Quelles différences y-a-t-il entre les musiques orientales et occidentales ?
La musique arabe est de tradition orale, elle passe du maître à l’étudiant. Il y a beaucoup d’improvisation et pas de notes à lire. La musique orientale traditionnelle est comme le jazz dans sa part d’improvisation. On dit que la musique arabe est linéaire tandis que la musique occidentale est verticale. Chaque instrument joue la même musique mais avec des ornementations, y ajoute ses propres sentiments. La musique est plus flexible, on n’a pas besoin d’y jouer exactement les notes. On rajoute des notes entre les notes. Chacun interprète la mélodie à sa manière. C’est ce qui la rend si riche.
À qui s’adresse votre musique ?
Elle s’adresse à tout le monde, à un public arabe évidemment mais aussi international. Si des jeunes de la diaspora arabe entendent notre morceau, ils doivent se sentir comme à la maison. En ajoutant des sonorités électroniques à la musique traditionnelle à laquelle la jeunesse ne s’identifiait plus, nous espérons redonner ce sentiment de familiarité. Mais également de faire découvrir notre culture à un public qui n’est pas familier avec cette musique là. Notre but est de réunir les gens.
Y-a-t-il des artistes qui vous inspirent et avec qui vous souhaiteriez collaborer ?
Nous sommes principalement influencés par notre identité, notre culture. Quand je suis en Australie, la musique que je joue est très différente et ma créativité stagne un peu là-bas. À chaque fois que je reviens au Liban, je me sens inspiré. S’il fallait collaborer avec un artiste électronique, peut-être avec The Spy From Cairo, un artiste qui mélange les sonorités orientales au dub. En France, pourquoi pas avec Daft Punk (rires) ?
Comment envisagez-vous la suite du groupe ?
Au Liban, on ne sait même pas quel sera notre avenir en tant que personne alors en tant qu’artiste, c’est dur d’envisager des projets à long terme. Nous faisons notre possible pour que le projet perdure mais c’est difficile. Je vis en Australie et je reviens à la maison chaque année. On travaille beaucoup en ligne, on s’envoie des morceaux mais le mieux, surtout pour l’improvisation, est de répéter face à face. En rentrant de Belfort, nous allons certainement arrêter un peu les concerts pour nous concentrer sur notre deuxième album.
Dans quels pays êtes-vous allés jouer et lequel vous a le plus touché ?
Dernièrement, la Syrie a été assez géniale mais j’aime beaucoup aussi la Turquie, surtout pour y acheter des instruments qui y sont de très bonne qualité (rires). Nous adorons voyager et chaque pays est spécial. Chacun y apprécie notre musique de manière différente et les réactions sont souvent très différentes. La musique est très psychologique et notre perception en est affectée par notre histoire et notre passé.

Comment s’est passée votre résidence à la Poudrière de Belfort ? Quel a été le programme ?
Nous nous sommes beaucoup entraînés et avons beaucoup travaillé l’aspect technique. L’ingénieur son de la Poudrière à été formidable avec nous et nous a énormément aidé à fixer notre son. D’habitude, quand nous jouons, nous avons moins d’une heure pour le soundcheck, puis il faut y aller. Ici, nous avons pris le temps d’arranger plein de petits détails. C’est très utile d’avoir un espace comme celui-ci pour caler notre set. Ces quelques jours nous serviront beaucoup à l’avenir.
Interview (et photos) préparée, menée et retranscrite par Abdullah, Albert, Alexandra, Ekaterina, Elif, Gadaibibi, Habib, Hervelor, Ishak, Juliia, Karolina, Maryna, Massa, Nisreen, Norbu et Sevilia. Merci à Lucas Grux, le prof.