Le groupe de pop aux influences yéyé et sixties ne vous dit peut-être rien. Pourtant, Juniore représente la classe à la française et séduit au-delà des frontières avec leurs mélodies envoûtantes mélangeant les genres et les époques. Ils ne manqueront pas d’offrir un moment hors du temps au public de La Vapeur à Dijon le 19 octobre. Entretien avec la fondatrice du groupe Anna Jean, chanteuse, auteure et compositrice.
En partenariat avec Radio Dijon Campus.
A quoi ça ressemble, Juniore sur scène?
Le groupe à beaucoup changé depuis le début. En ce moment, on est quatre sur scène.
Swany Elzingre est à la batterie, c’est une musicienne délicieuse à voir jouer. Je passe beaucoup de temps à la regarder lorsque je suis sur scène. Il y a également le guitariste au Chapeau Mystérieux, et Lou Maréchal à la basse. Quant à moi je joue du clavier, de la guitare et je chante. Je n’ose pas trop en dire de la scénographie… Il faut garder l’effet surprise pour notre grande première à Dijon, on n’a jamais joué ici. Notre ingé lumière produit un très beau jeu de lumières. Avant notre tournée cet été en Angleterre, il a travaillé une lumière qui nous suit très élégamment.
Comment avez-vous abordé votre album 3,2,1, quatre ans après le précédent ?
Assez singulièrement. Nous avons été interrompus en plein élan avec la pandémie. Comme si on prenait une impulsion pour sauter et l’on était soudainement contraint de s’arrêter. Personne ne pouvait rien y faire, on a mis du temps à l’accepter. Chaque membre du groupe a ensuite pris une voie différente étant donné de nos emplois en parallèle. Il y a eu une période durant laquelle on ne s’est pas vus, ça a été brutal ! Nous ne l’avons vraiment pas bien vécu au départ. Le disque s’est donc construit différemment, avec une distance jusqu’alors inconnue sur les albums précédents. On enregistrait tout ensemble, on jouait les morceaux sur scène avant de les sortir… On s’est finalement rendu compte qu’il n’y avait pas seulement des inconvénients à cela. Chacun de nous était désinhibé et plus libre car nous n’étions pas les uns à côté des autres. On échangeait et on s’envoyait des idées à distance grâce à la magie d’internet. Et ce n’était finalement pas si mal.
Amour fou est un slow, d’où t’est venue l’idée d’écrire un slow ?
J’adore les slows. J’ai ce souvenir des booms quand j’étais petite et de ces moments très gênants où personne ne savait danser. Il y avait toujours trop de filles dans mes soirées. Elles dansaient donc ensemble, et les trois pauvres garçons finissaient par être pris d’assaut. Avec le recul, ils ont dû trouver le moment délicieux, mais sur le coup ils ne l’ont pas très bien vécu. J’ai une vraie nostalgie de ça.
En creusant dans ta discographie on trouve des enregistrements de ta voix dans des projets électros (Bot’Ox, Jackson and His Computerband…). À quel moment as-tu trouvé cette voix posée de chant?
Je ne suis pas sûre d’avoir tellement changé. Mais c’est différent dès lors qu’on prête sa voix pour des projets. Les gens ont des idées précises de ce qu’ils veulent. Ils te guident, ils te demandent de faire des choses et de sortir de ta zone de confort. Je ne me suis jamais vraiment sentie chanteuse, et je ne pense fondamentalement pas l’être. J’aime beaucoup la musique et j’aime jouer des instruments. Je ne suis pas non plus instrumentiste, je ne me sens pas légitime de me qualifier comme telle car j’ai appris toute seule. Je ne comprends pas bien des tas de choses. Mais mes tout premiers morceaux ayant été écrits pour quelqu’un d’autre, je suis restée sur cette idée que j’écrivais pour d’autres gens. Je me suis caché derrière cette idée, et cette voix qui ne fait pas beaucoup de bruit. Également dû à mon caractère assez timide. C’est sorti comme tel et c’est resté.
D’ailleurs, comment t’es-tu retrouvé dans cette scène électro au début des années 2010, loin de l’image qu’on a de toi dans Juniore ?
A l’époque, j’avais un duo nommé Domingo avec Samy Osta. Ce projet était dans un label dont les locaux étaient juste à côté du studio de Bot’Ox. On les voyait tout le temps, on prenait nos cafés ensemble. Ce sont des garçons très drôles et portés par la volonté de ne pas se plier aux règles. Ils avaient des idées très précises de ce qu’ils produisaient et pourquoi ils le faisaient. J’étais extrêmement intimidée et je crois qu’ils ont aimé le fait que je ne sois personne, avec une voix très peu chantée et pas sophistiquée. Bot’Ox m’a fait chanter sur l’un de leurs morceaux, ça s’est fait comme ça, très naturellement. Au-delà de la musique, ça a été une véritable rencontre amicale, en réalité. Après avoir entendu ma voix avec Bot’Ox, Jackson a aimé le caractère sobre de ma voix et s’en est servi comme un instrument dans les morceaux sur lesquels j’ai chanté dans son album. Je sais qu’il ne voulait pas de vibrato, mais uniquement des voix très sobres. Justice m’a contacté pour la même raison, ils me le disent tous. C’est l’avantage d’avoir une voix assez passe-partout.
Les Yéyés sont une référence de l’univers musical de Juniore, il y une tournée en Angleterre. Des groupes tels que Broadcast font-ils partie de l’univers sonore de Juniore ?
Complètement. Les années 60 qu’on connaît ce sont celles ayant été digérées par les années 1990 dans lesquelles on a grandi, et dont Broadcast étaient les rois/ la référence. Ils samplaient pas mal de musiques même si les instruments étaient joués comme nous. Cette écriture raffinée et en même temps très ancrée dans son époque. C’est ce qu’on a essayé de faire, et Broadcast fait évidemment partie de nos grandes influences.
Un mot caractérisant Juniore : la nonchalance.
C’est une manière un peu maladroite de cacher sa timidité. Lorsqu’on arrive dans une salle et qu’on se sent mal à l’aise et observé, la nonchalance va donner cette impression de détachement, qu’on est là sans le faire vraiment exprès. Il faut voir Juniore comme un canard : il semble progresser facilement, mais sous l’eau il patine à fond et il se donne un mal de chien pour avancer.
Interview : Martial Ratel // Photos : DR