Stomy Bugsy et son compère Passi ont fait du chemin depuis le décollage et les déboires judiciaires du Ministère A.M.E.R. Les précurseurs du rap hardcore à la française, qui ont explosé au début des 90’s avant de se lancer en solo, repartent sur les routes pour fêter l’anniversaire de l’album 95200 (avec Brigitte femme de flic et cours plus vite que les balles dedans…) et passaient par la Vapeur de Dijon, accompagnés sur scène par leurs potes Driver et Papillon de la Clinique. Sarcelles, pop, Mohamed Ali et internet, on a parlé rap avec les deux légendes, forcément assagies avec 30 piges de recul.
Vous débarquez début des années 90. Vous commencez à vous faire connaître. À l’époque, t’as IAM, NTM, t’as MC Solaar, qui fait un peu le poète. Mais vous vous arrivez avec du rap très hardcore ! Avec des clips de gars en bas des blocs…Les gens n’étaient pas prêts.
Stomy Bugsy : Ils sont toujours pas prêts (rires)
Mais vous vous êtes dit “On va rentrer dedans, on s’en fout” ?
Passi : On s’est dit : « on veut juste raconter ce qui se passe en bas de chez nous ». Parce que quand on a commencé, le hip-hop français, même nous, c’était une copie du hip-hop américain. Tu pouvais dire : “lui il est fan de EPMD. Lui c’est du Ll cool j détourné.”. On avait des références américaines. Et nous on a voulu se démarquer de ça. En ouvrant la fenêtre à Sarcelles, y’avait assez d’histoires de la rue à raconter. Il y avait aussi une sorte de question posée aux institutions. On se demandait ce qu’on allait devenir. On était des jeunes blacks de banlieue. Il y avait pas beaucoup d’exemples comme aujourd’hui.
Stomy Bugsy : Aujourd’hui un p’tit il a Mbappé à la télé, Omar Sy, et d’autres… À l’époque, il y avait rien. Donc Ministère A.M.E.R c’était ça aussi. Un cri par rapport à l’histoire, par rapport à ces fils d’immigrés, ces “français d’origines…”, comme on dit, qui se demandent quelle est leur place.
Tu parlais du rapport avec les institutions, justement pour vous ça s’est pas bien passé…
Stomy Bugsy : On subissait tellement de contrôles. Et on vient d’une ville qui est assez… Sarcelles, c’est le village d’Astérix tu vois. C’est une ville qui a une réputation. Même dans les soirées hip-hop, on rentrait pas parce qu’on venait de Sarcelles.
On était même stigmatisés par les autres cailleras (rire).
Passi : Ouais, parce que Sarcelles avait déjà un passé de blousons noirs, de règlements de comptes de rockeurs. Donc imagine quand ça a évolué avec les quartiers. C’étaient les endroits où ça se cognait.
Mais tu penses que vous auriez les mêmes embrouilles avec les flics maintenant en tant que rappeurs, pour ce que vous chantiez à l’époque ? Parce que j’ai l’impression qu’il y a pleins rappeurs de maintenant, qui chantent des choses super hardcore et qui prennent pas de procès ?
Stomy Bugsy : Parce que y’a trop de groupes. Ils ont pas le temps de faire la chasse aux sorcières. Et puis le rap c’est devenu la musique numéro un partout. C’est rentré dans les mœurs.
Passi : Aujourd’hui, un groupe hardcore qui dit des choses, même sans passer à la télé ou à la radio peut éclater, exister et vivre grâce au net. On n’a plus besoin forcément de passer par la voie légale.

Et bien vu que vous enchaînez là dessus, le rap maintenant c’est…
Passi : Aaah je me disais, “est-ce qu’il va nous poser cette question là ?” (rires)
Non, mais Il y a eu un festival, il y a trois semaines, le Golden Coast, à Dijon, 25000 jeunes par soir. Vous imaginiez ça ? Que tous les jeunes allaient écouter du rap ? C’est la nouvelle variet’, la nouvelle pop music…
Passi : Le rap aujourd’hui c’est devenu comme de la pop. Enfin, certain styles. Et les artistes… Il y a plus de petits qui montent, il y a plus de gens qui peuvent s’éclater, c’est plus facile. Ils ont des outils de oufs ! Mais t’imagines nous à l’époque ? (rires) Ce qu’il fallait pour faire un clip ! Aujourd’hui les p’tits sont forts avec leurs téléphones. Donc il y a de l’évolution. Mais après ça va filtrer, c’est les plus puissants qui vont rester. Le temps fait le tri. C’est facile maintenant de faire de la musique. Après tenir, exister, marquer son temps, ça c’est plus dur.
On revient à votre carrière. La bascule se fait avec “Sacrifice de poulet”, en 94 ? Pourtant vous avez déjà sorti deux albums avant.
Stomy Bugsy : Ouais mais le boost d’estime sur l’album 95200 est déjà très fort.
Passi : On avait déjà une réputation. Mais c’est vrai que “Sacrifice” nous a permis d’être enfin sur un projet diffusé largement, de passer sur M6…
Stomy Bugsy : Et de signer sur un gros label (NDLR : virgin). On rentre dans des vrais studios, on a des perdiems. T’arrives en studio, on nous dit “tenez, ça c’est pour manger”. What ? (rires)
Passi : Le côté pro, quoi. Parce qu’avant ça, quand on arrive au début et qu’on dit “on va faire du rap” les gens rigolaient. Gamins de banlieue, trop hardcore, personne voulait nous publier à l’époque. On a fait notre chemin de notre côté, normal. On a monté notre société d’édition, on était dans l’indépendant. On a monté Secteur Ä. Avec Secteur Ä, on a développé tous les talents qu’il y avait autour de nous. Après on a poussé nos carrières solo aussi. On a appris en mangeant des cailloux.
Les trucs trash sur les flics, les meufs et tout le reste. Vous rechanteriez ça maintenant ? Si tu devais le réécrire ?
Stomy Bugsy : Non, pas à nos âges.
Passi : On vit plus la même chose.
Stomy bugsy : Comme disait Mohamed Ali, « un mec qui pense à 20 ans et à 50 ans la même chose il a perdu 30 ans de sa vie » (rires)
Passi : Ouais c’est vrai. Même quand on les rechante là ! Des fois on se regarde, on se dit “Putain tu m’as fait chanter des trucs comme ça !”
Stomy bugsy : Tous les jours, à chaque fois qu’on chante. Moi je dis à Passi , “ils vont nous emmener en prison t’sais”.

Et cette tournée, c’est pour le kiff ?
Passi : Ouais, pour fêter les anniversaires !
Stomy bugsy : Pour marquer l’histoire quoi.
Passi : En fait là, c’est la première vraie tournée de Ministère A.M.E.R. C’est un kiff qu’on se fait ! À l’époque on tournait pas. On a fait des tournées Stomy, des tournées Passi, des tournées Secteur Ä…mais pas la tournée Ministère A.M.E.R.
Vous écoutez encore un peu de rap ? Vous arrivez à suivre ce qui sort ?
Passi : Non, y’a trop de choses qui sortent. Tous les jours t’entends des nouveaux trucs…
Stomy bugsy : On a des enfants, donc on entend quelques trucs.
Passi : Même un journaliste de rap il peut pas savoir ce qui sort tous les jours.
Stomy Bugsy : Les p’tits ils connaissent. Par contre, en une semaine, ça y est ils ont fini de saigner les projets. Avant t’avais un album, tu le saignais. Eux ils sont super curieux, ils connaissent pleins de trucs. Mais pas en profondeur. Nous on connaissait le label du type, les mecs avec qui ils traînent, le photographe, celui qu’à fait le clip…
Passi : La pochette, le bassiste le truc..
Stomy bugsy : Oh putain, le bassiste. Y’en a même plus maintenant !
Passi : Même le sample ils le connaissent pas. C’est de notre faute, on les a gâté avec internet là..
Photos : Philippe Mallet / Chablis Winston