You said Strange chante un spleen shoegaze qui pourrait venir d’Aberdeen, de Seattle ou de Vancouver. Raté ! Le groupe nous vient de Normandie. Hormis la pluie, rien à voir avec les villes précédemment citées. Au cours de leurs désormais 10 années d’existences, ils ont traversé les frontières en jouant aux States, multiplié par deux les passages chez KEXP et conquis, entre autres, les Dandy Warhols. Un enchainement de hasard joyeux qu’Elliot, le chanteur guitariste, nous passait en revue lors du concert à La Vapeur, le 16 novembre dernier pour l’Indie Day.
Une interview en partenariat avec Radio Dijon Campus

You Said Strange, vous êtes de Normandie, vous proposez depuis bientôt 10 ans une musique entre la psych-pop-rock, le shoegaze, le proto-grunge et le post-punk. Vous nous embarquez dans un voyage à la fois psychédélique et mélancolique. Vous vous placez où parmi tous ces styles compliqués selon vous ?
Eliott : Ouais bah en vrai, c’est un peu de tout ça. On se place où euh… Je sais pas, t’as un graphique ? Y’a un site internet qui s’appelle Every Noise At Once qui répertorie tous les groupes de la planète. Mais vraiment tous ! Du plus indé aux plus gros en les rangeant par genre. C’est une espèce de graphique sur une feuille blanche. C’est très simple, mais c’est assez étonnant de voir les placements.

On voulait en venir à votre rapport avec les États-Unis. Vous avez un rapport assez fort avec ce pays. On l’a vu dans plusieurs cas. Déjà avec “Dance for no one”, votre nouveau single qui est sorti hier. Vous l’avez fait en home studio ensuite mixé et masterisé à New York par Daniel J. Goodwin. Pourquoi cette manière de produire ?
Eliott : C’est quelqu’un avec qui on avait déjà travaillé sur l’album précédent. « Dance for no one », c’est sorti sur un EP qui est sortie en avril là. Il a bossé sur des disques qu’on écoutait. Un particulièrement dont on était fan qui est l’album Plum de Wand, qui est l’album clivant de leur carrière. C’est le moment où ils sont passés à autre chose et les fans étaient là, genre “Merde”. À l’origine, Wand c’est un truc noise bien bourrin. Ah bah là, d’un coup, ils sont arrivés avec un piano dès le premier morceau… Y’a pas mal de gens qui ont arrêté de les écouter. Mais il y en a eu pleins d’autres qui sont arrivés. Enfin bref. Et on a juste regardé sur Discogs les crédits parce qu’on s’est dit “le mix est vraiment incroyable”. Ça nous a touché quoi ! Et on a vu le nom de ce gars : Daniel James Goodwin. On l’a contacté et il a répondu direct. Il a fait le truc en deux semaines.

Le fait que ce soit un américain, ça n’avait pas d’incidence dans le truc ? Il n’y a pas eu de volonté de forcément aller par là-bas par ce qu’il y a un certain son ?
Eliott : Alors, évidemment ! Je pense qu’il ne sort pas de là pour rien ! Mais on n’avait pas dit “on va prendre un américain”.

Et vous êtes allés plusieurs fois aux États-Unis, vous avez même ouvert pour les Dandy Warhols ! Comment vous en-êtes arrivés là ?
Eliott : En fait, les Dandy Warhols sont passés au Tetris au Havre en 2015-2016 je crois. C’est le moment où on sortait notre premier EP. Leur première partie avait annulé. Et nous, on est de Normandie et donc y’a une personne de la salle qui nous a dit “je vais essayer de vous caler là-dessus”. Et il a envoyé notre EP aux Dandy et le guitariste a répondu « trop cool, ça nous va ! On a plus notre première partie, on les prend pour nos 5 dates en France ». On a fait 5 dates avec eux, on a tissé des liens ensembles et on a rejoué avec eux plus tard. Même encore l’année dernière. Et on a demandé au guitariste de produire notre premier album. On s’est dit « on la tente, on est déjà arrivé là avec un coup de chance”. Il nous a dit « ouais j’suis trop chaud ». Il devait venir en France à la base, mais c’était compliqué. Du coup il nous a dit « venez chez nous, dans notre studio, j’aurais tout mon matos ». On y est allé, on a passé un mois à Portland. On a rencontré des gens extraordinaires chez qui on a dormi. Suite à ça, on a rencontré pas mal de gens et le lien est resté avec Portland. Mathieu, notre batteur, a vécu là-bas pendant trois ans. C’est notre deuxième famille là-bas. On a créé quelque chose avec eux et on a eu un accueil assez incroyable. Donc, on a gardé ce lien musical et humain qui est très fort.


Pour finir sur les États-Unis. Vous êtes un des seuls groupes français et régionaux à être passé deux fois sur KEXP. Comment en êtes-vous arrivés là et qu’est-ce qui a changé entre la première et la deuxième fois ?
Eliott : Ça, c’est une espèce de hasard. J’avoue que par rapport à tout ce dont je vous parle avant, en fait, ça n’a rien à voir ! Cole, un des chroniqueurs de chez KEXP, était en vacances à Paris. Et il a acheté notre vinyle chez Balades Sonores, un disquaire parisien dans le 18ème. On s’est réveillé un matin avec une notif insta de KEXP. On était chacun chez nous, on s’est appelé en mode “c’est quoi ce délire ?”.

Il a peut-être été drivé par la pochette ou je ne sais quoi ?
Eliott : Ouais, il a kiffé la pochette. Exactement. C’est une photo de Charlotte Romain, qui est une photographe qui fait toutes nos photos depuis longtemps. Elle fait aussi beaucoup de visuels pour pas mal de groupes indés. Et effectivement cette photo avec ce gars en slip ça l’a intrigué, je sais pas. Et il a écouté vite fait, puis il l’a emmené avec lui. Suite à ça, on l’a contacté, au culot pareil, comme la première fois.

Genre “Ah t’as liké ? Nous on est dispo, on vient”.
Eliott : Bah ouais, on était dispo ! Et on lui a dit “est-ce qu’on fait une session ?” quoi. Et il nous a dit “moi, je peux pas vous faire venir, y’a des visas, des machins. Donc si vous venez chez nous, c’est vraiment si vous faites une tournée”. Et on lui a dit “bah figures toi qu’on en fait une”. Ce qui n’était pas vrai du tout. Du coup, on a booké la date chez KEXP. Et grâce à la date de KEXP, on a pu dire aux gens “mais on a fait KEXP !”. Et on a pu caler une tournée avec ça. (rires).

Du coup, ce qui est assez malin. Parce que, pour les gens qui savent pas, dans cette sphère indé, KEXP c’est un point cardinal. Il faut passer par là pour avoir une street cred quoi.
Eliott : Ouais ! C’est vrai que c’est hallucinant l’engagement qu’ils ont dans la musique indé. C’est vraiment incroyable. C’est des passionnés quoi ! Et le nombre de sessions qui se passent là-bas…


C’est ça ! C’est les premiers à le faire. Y’a des sessions qui ont dix, quinze ans.
Eliott : C’est ça. Dans un placard avec trois guirlandes. Et là, c’est devenu un truc de ouf ! Le studio là-bas c’est un lieu qui est ouvert au public en permanence, avec un magasin de disques, une scène, y’a un resto sur place. Fin, c’est assez intense. Et là comme avec les gens en général, c’est juste que ça c’est super bien passé avec Cole et on est resté très proche. Je pense que ça l’a fait marrer aussi de faire venir un p’tit groupe de Normandie qui sort de nulle part.

Et vous leur avez avoué que c’était du flan ?
Eliott : Ouais, on lui a dit plus tard, et il a dit “putain”. Mais, il a compris pendant la session parce que sa première question, c’était : “alors, on sait que les visas coutent très cher, que la douane est très dure. Comment vous avez fait, vous, petit groupe de Normandie pour venir jusque-là ?”. Et on lui a dit “on ne parle pas de ça du tout”. Et il a dit “ok, désolé” et ils ont coupé. (rires)


Parce qu’on peut le dire, on connait des groupes qui vont tourner aux États- Unis, et ils n’y vont pas avec leurs instruments et ils ne disent pas qu’ils sont en tournée. Parce qu’il y a ces histoires de visa, de trucs méga relou. Ça loue ou se fait prêter des instruments là-bas. C’était votre cas vous ?
Eliott : Nous c’est ce qu’on a fait les deux premières tournées. Après, y en a une où on a joué avec Slift sur une date, et après, on a fait 22 dates de notre côté au States. On a fait Montréal jusqu’à Orlando. Après, tout le sud. Texas, Nouvelle-Orléans, machin. Tout l’ouest. Tout le nord, pour revenir jusqu’à Montréal. On avait loué un van à Montréal.

Propos Recueillis par : Georges MILLIET & FLT // Photos : Philippe MALET