Barilla Sisters et Radio Tutti, deux collectifs de musiciens, sont unis par une même passion des musiques traditionnelles. Une passion concrétisée à travers plusieurs albums communs explorant les sonorités de la Galice et du sud de l’Italie et qu’ils viendront partager au public bisontin les 12, 13 et 14 décembre. Au menu des festivités, un concert (évidemment) aux 2 Scènes mais aussi un grand bal participatif à la Rodia et une conférence chantée au Conservatoire. On a conversé avec Pauline Rivière, co-directrice artistique des deux crews et musicienne au sein des Barilla Sisters (chant et tambourin) ; histoire de préparer au mieux ce voyage sonore à venir.

Jeudi 12 décembre, au Conservatoire de Besançon, vous allez devenir universitaires le temps d’une conférence sur la place des musiques traditionnelles dans le quotidien de l’Italie du sud. Quelle importance ces chansons peuvent-elles prendre dans nos vies ?

Même si la musique est au centre de nos vies modernes, elle n’a pas la même fonction que dans les sociétés traditionnelles, où elle rythmait tous les moments de la journée, accompagnait les gestes du travail, permettait des bals et des moments de danse au débotté, elle créait alors un commun qui était le liant des sociétés. Aujourd’hui, ces chansons portent le témoignage des sociétés telles qu’elles étaient organisées mais peuvent surtout encore nous émouvoir, nous émerveiller, nous donner de l’énergie et de la force.

Puis viendra l’Extrabal à la Rodia, une expérience musicale participative avec plus de 100 personnes sur scène. Comment on organise un projet de cette envergure ?

Ce projet a été écrit et pensé depuis deux ans, grâce au dispositif d’artiste associé porté par deux SMAC : Le Brise Glace à Annecy en 22/23 et la SMAC07 du territoire ardéchois en 2023/2024. Avec eux, nous avons écrit un nouveau répertoire mais surtout élaboré une pédagogie, des partitions et des supports qui permettent la participation d’artistes amateurs. Ici, nous avons la chance de travailler avec la chorale de la Rodia dirigée par Natee et le Conservatoire du Grand Besançon, avec la participation de l’orchestre d’Harmonie dirigé par Laurent Servent et la classe de danse contemporaine de Elisabeth Bardin. Pour qu’un projet tel que celui-ci fonctionne, il faut surtout compter sur des professeurs et des intervenants motivés, qui prennent en charge le suivi de l’apprentissage entre les répétitions. Nous avons eu avec chaque groupe deux répétitions, en octobre et en novembre et nous nous retrouvons tous pour la répétition générale le 11 décembre. C’est une sacrée aventure de coordonner tous ces intervenants et nous pouvons compter sur l’aide précieuse de la Rodia et du conservatoire pour rendre tout cela très fluide.

On redécouvre la puissance des rythmes de la musique traditionnelle, la beauté de leurs mélodies, les virtuosités des interprétations, et la capacité des danses collectives à re-construire le liant des sociétés.

Comment êtes-vous tombés dans les musiques traditionnelles ?

Pour ma part (Pauline), une première rencontre a eu lieu lors d’un stage au cours de mes études au Centre des Musiques traditionnelles en Rhône-Alpes, pour l’organisation des Jeudis des Musiques du Monde. Je ne connaissais rien à ces répertoires mais je me souviens m’être laissée prendre par la transe de la musique du Sud de l’Italie lors d’un concert un soir d’orage. Quelques années après, je suis allée vivre en Italie pendant deux ans. Lors d’un voyage dans les Pouilles, au cœur du Salento, nous sommes tombés sur une fête traditionnelle dans un village. C’était surréaliste : tout le monde dansait, chantait, petits et grands, grands-mères aux voix puissantes, petits jeunes au violon, femmes aux tambourins. Ça semblait aller de soit, cela m’a ému aux larmes, c’était fou. C’est là que je suis tombée dedans.

© Zoé Anicaux

Pour Pierre-Alexis, c’est un autre parcours. Un peu par hasard, le premier groupe avec lequel il a tourné – Glik – était un groupe de musique klezmer, musiques des juifs d’Europe de l’est. Ces répertoires servent la danse, les mariages, les rituels, toutes les fêtes et les moments de la vie, et la servent avec une énergie très forte, étourdissante. Cela a été sa porte d’entrée.

Qu’est-ce que les musiques traditionnelles disent de notre époque contemporaine ?

Les musiques traditionnelles ont toujours été actuelles, puisqu’elles continuent à être jouées, vécues et dansées dans de nombreuses régions du monde. En France, elles avaient été particulièrement délaissées et ringardisées notamment par la guerre qui a été menée contre les langues régionales et les cultures locales. Aujourd’hui, elles sont regardées sous un autre angle, un angle de la résistance d’une part, mais l’angle de l’histoire, de la culture, et de ce qui permet de faire corps dans une société. On redécouvre aussi la puissance de leur rythmes, la beauté de leurs mélodies, les virtuosités des interprétations, et la capacité des danses collectives à re-construire le liant des sociétés.

Est-ce que vous pensez que ces musiques ont le même poids et le même héritage en France que dans d’autres pays ?

Nous n’avons vraisemblablement pas le même héritage des cultures locales et traditionnelles en France et ailleurs. Les pays dont on connaît un peu les répertoires traditionnels – l’Espagne et l’Italie – sont des territoires qui ont su garder en partie leurs cultures traditionnelles, au moins leurs langues. Il y a 5 langues officielles dans le royaume d’Espagne, ce que l’on a tendance à oublier. Et en Italie, au moins dans le sud, tout le monde parle deux langues : l’italien et son propre dialecte. La conservation de ces langues a pu permettre une conservation des expressions des traditions. En France, les langues régionales ont quasiment toutes été perdues, subsistent les accents (dont on continue à se moquer). Des répertoires ont été conservés, ils ont pu être transmis mais plus comme des pièces muséales que comme des répertoires transmis oralement de génération en génération.

© Zoé Anicaux

Est-ce qu’il y a une chanson de votre répertoire que vous affectionnez particulièrement car elle a accompagné un moment précis de vos vies ?

Il y a une chanson qui nous tient particulièrement à cœur, que nous ferons lors du concert à la Rodia, conjointement avec les cuivres de l’orchestre d’harmonie, des percussionnistes et des chanteurs de la chorale de la Rodia. Elle a été écrite par une amie, Sophie Guillier, dans le style de la tradition des pandeireteras galiciennes, à l’occasion du décès de son grand père, pour donner à sa grand-mère la force de continuer. Cette chanson, nous l’avions apprise à notre orchestre d’adolescents en avril dernier. Une semaine après, une jeune fille de 17 ans de l’orchestre, qui était le soleil et l’énergie de vie est accidentellement décédée. Nous l’avons chantée tous ensemble à son enterrement. Depuis, ce chant fait partie de notre répertoire et nous lie à elle. Nous sommes heureux de la reconvoquer à chaque fois que nous le partageons.

À travers vos différents albums, vous avez exploré les sonorités de la Galice et des Pouilles. Est-ce qu’il y a une autre région du globe sur laquelle vous lorgnez ?

Nous ne sommes pas à l’abri d’une rencontre magique avec un nouveau répertoire ! Mais pour l’instant, nous restons fidèles à nos deux répertoires de prédilection. Notre prochain disque – Twang Club – qui sortira au printemps, a été écrit pour l’Extrabal et continue à explorer les répertoires du sud de l’Italie et de la Galice. Il offre des nouvelles pistes d’exploration avec un chant en lingua Franca, une langue véhiculaire utilisée surtout par les marins de la méditerranée jusqu’au 19e siècle. Celle-ci mélange des mots et des tournures d’espagnol, de français, d’occitan, d’arabe, de maltais, de turc, de catalan, de sicilien… C’est elle la langue sans frontière ! Et peut-être l’objet de nos futures recherches.

Texte : Picon Rabbane // Photo de couverture : David Bonnet