L’ancêtre de WhatsApp, des photos dépeignant la réalité de l’Amérique à la Norman Rockwell, et même un petit voyage au Vietnam… Le musée Nicéphore Niépce à Chalon plonge le spectateur au cœur d’un passionnant voyage dans les images, les lieux et les époques avec trois nouvelles expositions simultanées jusqu’au 18 mai.
De l’Amérique rurale du XXe siècle aux boulevards chargés en détails de Brooklyn en passant par le Vietnam… Jusqu’au 18 mai, Eveningside de Gregory Crewdson, Will Write Soon de l’Archive of Modern Conflict et Bottoms Up de Prune Phi, figent le temps au musée de la Photographie à Chalon. Premier arrêt (sur image) de notre épopée, Eveningside de Gregory Crewdson.
Comme au ciné
On pourrait y rester scotché des heures… La série Eveningside de Gregory Crewdson est la conclusion d’une trilogie de photos documentaires fictives produites entre 2014 et 2022. Prises dans des lieux réels de vie ou de travail réinvestis, les photographies en noir et blanc illustrent la distance entre les hommes et la nature, les hommes entre eux et les hommes et la société. Avec des moyens dignes du cinéma et une équipe de vingt personnes, chaque photographie est mise en scène telle un véritable film dont la perception change à mesure que les détails apparaissent au spectateur. L’intérieur d’une boutique à cent mètres, le reflet des flaques d’eau et des fenêtres… Le visiteur est placé en véritable voyeur et ne manque aucune miette de la scène.

Une photo nécessite deux semaines de prises de vues avant d’être assemblée, sous forme de collage. D’une série à l’autre, les modèles désincarnés et déshumanisés vieillissent, bougent et dialoguent entre eux. Les amateurs d’Où est Charlie remarqueront qu’aucun écran (TV, smartphone) n’est présent dans le travail de Gregory Crewdson, laissant le visiteur se faire sa propre interprétation de l’espace et du temps.
L’ancêtre de WhatsApp
Ancien relai royal postal, les 250 cartes photos n’auraient pas pu trouver meilleur foyer autre que le musée Niépce. Issues d’une collection privée, ces « real photos postcard », à mi-chemin entre photo argentique et carte postale, dépeignent la vie quotidienne des habitants de l’Amérique rurale du début XXe siècle. À l’heure où les voies postales se développent avec le système RFD (rural free delivery) et avec l’arrivée du Kodak en 1903, la correspondance photo devient très vite pratique courante. Comme une lettre à la poste, des moments de l’instant accompagnés de quelques mots de l’ordinaire sur l’image (ou au dos à partir de 1907) sont partagés.

En écumant les cartes encadrées aux murs ou placées dans des présentoirs, différentes thématiques se dévoilent au visiteur : la pratique féminine de la photo, le travail, l’installation du colon en Amérique du Nord, la crise de la pomme de terre, ou encore les catastrophes pour informer ou faire vendre… Prises par des anonymes ou des professionnels, ces images voyageuses punaisées et manipulées ont participé au maintien des liens sur le territoire américain au XXe siècle.
Du Vietnam au sud de la France
Petite escale au Vietnam avec Bottoms Up de Prune Phi, primé et produit par Les Ateliers Vortex. Le travail de l’artiste s’est principalement axé autour du restaurant de son grand père « La Rizière » et tout ce qu’il contenait. À partir de photos d’archives familiales, l’exposition questionne sur la présence et la consommation du riz de Camargue et le rôle des travailleurs forcés indochinois pendant la Seconde Guerre Mondiale en France.

En entrant dans la pièce, une étagère noire aux formes peu communes interpelle. Inspirée de l’esthétique du mobilier asiatique, elle contient des verres à saké renfermant des images d’archives. « Les verres collectés contenaient à l’origine des corps nus de femmes et d’hommes asiatiques qui étaient visibles lorsque du liquide y était versé. J’ai décidé de réinterpréter ce souvenir d’enfant et de le réparer », indique Prune Phi en dénonçant la violence de l’occident. Conseil de la rédaction, prévoyez votre journée, au risque de ne pas arriver au terme de ce marathon photo au musée Niépce !
Texte : Killian Cestari // Photos : Killian Cestari & Archive of Modern Conflict