Après Karen Patouillet (UMP) et Laurent Grandguillaume (PS), voici le troisième rencard politique chez Sparse, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle. Pour situer un peu notre affaire, on est cette fois côté « centre-droit » sur l’échiquier politique. Ancien directeur général de la Techno Parade et programmateur à l’An-fer, Lionel Fourré est aujourd’hui conseiller en communication. Engagé en politique, il est également porte-parole de la fédération de Côte d’Or du Parti Radical. L’interview s’est déroulée ce mardi chez Miss Cookies Coffee Shop (rue de la Poste) dans des conditions optimales pour aborder des sujets divers et variés : l’économie, le Zénith, la musique électronique, Jean-Louis Borloo, le tramway, le téléchargement illégal ou encore la venue des Daft Punk à Dijon. Hé ouais, mais c’était il y a 15 ans.

 

Vous venez d’où, Lionel Fourré ?
Je suis né à Épinay-sur-Seine, dans le 93. On a ensuite vécu en Normandie et je suis arrivé en 1988 à Dijon. Mutation de mes parents. Mais je me considère vraiment comme dijonnais.

Pas d’envie de partir ?
Ma base sera toujours Dijon. Je ne me vois pas m’installer ailleurs, je ne suis pas un baroudeur, et puis bon, il y a beaucoup de choses à faire ici. C’est une ville qui n’est pas très dynamique…

Ah ? A quels niveaux ?
Quand on voit que le développement numérique, c’est pas avant 2025, je trouve ça regrettable. Surtout au moment où il y a une mutation technologique qui est plus que rapide. En 2025 quand les lignes numériques seront totalement installées, il y aura une autre technologie. Ensuite je pense que le milieu culturel dijonnais est dynamique mais il n’y a pas l’essor qui mériterait à Dijon. Je suis peiné qu’il n’y ait pas un grand festival par exemple. On a tout pourtant.

C’est la municipalité qui bloque ?
Oui je pense. La municipalité a fait le choix de multiplier les aides dans différents domaines au détriment d’un grand festival. Alors c’est bien, ça permet d’avoir des projets dans les quartiers, mais à côté de ça il nous manque un vrai phare. On pouvait espérer que le Zénith en soit un. Mais ce n’est pas un phare culturel. C’est un lieu populaire, bon… à 40 euros la place quand même ! Quand le maire de Dijon a fait campagne en disant que l’Auditorium était un produit élitiste, si on compare les deux au niveau du prix, je ne sais pas lequel est un produit élitiste. On est loin des tarifs de la Péniche Cancale. C’est bien d’avoir les tournées de comédies musicales… mais…

Ouais, c’est naze.
(rires) On va avoir The Voice ! Waouw ! C’est super ! Non mais à Dijon, vu le nombre de théâtres, vu le nombre d’infrastructures « élitistes » au sens noble, on pourrait espérer que l’Auditorium soit mieux utilisé, et que le Zénith soit utilisé différemment.

Mais du coup ça voudrait dire aussi moins d’argent pour les petites associations qui défendent des arts moins accessibles, mais tout autant nécessaires.
Je pense qu’on peut utiliser aussi l’argent public différemment. Quand j’entends que certaines soirées à la Vapeur étaient encore subventionnées alors qu’elles faisaient le plein… c’est pas possible ! On ne doit pas subventionner une soirée qui fait le plein. Il y a un moment où il faut qu’elle trouve son modèle économique. Que son modèle économique soit fragile et qu’on le soutienne oui, mais ce modèle économique doit être tourné vers la rentabilité. Il y a un juste milieu à trouver. Par exemple au lieu de donner 100% on ne donnera que 50%, et…

…La subvention, c’est aussi permettre à toutes les cultures de s’exprimer, non ?
Oui, mais il ne faut pas qu’une masse d’argent soit utilisée là où il y a un modèle économique qui peut exister. C’est un rééquilibrage, une façon de voir la culture.

Et la scène électronique dijonnaise, vous la trouvez comment ? Sans comparer avec le passé.
(rires)
C’est toujours compliqué quand on a connu l’âge d’or. Aujourd’hui c’est plus difficile. On a vécu une période extraordinaire. Il nous manque un phare ! Mais elle existe toujours cette scène, elle est dynamique, on la voit un peu renaître à travers la Péniche Cancale, les soirées à la Vapeur qui ont ramené un certain souffle que j’avais connu il y a quelques années. Le Tsar, le Chat Noir, le Bento aussi… voilà, il y a des choses qui se font. Maintenant il ne manque plus qu’un événement. Mais je pense que c’est encore possible, je ne désespère pas. Je pense que la période 1988-2002 est passée, la musique électronique a évolué, les cachets des artistes ont aussi changé. Il y a des choses à créer, il faut le faire !

Tiens justement, il y avait Ivan Smagghe samedi dernier à Dijon.
Oui, Ivan Smagghe je connais, c’est un artiste super pointu, tordu dans sa musique. Non mais voilà, on ne les voyait plus ces artistes là. Là, ça revient…

Grâce à des petites associations justement.
Oui, mais si le lieu est rempli, les subventions ne doivent pas… comment dire…

En remplissant le lieu, sur cet exemple précis, ça ne rembourse même pas le cachet de l’artiste.
Dans ce cas je pense que c’est à l’artiste de faire un effort. C’est trop simple de se dire que l’argent public va permettre de payer le cachet de l’artiste. Simplement, je pense qu’il doit y avoir un juste milieu. Je connais les histoires de cachet : quand ils jouent dans des clubs parisiens ils ne prennent pas la même chose que dans les clubs en province. Donc l’artiste doit se dire « je joue devant 100 personnes, ma valeur marchande elle est sur 100 personnes ». Sauf erreur de ma part il n’y a pas eu 2000 personnes en train de faire la queue pour Ivan Smagghe. Qu’il prenne un gros cachet quand le club fait 800 personnes, je peux comprendre, mais là il joue dans un lieu culturel qui fait 100 places, il doit s’adapter. Je comprends que la subvention fasse qu’on aide à faire venir un artiste comme ça, mais lui aussi doit faire un effort par rapport à la capacité du lieu.

Sur l’idée du gros festival à Dijon, vous rejoignez l’opposition municipale.
Oui, effectivement. Mais je ne crois pas que ça soit une question de majorité ou d’opposition. C’est une question de vision. L’équipe de François-Xavier Dugourd a cette vision là et je la partage entièrement. On connaît Belfort pour son festival, Avignon c’est pareil. Maintenant on connaît Dijon pour le foot. Mais on ne connaît pas encore Dijon pour son milieu culturel. Et on nous avait promis des grands artistes au Zénith…

 

« Je suis contre le fait qu’on télécharge
sans l’autorisation de l’artiste »

 

Vous êtes venu comment à la politique ?
C’est au fil de l’histoire. Quand j’étais vice-président puis directeur général de la Techno Parade, je m’occupais aussi des relations avec les institutions. A un moment tu te dis  « tiens il faudrait faire ci, ou ça », et t’as envie d’y aller. C’est bien d’apporter des idées mais c’est aussi bien qu’elles soient mises en place. Il y a par exemple une loi -qui ne porte pas mon nom- sur le téléchargement légal que j’ai apportée.

J’ai lu dans la Gazette que vous étiez ravi de la fermeture de Megaupload.
(rires) Oui ! La problématique ce n’est pas…

…Vous n’avez jamais téléchargé illégalement un truc ?
Non, je ne télécharge pas.

Même pas une fois ?
Non, non ! (rires) Ce qu’il faut se dire, c’est que quand je télécharge illégalement, je ne paie pas l’œuvre. L’artiste, quel qu’il soit, ne gagne pas l’argent ! Le guitariste qui a fait la boucle, le chanteur qui a fait la voix… ils ne touchent rien du tout.

Ok mais on peut aussi se dire qu’on aurait pu découvrir un artiste grâce à ce téléchargement, on serait allé le voir en concert ensuite, etc.
Je suis contre le fait qu’on télécharge sans l’autorisation de l’artiste. Si demain vous faites un morceau et vous décidez de le mettre sur un site de téléchargement illégal. Vous faites ça car vous pensez que dans le cadre de développement de votre carrière, c’est important, car on va peut-être vous découvrir. Alors OK. Si on prend un morceau d’Ivan Smagghe et qu’on le met sur un site de téléchargement illégal, bah Ivan Smagghe il ne gagne pas d’argent. Alors qu’est-ce qu’il fait ? Il augmente un peu plus son cachet car il faut bien qu’il vive. On a eu cette période où beaucoup de gens allaient voir des spectacles, les cachets ont augmenté. Et aujourd’hui ils ont tellement augmenté, le prix des billets sont tellement hauts qu’on a moins de monde qui viennent. Il faut que toutes ces personnes qui téléchargent illégalement comprennent qu’elles participent à la création et à la vie des artistes. Du producteur au distributeur.

Vous êtes porte parole de la fédération de Côte d’Or du Parti Radical, donc vous soutenez Nicolas Sarkozy ?
(sourire en coin)
Le Parti radical a, début mars, voté à 75% pour que Jean-Louis Borloo soit exigeant sur ce ralliement auprès de Nicolas Sarkozy.

Ok le Parti Radical soutient Nicolas Sarkozy, mais vous ?
Je dirais que j’ai été déçu pendant ces 5 ans, sur différents sujets, sur des propos qui m’ont blessé.

Comme quoi par exemple ?
Des propos sur les immigrés, des propos clivants… des propos qui n’étaient pas au rendez-vous de la situation. On ne peut pas remonter la TVA de 5,5% à 7% et sans se dire auparavant que le bouclier fiscal, ce n’était pas une bonne solution économique à ce moment là. Mais je me positionne dans la lignée de mon parti et mon parti soutient Nicolas Sarkozy.

Ça doit être chaud quand même, non ?
Je fais partie d’une équipe, la majorité a voté, moi je suis pour un ralliement exigeant. Jean-Louis Borloo a imposé des thèmes, le Parti Radical a beaucoup travaillé sur l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine). C’est la rénovation des quartiers, à Dijon par exemple c’est la rénovation des Grésilles, le tramway. Ce sont des choses que Jean-Louis Borloo a portées, qui n’étaient pas dans la campagne.

Le Parti Radical se situe au centre-droit. C’est quoi la nuance avec les autres partis comme l’UMP ou le Modem ?
J’ai l’habitude de dire qu’il y a des droites et des gauches. Par son histoire, le Parti Radical, qui est le plus vieux des partis politiques (né en 1901), a des valeurs humanistes, écologiques, de fraternité, sociales. Maintenant par son histoire récente, ça s’est clivé un peu. Le Parti Radical est très laïque. Le Modem par exemple a pris une position un peu plus « américaine démocrate ». Après je suis, comme l’ensemble du Parti Radical, favorable à ce que dans cette prochaine mandature il y ait un groupe centriste, en tout cas rassemblé, à l’Assemblée nationale. Et concernant Nicolas Sarkozy, il est aussi favorable à ce qu’il y ait un groupe comme cela à l’Assemblée. Ça changera aussi le fait qu’on puisse faire entendre notre voix différemment sur certains textes, certaines visions.

 

« Le maire aurait du tout faire pour que la boutique
Apple soit au centre-ville au lieu de la Toison d’Or »

 

Globalement la campagne, vous la trouvez comment ?
Décevante. On pouvait s’attendre à des choses un peu plus fortes, à une direction un peu plus claire. Il a fallu attendre ces derniers jours pour entendre les vrais projets sur notre avenir. Sur comment on va s’en sortir.

On est mal là ?
(rires) Je pense que les 5 prochaines années vont être des moments très compliqués, quel que soit le président. Il faut réindustrialiser la France. Combien de temps ça va mettre ? 5 ans ? 10 ans ? Donc il nous faut des dispositions rapides pour que l’emploi revienne vite. Il faut absolument alléger, je pense, la TVA et les charges sur tous les emplois liés aux services. Ce n’est certainement pas normal que le coiffeur, le cordonnier, le maçon aient une TVA à 19,6%. Pour le coup, le maçon, c’est passé à 7%. Je pense qu’on pourrait sur ces emplois et ces services avoir une TVA intermédiaire, autour de 10-12, qui permettrait de dégager de la masse monétaire pour pouvoir embaucher. Mais on ne peut pas attendre 5 à 10 ans pour un retour industriel en France, il faut aller vite. Il ne faut pas laisser sur le carreau des jeunes, des moins jeunes, et attendre que ça reparte. Je suis favorable à ce que sur tous les produits importés, on augmente la TVA. Sur l’ordinateur, sur la voiture… Ça ne serait pas particulièrement grave de passer la TVA à 25% un temps donné, si elle permet à côté de ça de baisser les charges sur les salaires en France. Il faut aller vite, on n’a vraiment plus le temps ! L’économie est en train de coincer. On coince parce qu’on a beaucoup de chômeur. Et ça pèse sur la dette, ça pèse sur tout.

Bayrou vous le trouvez comment ?
Décevant ! Moi j’étais favorable à une candidature au centre. J’ai espéré que Jean-Louis Borloo soit ce candidat, il a fait un choix différent.

Pourquoi il n’y est pas allé ?
Il a pensé qu’il n’y avait pas l’espace. En tout cas on voit bien que Bayrou a une place pour faire dans les 10-12%, on verra dimanche. J’aurais préféré que cet espace là soit utilisé par Jean-Louis Borloo, pour faire entendre nos différences. Bayrou a un bon pronostic mais il n’explique pas comment il résoudra la crise.

Vous êtes conscient que Jean-Louis Borloo et Rama Yade ont des images de grosses girouettes ? Surtout Rama Yade qui avait été super sévère sur Sarkozy, et là qui s’est ralliée à lui également.
Le problème, c’est qu’à partir du moment où on n’a pas de candidat, y’a pas vraiment de choix. La logique c’est « ou dans un camp ou dans l’autre ». Il a été négocié un certain nombre de circonscriptions pour préparer l’avenir. C’est un ralliement…

…Stratégique.
Oui, stratégique. Voilà, on ne va pas rejoindre Hollande.

Donc c’est assez normal qu’on vous traite de girouette en fait.
On résoudra le problème le jour où on fera de la proportionnelle. Moi j’y suis favorable à 100%, dans les territoires. Et au moins on reviendra au débat des idées et pas au débat des hommes. Le problème c’est qu’aujourd’hui on a perdu le combat des idées au profit du combat de l’image de l’homme politique. On ne vote plus pour ses idées, on vote pour ce qu’il incarne. Revenons à la proportionnelle !

Quels sont les grands sujets à Dijon, en ce moment, selon vous?
Déjà, que va-t-on faire du centre-ville ? Le choix du tramway est une erreur historique. Aujourd’hui, on est en train de vivre une mutation économique, on va vers la consommation via Internet, donc avec moins de déplacement en boutique. La Fnac, les billets d’avion, même les vêtements… tout s’achète sur Internet. Et en même temps, ce tramway étouffe cette idée de déplacement au plus près de la boutique. Le maire aurait du tout faire pour que la boutique Apple soit au centre ville au lieu de la Toison d’Or. C’est un vrai pôle d’attractivité, et il manque ce genre de pôle au centre ville. Alors OK on va pouvoir mettre des terrasses, des restaurants, mais à un moment donné il y a une limite à tout ça. Et si les gens ne viennent plus en ville, ça sera terrible. On peut aussi parler de la création d’emploi qui en découle, car à chaque boutique qui ferme c’est 3-4 personnes qui sont licenciées. Ensuite, il y a l’attractivité globale de Dijon : je pense que le développement de l’aéroport est aussi un sujet important. Et enfin il y a la culture. Voilà, ce sont les 3 thématiques sur lesquelles il faudra se battre dans l’avenir.

Votre quartier préféré de Dijon ?
Fontaine d’Ouche ! Parce que j’y suis tous les jours, ma mère y vit encore, ma sœur aussi.

C’est là-bas que vous travaillez ?
Oui, une grosse partie du temps. C’est un quartier que j’aime, qui n’est pas simple, qui a des difficultés. Mais là on est au contact de la réalité de la vie des gens.

L’An-fer, c’était comment ? (ndlr : club mythique des années 90 à Dijon)
J’avais 20 ans, et en fait j’y suis rentré pour implanter la musique électronique de façon plus globale. Quand Tonio, le dj de l’époque, m’appelle et me dit « Lionel, viens, on lance des soirées de musiques électroniques à l’An-fer », c’était un gros souvenir. Je me souviens de la première soirée de la résidence de Laurent Garnier aussi.

Et Daft Punk ?
C’est moi qui les ai fait venir la première fois ! Pour la petite histoire, j’étais agent d’artistes et on me disait « Y’a un groupe dans le sud -parce qu’à l’époque les raves étaient dans le sud de la France- c’est un truc de ouf, faut que tu viennes ». C’était dans un entrepôt et ils jouaient en plein air. Y’avait un laser au dessus de leurs têtes, il pleuvait. Un souvenir magique ! Et je leur ai dit de venir à l’An-fer. Donc l’histoire c’est qu’ils ont fait leur dernière date avant d’entrer en studio (pour enregistrer le classique Homework) à ce moment là. Puis ils sont revenus, mais c’était pas avec moi, faire la première date au moment où ils allaient lancer l’album. Des anecdotes il y en a tellement à l’An-fer ou dans la musique électronique à Dijon. Je me souviens aussi d’un 13 ou 14 juillet où il y avait Jeff Mills, Aurora Borealis / Shazz et Laurent Garnier. Je crois que c’est un des plus beaux plateaux jamais faits. Il y a eu aussi Josh Wink… bref, y’en a tellement.

Pour finir, un mot sur Vitalic ?
C’est la star ! Je me souviens de lui à l’époque, on sentait que c’était en lui, il avait ça. Maintenant il fait le tour de la planète ! Mais voilà, c’est le genre d’artiste qu’on devrait soutenir et mettre en avant encore plus ici à Dijon, lui donner des cartes blanches, au Consortium par exemple. Il y a de l’énergie, il faut l’utiliser. Quand je vois ce qui est fait à la Péniche Cancale aussi. Poussons, poussons !

 

Propos recueillis par Pierre-Olivier Bobo