Philippe Langlois est musicologue, artiste sonore et producteur de l’Atelier de création radiophonique de France culture de 2002 à 2011. Bref, il s’intéresse (entre autres) à tout ce qui tourne autour des musiques électroacoustiques et concrètes. De passage à Dijon lors du dernier temps fort de la saison Ici l’Onde pour une conférence intitulée « Des nouveaux sons pour un nouveau cinéma ? », on en a profité pour lui demander sa filmographie idéale. Entretien.

La Jetée, de Chris Marker (1962)
C’est un chef d’oeuvre pur. Pour une fois qu’on entend des voix en allemand chuchoter au lieu d’hurler dans un film de guerre… Le scénario est tellement intelligent, la musique de Trevor Duncan, la voix de Jean Négroni, tout est ciselé. À une époque où il passait rue Rambuteau tous les jours à 17h, je ne compte pas le nombre de fois où je suis allé dans cette salle juste pour le revoir, il y a même des fois où j’étais tout seul… et c’était de grands moments.

Le Tempestaire, de Jean Epstein (1946)
Un film assez méconnu, injustement descendu par la critique lorsqu’il est sorti en 1946, mais qui était un court métrage très beau et également une aventure sonore particulière.

2001, l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick (1962)
Forcément. Parce que c’est un film fou, au niveau du son, de la construction, de l’intelligence. Kubrick a touché à l’excellence avec ce film là.

THX 1138, de George Lucas (1971).
Aussi un film important au niveau de l’histoire du cinéma, de l’histoire du son au cinéma.

Sa majesté les mouches, de Peter Brook (1963)
Peut-être moins en lien avec la musique, mais il m’a énormément touché quand j’étais jeune. Un film où les images sont magiques, notamment la séquence de la mort de l’enfant sous l’eau… Une séquence de rituel autour du feu d’une beauté qui m’a vraiment marqué.

Arnulf Reiner, de Peter Kubelka (1960)
Un film de cinéma expérimental avec quatre éléments : une image noire, une image blanche, du bruit blanc et du silence. C’est juste la permutation de ces quatre éléments qui fait ce film. Peut-être le plus radical de l’histoire du cinéma, il questionne le cinéma jusqu’à la notion de photogramme.

Enthousiasme, la symphonie du Donbass, de Dziga Vertov (1930)
En documentaire c’est forcément ça. Je le connais par coeur, j’adore ce film, il est vraiment incroyable. C’est le premier film sonore russe, de Vertov. L’essence de la musique concrète employée au cinéma en 1930.

Les films de Piotr Kamler : Délicieuse catastrophe (1970), L’araignéléphant (1967), Le labyrinthe (1969), Reflets (1962)… Au service de la recherche, ils sont justes hallucinants, avec la musique de Bernard Parmegiani ou François Bayle. Des films renversants.

 

Orange Mécanique, de Stanley Kubrick (1971)
C’est rigolo parce que Walter Carlos, qui a fait la musique et qui est compositeur de musique électroacoustique, est un des premiers transsexuels de l’histoire de la musique électroacoustique. Avec ces musiques là on travaille forcément sur la notion de transformation du matériau. Quand on regarde la vie de Walter Carlos, sa production musicale et la mutation qu’il a opéré en devenant une femme, c’est quelque chose qui prend tout son sens. C’est l’histoire de sa vie dont il est question. Quand Kubrick l’utilise, il y a un coup de génie là-dedans.

– Propos recueillis par Mélaine Launay
Photo : M.L.