Depuis quelques semaines, une affiche retenait toute mon attention. On y lisait en grosse lettres rouges : « F.B.I. ! » Aux États-Unis, c’est la plus célèbre des marques de policiers. Dans la vallée de l’Ouche, à quarante bornes de Dijon, ça devient le « Festival Bligny-sur-Ouche Imitations ». Tout simplement. C’était parti pour une soirée cabaret pleine de rencontres étonnantes.

Me voilà sur place une heure avant le début des hostilités. C’est la deuxième et dernière soirée du festival, installé dans le gymnase omnisports de Bligny-sur-Ouche, transformé pour l’occasion en salle de spectacle. Moquette violette toute neuve, éclairage pro, régie, grande scène, acoustique travaillée… Gérard Delalleau (photo), organisateur du festoche, et son crew de bénévoles ont mis les petits plats dans les grands. Si Gérald Dahan est ce soir à Bligny-sur-Ouche en tant que parrain du F.B.I., c’est clairement grâce à Gérard qui a sorti son carnet d’adresses. Inventeur de TVO, la télé de la Vallée de l’Ouche, l’artiste à la retraite est aussi l’ex-propriétaire du dîner-cabaret La main au Panier, à Paris, l’endroit où tout a commencé pour Patrick Sébastien… Il contrôle tout de manière discrète sur ce premier F.B.I. et c’est bien sûr lui qui me conduit directement dans la loge du parrain : Gérald Dahan.

Masterclass

Installé avec sa femme et son pianiste, Dahan est très concentré mais reste maître de sa communication. Sa carrière va des voix pour les Minikeum’s, dans les années 90 sur France 3, aux cabarets parisiens et aux one man shows, en passant par des canulars téléphoniques. Ce qui l’a convaincu de venir à Bligny-sur-Ouche : « l’argent bien sûr ! » et son copain Gérard Delalleau surtout. Ils se sont rencontrés à Bobino où Gérald Dahan avait auditionné devant Phil Bouvard himself. Il regrette qu’il y ait si peu de concours d’imitations, il est donc ravi de venir au F.B.I. aussi pour ça. Ça permet de passer le flambeau aux jeunots qui vont prendre la relève. Par contre, donner des conseils, « ça sert à rien, car les gens n’en font qu’à leur tête. Et de toutes façons, c’est des erreurs et des échecs qu’on apprend le plus. » Il conseille malgré tout aux jeunes pousses d’être convaincues que ce métier, humoriste, comique, imitateur, est leur raison d’être, et d’avoir le cuir dur, car c’est très éprouvant moralement. « Faut être prêt à encaisser des coups, parce qu’il y en a pas mal. »

Tu m’étonnes. Gérald s’est fait virer deux fois de Rire et Chansons pour être allé trop loin. Autre moment mémorable, cette chronique en 2010 dans la matinale de France Inter au cours de laquelle Michèle Alliot-Marie ne goûte pas du tout son humour et se décompose devant lui, dans une colère très froide. Dahan est viré le lendemain par Philippe Val, qui avait déjà aligné sur une brochette les têtes de Stéphane Guillon, Didier Porte et Raphaël Mezrahi. France Inter parlait à l’époque de divergences artistiques, Dahan de limogeage politique.

« Moi je piège des personnes puissantes, ça m’intéresse pas de piéger des petites gens, donc forcément je m’suis fait des inimitiés de gens qui pèsent ! Et y a des chaînes sur lesquelles je peux plus passer. »  Dahan, pas blasé mais réaliste.

Sur le débat éternel de la censure et l’autocensure chez les comiques, sa position est également très claire : « à partir du moment où c’est drôle, on peut le dire. Mais l’humour c’est subjectif, donc ça fait pas forcément rire tout le monde. Quand tu passes à la télé aujourd’hui, tu vas forcément choquer une minorité de gens, puisque la majorité du public est finalement constituée de minorités. De toutes façons on peut pas plaire à tout le monde, et faut pas trop s’interdire de dire ce dont on a envie, sinon les autres s’en chargent. » Être en avance sur la concurrence, une règle d’or.

« La prochaine fois, j’irai voter sous GHB. Comme ça, au moins, je me souviendrai plus de qui m’a baisé. »

Je lui demande si c’est dur de durer. Il me précise que c’est surtout dur de se renouveler. D’autant plus que, pour un imitateur, se faire remarquer et rester remarquable, c’est imiter des personnes que les autres n’imitent pas. Il faut avoir dans son panel de voix celles que les autres n’ont pas. Il faut se renouveler, sinon, ça ne tient pas longtemps, et avoir le goût pour l’actualité, ça permet de renouveler les textes.

En 2012, il s’était engagé dans la campagne de François Hollande. Il le regrette amèrement. Et confie : « la prochaine fois, j’irai voter sous GHB. Comme ça, au moins, je me souviendrai plus de qui m’a baisé ». Définitif. La prochaine présidentielle lui inspire un nouveau spectacle : Dahan Présidents. La pelletée de futurs candidats l’inspire.

L’interview terminée, je profite du bar en attendant le spectacle, et j’ai de la place puisque le public zappe quasi systématiquement la buvette et file directement trouver une chaise bien placée. La salle est pleine, pas loin de 500 personnes. Un succès par rapport à la soirée précédente, qui n’en a attiré que 200. L’économie du festival est fragile.

Le concours des imitateurs : peut mieux faire…

Soyons clair. La première partie est des plus moyennes et sans grand enjeu, tant le décalage entre les deux rookies ressemble à une finale de Coupe de France PSG – Gueugon. Florian Pélicaud, premier à passer sur scène, n’est tout simplement pas très drôle, comme paralysé par l’enjeu. Mais heureusement pour nous et pour lui, son supplice ne dure que dix minutes. Quand au deuxième candidat, Philippe Chatain, c’est mieux, mais ça manque quand même de maîtrise dans certaines imitations. Peut mieux faire, mais très suffisant pour tauler son adversaire. Le présentateur envoie le public voter – une formalité – et surtout boire un coup à la buvette. Gérard Delalleau, toujours partout, tape le carton avec une p’tite dame et lui envoie des mirettes plein les yeux : avec Dahan sur scène, ce soir, c’est l’Olympia à Bligny-sur-Ouche. Carrément !

Cabaret, bonnes vannes et bières bien fraîches !

De fait, Gérald Dahan envoie son récital et fait se lever le public au final pour plusieurs standings ovations. Mon voisin de derrière s’est gondolé tout du long avec une régularité de métronome. Très contagieux. Dahan et son pianiste connaissent leur partition et ont livré des numéros de cabaret de très bonne tenue pourvu qu’on y soit sensible. Imitations diverses d’hommes politiques, d’artistes, avec les classiques : Timsit, François Hollande, Sarkozy… Punchlines et  grosses vannes sur l’actualité politique, reprises de chansons ; le public suit et se marre comme un seul homme. Le spectacle s’achève sur les résultats du concours d’imitateurs, avec sur scène les élus locaux, festival de proximité oblige. Et c’est sans surprise Philippe Chatain qui gagne le droit de se produire pendant une semaine au cabaret parisien le Don Camillo. Le bar reste ouvert. 2€ la bière, ça tourne bien. Gérald Dahan vend des DVD et signe des autographes. Les gens profitent. C’est pas toutes les semaines que Bligny-sur-Ouche propose une soirée de gala. Entre deux bières, je surprends le taulier, Gérard Delalleau qui tire des plans sur la comète et réfléchit tout haut à la tête d’affiche pour la prochaine édition. Patrick Sébastien, Bernard Mabille… son carnet d’adresse est blindé. Rendez-vous en 2017.

– Nicdasse Croasky
Photos : DR