Ryan Lee West peut se vanter d’avoir été une des premières signatures du label Erased Tapes, il y a dix ans, à l’époque ou il sortait des morceaux sous le pseudo Apparatec. Devenu entre temps Rival Consoles, et quelques trois albums plus tard, le producteur fait désormais le tour du monde avec sa musique électro, entre techno minimale et envolées synthétiques, façon Rone première période. De la musique électronique oui, mais analogique, et tout en nuances.

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De passage au Consortium pour le Festival MV, il s’est prêté au jeu des questions. Rencontre avec un guitariste anglais, fan de pop et des Beatles.

Le premier EP est sorti en 2007, pourtant le projet est resté assez confidentiel encore quelques années. Quand as-tu senti que le projet avait réellement décollé ?

C’est tout récent, depuis 2014 seulement. Et cela coïncide avec le moment ou j’ai décidé de réduire le nombre d’instruments et de machines que j’utilisais. Maintenant je sais vraiment où je veux aller. C’est le cas avec n’importe quel instrument, les dix premières années tu fais des trucs assez mauvais, et ensuite tu te sens assez à l’aise et tu commences à comprendre ce que tu veux faire, tu développes ta sensibilité. Ça fait seulement trois ans que j’arrive à exprimer quelque chose au-delà de l’équipement.

Quand as-tu commencé à détourner l’usage des instruments ? Je pense par exemple à ta voix que tu utilises comme un synthétiseur.

C’est un travail récent aussi. Je connaissais déjà les techniques mais j’avais besoin d’expérimenter davantage. Maintenant j’ai l’impression de le faire avec la bonne approche.

Il y a quelque chose d’assez éthique au final dans ta démarche de production avec le refus par exemple d’aller piocher tes sons dans les banques mondiales, et tout ton travail analogique. Es-tu d’accord avec ça ?

Hum, laisse-moi réfléchir… C’est vrai que je suis assez minutieux dans la production, et que je ne choisis jamais la facilité. Souvent j’ai l’impression de sentir des éléments qui pourraient fonctionner mais je ne les sélectionne pas forcément. Je me ferme régulièrement des portes, volontairement. (Rires)

Penses-tu que la production doit être une étape douloureuse ?

Non pas forcément, car il est possible de faire un truc incroyable assez rapidement, sans trop d’effort. Mais quand tu écoutes de la musique depuis longtemps, tu es tellement conditionné par les idées des autres et leur musique que faire quelque chose facilement semble presque impossible.

Dans la construction de tes morceaux, tu vas à l’encontre de ce que font la plupart des producteurs électroniques. Pourquoi ?

Oui c’est vrai, cela vient sans doute de ma pratique de la guitare. Ma musique utilise les codes propres à la techno, la house, mais avec la perspective d’un auteur-compositeur de chansons, ça peut taper comme de la techno et être très doux comme un morceau acoustique. Je reste un guitariste avant tout, je n’ai d’ailleurs jamais écouté beaucoup de techno, j’ai toujours été plus influencé par des groupes, même maintenant.

Quelles sortes de groupes ?

J’ai grandi en écoutant les standards anglais : les Beatles, les Stones puis Radiohead et pas mal de rock alternatif.

Tes synthés sont reliés à des pédales d’effets de guitares et tu es également adepte de field recording. Ton approche est aussi très technique ?

Oui, j’enregistre pas mal de sons en extérieur mais également en studio, tous les bruits de cliquetis, les percussions… J’enregistre beaucoup d’éléments en peu de temps, que je réécoute ensuite. J’aime que ça aille vite, car trop de technicité tue un peu la créativité. Alors j’essaie de ne pas en abuser non plus. Le gros du travail c’est l’écoute, le tri de toutes ces choses, avec pas mal de trucs merdiques mais aussi des choses excitantes. C’est une approche assez simple.

Pas facile de déterminer quelles émotions tu as voulu communiquer sur le dernier album Howl, tant on navigue constamment entre espoir et tristesse…

J’aime la musique douce-amère, triste mais pas dénué d’espoir, et j’espère que le public arrive à ressentir cette ambivalence. « Zona », le titre d’ouverture, est pour moi un truc très joyeux, tout comme « Helios » et ses trois accords qui sont les accords de base qu’on apprend aux enfants.

Tu utilises ta voix sur deux morceaux de l’album, qui sonne au final comme un synthé. C’est un travail que tu voudrais approfondir ?

Oui je les utiliserai à nouveau, mais de façon plus intense. J’ai un micro de contact que je clipse dans ma bouche et j’enregistre ces sons le matin. Simple mais puissant, le principe me plaît.

En live, tu utilises quel matériel, comparé au studio ?

C’est exactement le même. C’est un choix délibéré car je voulais être capable de reproduire aussi vite en live ce que j’arrivais à faire à la maison. Je me suis forcé il y a quelques années à rendre ces deux procédés, live et studio, identiques. Ça faisait bien dix ans que j’y pensais, et ça peut sembler logique mais ça m’a pris des années avant d’arriver à cette conclusion… (Rires) C’est assez embarrassant.

Tu joues uniquement le dernier album ce soir ?

Oui et quelques nouveaux titres d’un album qui sort cette année. J’en suis très content.

Le dernier album est sorti en octobre dernier, tu n’as donc pas chômé cet hiver  ?

L’hiver a été très brutal à Londres, j’ai décidé d’y faire face en buvant pas mal et en faisant de la musique. Il y a six morceaux sur cet album.

Tu ne te sens pas seul parfois ?

Si, c’est pour ça que je fais de la musique, car je suis seul. (Rires)

Je voulais parler du fait que tu travailles seul…

Oui, en quelque sorte. Mais j’ai déjà bien du mal à organiser dans ma tête toutes ces idées qui me viennent, je ne veux pas paraître arrogant en disant ça mais c’est vrai que c’est déjà très bordélique… Mais j’ai vraiment envie de développer les collaborations dans le futur. J’ai déjà travaillé avec des gens sur Howl et je travaille actuellement avec quelqu’un mais je dois apprendre à être plus…

Ouvert ?

Non, il ne s’agit pas vraiment d’égo mais plutôt de trouver la meilleure façon d’aborder une collaboration, de manière naturelle.

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Que penses-tu des deux signatures du label, Nils Frahm et Olafur Arnalds ?

Je suis très fan du travail de Nils Frahm. Je ne sais pas si tu l’as déjà vu en live mais il est vraiment hallucinant, il met tellement de passion dans ce qu’il fait. Il a également cette facilité de faire des choses très complexes tout en gardant les choses simples, pour de très bonnes raisons en plus.

Vous vous croisez parfois ?

À la fin de l’année nous allons tous collaborer ensemble ; je te laisse imaginer ce que ça va donner, tous ces égos réunis. Des gens qui s’énervent et qui crient… Mais je pense aussi qu’on a tous une telle connaissance de la musique que nous trouvons un moyen de faire fonctionner l’ensemble.

Tu écoutes quoi à la maison ?

Colin Stetson, un saxophoniste de jazz, très rythmique et primaire dans son approche, avec des idées simples de créer des boucles, presque comme on le ferait en techno, c’est très dense, fort et agressif. Il a beaucoup influencé ma musique sur le morceau « Howl », cette recherche d’une sonorité bien particulière c’est à cause de lui. J’aime beaucoup Kaytlin Aurelia Smith aussi, qui fait de la musique électronique. Son nouvel album vient de sortir. J’aime beaucoup la pop aussi, mais ça fait bien longtemps que je n’en ai pas écouté… Et puis il y a le disco aussi, tout ce qui est très dansant ; j’aime bien Toro Y moi, par exemple. Il faudrait que j’écoute plus de sorties, mais vu que c’est déjà mon travail, souvent je préfère faire autre chose à côté.

– Propos recueillis par Sophie Brignoli
Photos : Vincent Arbelet