À l’orée du printemps, l’Opéra de Dijon présentait la Flûte enchantée de Mozart, l’une des propositions phares de sa saison lyrique, saluée par la presse et le public dijonnais. Derrière les choix et prestations artistiques immédiatement remarquables sur scène, il y a le travail presque invisible des maquilleuses, parmi les seules du staff à ne pas être citées dans le livret qu’on te file à l’entrée. Pauline Legros, créatrice et chef de l’équipe maquillage, nous parle de son métier et de son rôle dans ce projet.

Quels ont été ton rôle et tes missions sur cet opéra ?

À la tête d’une équipe de quatre personnes, j’étais chargée de proposer des maquillages en lien avec l’univers proposé par l’équipe artistique. En amont, je m’occupe des commandes de produits. J’élabore les plannings de passage des solistes en salle de maquillage selon le temps de préparation de chacun et les priorités d’entrée en scène. Je fais le lien entre la création réalisée sur les perruques, et la coiffeuse de mon équipe. Pendant les représentations, je gère les entrées et sorties des solistes et les changements rapides, en lien avec la régie de scène. Par exemple, sur cet opéra, il y a 12 minutes pour le changement de la reine – costume, perruque et maquillage – après l’ouverture.

Est-ce la première fois que tu travailles avec l’Opéra de Dijon ? Quel est ton parcours ?

Je travaille pour eux depuis environ cinq ans. D’habitude, je suis maquilleuse et non créatrice et chef. C’est la première fois que je prends les commandes car Marion Bidaud, la chef attitrée de l’Opéra, était prise sur un autre projet professionnel. Elle m’a sollicitée et fait confiance.

Je suis entrée dans l’univers du spectacle par le biais du costume. J’ai commencé par des études de couture et suis devenue habilleuse, pour l’Opéra de Genève et de Dijon notamment. Le métier d’habilleuse étant trop précaire, j’ai fait ensuite une école de maquillage professionnel à Lyon. Puis j’ai complété ma formation par la coiffure car le métier de maquilleuse demande d’être réactive dans ce domaine. Ce sont deux métiers très complémentaires.

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Au cours des quelques semaines de ton intervention, comment se déroule le processus de conception et de création ? Quelles en sont les différentes étapes ?

Au début, j’écoute l’opéra pour m’en imprégner, je regarde des vidéos, des images, je me familiarise avec les solistes, leurs visages surtout. Mais très vite il y a eu la réalisation de la vidéo projetée en ouverture de l’opéra. J’ai donc plus ou moins créé et réalisé en même temps le maquillage de la reine. Le premier jour du tournage, David Lescot le metteur en scène n’aimait pas une partie du maquillage, j’ai modifié sur le moment et on a trouvé un accord. Beaucoup de choses se font sur l’instant, le but étant que le metteur en scène soit satisfait, reconnaisse les personnages comme il se les imagine. Ensuite, j’ai fait des essais maquillage sur les personnages. Faute de temps, je n’ai fait des maquettes que sur les personnages les plus sophistiqués, comme la reine et les trois dames.

Qui sont tes principaux partenaires au cours de ce travail, ceux avec qui tu collabores étroitement ?

J’ai travaillé surtout avec la costumière Mariane Delayre, c’est elle qui valide les maquillages. Je travaille beaucoup avec la directrice technique Caroline Boulay. Je travaille aussi en lien avec Sophie Petit la régisseuse de scène.

Disposes-tu d’une grande liberté d’action, de création ? Quels ont été tes choix « artistiques » pour cet opéra ?

Tout dépend de la qualité de la collaboration avec la costumière. Dans la plupart des opéras, c’est elle qui « signe » la partie maquillage/coiffure, décide des modèles et de l’ambiance qu’elle souhaite. La relation de confiance qu’elle entretient ou non avec la maquilleuse détermine la liberté d’action de celle-ci. Dans mon cas, tout ce que j’ai proposé en maquillage a été en grande partie validé par Mariane.
Mes choix artistiques dépendent donc des costumes, et de l’univers proposé par David Lescot, je me fonds au maximum dans leurs souhaits. Je ne fais pas partie de l’équipe qui conçoit l’univers en amont… la maquilleuse arrive au dernier moment, quand l’esprit est déjà là.

Le maquillage de la reine est celui où je me suis réellement exprimée. À cause de la contrainte du changement rapide, j’utilise une brosse à dent pour la maquiller et un vieillissement rapide et efficace! Sur ce projet ce qui a été agréable, c’est la présence du metteur en scène vers le maquillage, ce qui est rare dans l’opéra. Plus le temps avançait plus c’était possible d’échanger avec lui, pour moi c’est la base.

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Votre travail est essentiel mais ce n’est pourtant pas lui qui est immédiatement salué par le public. Comment sont considérées les maquilleuses par l’institution, les artistes, l’équipe… ?

Oui, c’est un métier essentiel! Si l’artiste n’est pas maquillé, la lumière ne va pas sublimer son personnage, il va au contraire l’éteindre, le rendre fade. Les lumières, selon les couleurs choisies, rendent le teint vert, gris, jaune, ce que le maquillage vient rectifier. Il doit se voir de loin comme de prêt, tout en restant cohérent!
Nous sommes trop peu valorisés dans le milieu et par les institutions. Certaines connaissent des restrictions budgétaires… les maquilleuses et habilleuses sont les premiers touchés ! Du coté des équipes artistiques, on tend de plus en plus vers une épuration du maquillage, une envie de naturel. Les artistes eux sont plutôt reconnaissants, le maquillage est pour eux la phase finale de leur personnage, il les aide à le sentir et à l’interpréter, et les rend crédibles et cohérents de la tête aux pieds!

Quels sont les difficultés, les déceptions liées à ta profession et au contraire les satisfactions ?

Même si je ne regrette rien de mon parcours, les projets non payés, les aller-retours non défrayés mais aussi les rencontres improbables, les projets sans moyens mais avec la volonté de toute une équipe, c’est le manque de reconnaissance et de confiance envers cette profession qui déçoit, et c’est encore pire pour les habilleuses. Les salaires sont dérisoires et varient beaucoup selon les lieux. Ces métiers méritent d’être connus du grand public.

J’exerce un métier qui demande humainement une grande adaptation, pour être à l’aise dans un univers sans cesse mouvant, qui propose des expériences artistiques très variées. Il requiert aussi une grande générosité, pour comprendre ce que veut la personne et le retranscrire sur le visage. On vit l’intimité des gens que l’on maquille, on partage la sincérité de l’autre dans ce qu’il a de plus vrai. C’est une introspection de soi et des autres !

Propos recueillis par Maria Mood
Photos : Opéra Dijon