La pratique du curling ne laisse personne de marbre, un comble pour un sport qui utilise des pierres en granit. Apparu, selon la légende il y a environ 200 ans en Ecosse dans les Highlands, le curling est passé d’une activité récréative sur les lochs gelés à un sport olympique. Bien souvent moqué pour son utilisation originale du balai, il en reste un sport très complet. Enquête live in the flesh sur une activité sportive atypique avec le club de Besac’. 1,2,3 balayez !

  • Article extrait du numéro 18 du magazine Sparse, sorti en mars 2017.

F1000015D’ailleurs, commençons tout de suite par balayer les idées reçues sur ce sport. Cet article n’est pas un pamphlet haineux contre un sport qui est souvent considéré comme risible voir ringard. Vous ne trouverez donc pas de blagues lourdes concernant la capacité des techniciennes de surfaces, ou même pire des femmes, à réussir dans ce sport, puisque évidemment l’élément qui dérange ici c’est l’utilisation de ce balai sur la glace. Alors à quoi sert-il ? A frotter bien sûr mais pas que, et ça nous l’avons appris un peu plus tard, sur la glace…

Un mardi soir de février, 20 heures, patinoire de Besançon, nous avons rencard avec l’un des deux seuls clubs de BFC (l’autre étant à Prémanon à côté des Rousses). Le président Wilfrid Coulot et son équipe ont eu la gentillesse de nous accueillir pour parler curling et surtout pour nous faire une initiation grandeur nature. A ceux qui se demandent pourquoi il n’y a pas de piste de curling à Dijon (et la question est revenue à plusieurs reprises), c’est que la glace qui est employée pour la pratique du curling est traitée de façon particulière, afin que les pierres puissent glisser uniformément. Toutes les patinoires n’ont pas de pistes dédiées à la pratique ou, comme à Besançon, n’acceptent pas d’altérer la glace pour un entraînement par semaine (ce qui implique de solliciter l’homme sur sa machine à glace que l’on appelle d’ailleurs une surfaceuse). Cet aspect technique qui peut paraître dérisoire s’apparente tout de même à un frein dans la pratique de ce sport encore peu développé en France. Seulement 400 licenciés à ce jour, pour une vingtaine de clubs, principalement situés dans l’est près des Alpes et surtout de la Suisse, un des pays phares de la pratique. En parlant de pays phares, Simon Pagnot, membre de l’équipe de France et licencié du club de Besançon nous en a un peu parlé. Le Canada et les pays scandinaves (en particulier la Suède et la Norvège) sont les vrais dominants de la pratique. Les Ecossais, les inventeurs du sport malgré un parcours en dents de scie, ne sont pas très loin, tandis que l’empire du milieu rattrape son retard vitesse grand V, pour assouvir sa soif de médailles.

“Les gens sont de moins en moins dans la moquerie, ils sont aujourd’hui ok pour tester le sport, et curieux, chose impensable il y a encore dix ans” Wilfried Coulot, membre de l’équipe de France de Curling

Au Canada, on retrouve même des démonstrations de curling sur toutes les patinoires extérieures à l’approche de Noël, et le nombre de licenciés avoisine le million. Selon Simon, il existe le même engouement pour le curling au Canada que pour le rugby à 15 en France. Le sport a même sa superstar : Glenn Howard, qui est au curling ce que Wayne Gretzky est au hockey sur glace. Cependant en creusant un peu, on voit que même les superstars de la discipline n’en vivent pas ; Glenn Howard étant manager dans une fabrique de bières au Canada. Même si ces joueurs sont considérés comme professionnels, le sport business autour du curling n’en est donc qu’à ses balbutiements, rendant la pratique assez difficile car non exclusive dans la vie de ses pratiquants.

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En résumé, le curling c’est une affaire de passionnés, et nous sommes là pour le découvrir. Pour ceux qui ne connaissent pas les règles de l’art on peut comparer ça, grosso modo, à une pétanque sur glace. Le lanceur doit faire glisser la pierre de 20kg dans la maison (ou home pour les anglophones) qui représente la cible au bout de la piste d’une quarantaine de mètres. Le skip, ou capitaine, est placé dans la maison, et donne ses indications de direction mais aussi de rotation. Rotation, car la pierre doit être envoyée avec un mouvement rotatif (dans le sens des aiguilles d’une montre ou l’inverse) afin d’arriver à bon port. Si vous essayez de la lancer droite, elle va forcément partir en rotation non maîtrisée, et finir dans les choux. Enfin, deux balayeurs accompagnent la pierre, et en fonction de sa vélocité, de leurs jugements et des directives du skip, frottent ou non la glace avec leur balai afin que la pierre s’arrête dans la maison. Il est important de noter que ces positions ne sont pas fixes, et que les lanceurs seront balayeurs et également dans la maison à un moment de la partie.

Le jeu est divisé en ends, ou manches. A chaque manche, chaque membre de l’équipe lancera deux pierres, soit 16 pierres en tout par end. Pour le comptage de points, cela marche de la même façon que la pétanque: la pierre la plus proche du centre prend le point, si la deuxième pierre appartient à la même équipe, cela fait deux points, etc… De la même façon il est possible de tirer les pierres, de gêner en se mettant devant la pierre de l’adversaire, et toutes autres techniques bien connues des boulistes. Les ronds de couleurs qui composent la maison n’ont aucune incidence sur les points, ce que l’on pourrait penser de prime abord, un peu comme à un jeu de fléchettes. Détail rigolo, on a le droit de frotter avec son balai pour faire sortir la pierre adverse quand celle-ci a dépassé la ligne médiane de la maison. Pas très Coubertin pour un sport qui pourtant se pratique sans arbitre, et qui prône les valeurs du fair-play.  

“Après la préparation au lancer, on passe au balayage, qui lui n’est pas cool du tout. C’est la partie violence du sport”

Au niveau du matériel, le curling ne serait rien sans cette pierre de 19,96 kg qui vient d’une carrière unique en Ecosse sur la minuscule île de Ailsa Craig. Vous imaginez le lobbying de la fabrique de Kays qui commercialise les pierres ? Il n’y a plus beaucoup de granit disponible dans la carrière, alors la marque fabrique seulement des inserts au centre avec le vrai granit, pour pouvoir continuer d’en produire. Et à plus de 600€ la pierre on peut dire que le business est lucratif. D’autre part, dans la panoplie du curler on trouve également le balai, qui coûte tout de même la bagatelle de 100€ avec une mousse à remplacer assez souvent. On peut le dire, l’investissement de base au curling est assez onéreux, sans compter les tenues traditionnelles à sortir pour les matchs de gala ! Enfin, il est important d’avoir soit des chaussures spéciales, ou une patinette afin de glisser sur un des deux pieds pendant le lancer de la pierre.

D’ailleurs, c’est par là que nous avons commencé notre initiation. Ce qui choque immédiatement au curling c’est que l’on peut marcher tranquillement avec ses chaussures sur la glace. Comme je le disais plus haut, la glace est traitée de façon à ce qu’elle soit plus compacte; un des curlers arrose la glace avec de fines gouttelettes d’eau appelés pebble qui vont permettre à la pierre de ne pas « ventouser ». C’est donc plutôt agréable de pouvoir marcher tranquille et même courir lorsque l’on balaie, sans risquer de tomber tout le temps. Le seul qui glissera pendant la manche, c’est le lanceur qui met un patin sous sa chaussure, façon grand-mère qui venait de lustrer son parquet et qui ne voulait pas de tâches d’un hooligan en Atemi comme vous.

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On commence l’initiation par le lancer, élément fondamental du curling. Un starting block, appelé hack, est installé au bout de la piste. Un des deux pieds (le droit ou le gauche en fonction de votre pied d’appui) partira de là, l’autre est sur la glace avec la patinette pour pouvoir glisser ; on s’appuie d’un bras sur la pierre, et le deuxième sur son balai, pour gagner en équilibre. Après un petit balancier façon rasta rockett, je m’élance sur la glace et lâche la pierre en lui faisant faire sa rotation. Je manque de m’en prendre une superbe avec la patinette qui rend le truc vachement glissant ; autant être honnête j’ai clairement l’air d’un con sur la glace et mes deux accompagnants se moquent de moi et trépignent de moins en moins à l’idée de lancer la première pierre. Il y a pas mal de paramètres à prendre en compte lors du lancer ; le glisser, l’appui sur le balai, la rotation de la pierre, la distance d’élan et la force que l’on met dedans. Cependant après une dizaine de lancers on commence à comprendre la technique (je ne dis pas que je ne me suis pas vautré une bonne paire de fois). Le curling n’est pas un sport de bourrin et le lancer doit être véritablement mesuré afin que la pierre arrive tranquillement dans la maison.

Après cette préparation au lancer carrément fun, on passe au balayage, qui lui n’est pas cool du tout. C’est la partie violente du sport. Quand j’ai demandé à Simon au début de l’activité si celle-ci était physique, il m’avait prévenu sur le balayage. Effectivement il ne m’avait pas menti, et frotter sur 10 ou 20 mètres devant la pierre s’avère carrément fatiguant, surtout si vous recommencez cela toutes les minutes et demie en match. Cela dit la technique est beaucoup moins difficile pour cette activité, et le coup de main, si je puis dire, on le connaît déjà.

Le sport a même sa superstar, Glenn Howard, qui est au curling ce que Wayne Gretzky est au hockey sur glace

On a vu à-peu-près tous les aspects basiques du sport, alors pourquoi ne pas se lancer dans le grand bain et faire un match ? On se retrouve face à une équipe de jeunes licenciés, qui ont rejoint le club depuis environ 6 mois et sont ok pour nous défier. Simon, notre formateur joue avec nous et se place en position de skip pour nous coacher.

La partie se passe pas trop mal, c’est toutefois vraiment dur de lancer la pierre avec la bonne intensité, j’ai tendance à lancer trop fort. Les copains n’ont pas besoin de balayer mais cela ne fait pas marquer de points pour autant. Les gars d’en face ont clairement le niveau pour nous mettre une bonne piquette, mais je les sens fair-play et pas particulièrement en veine ce soir. On finit la partie en se prenant tout de même deux points dans les jumelles; on a beau avoir réussi à tirer une pierre, on peut dire qu’on a joué comme des patates. J’en profite pour vous dire que le bruit d’une pierre qui en tire une autre est tonitruant, et plutôt jouissif. Nous sommes convaincus par la convivialité du sport et si nous n’étions pas là depuis déjà deux heures, nous aurions bien enchaîner sur la revanche ou éventuellement sur la troisième mi-temps ! Simon nous confie qu’entre les matchs les perdants payent un coup aux gagnants, mais qu’il faut faire attention en compétition car il y a un match toutes les heures et demi et il vaut mieux y aller mollo sur le destroy. D’ailleurs, la légende veut que le curling était à la base un jeu à boire, et que c’était une excuse pour ingurgiter une quantité astronomique de whiskys. Ah ces Écossais… Du côté de Besançon, ils sont moins attachés aux traditions, et le whisky peut se transformer aisément en Pontarlier  qui remplace au pied levé l’alcool tourbé.

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Je profite de la fin de l’entraînement pour m’entretenir avec Wilfrid Coulot, président du Curling Club, plusieurs fois champion de France Junior, capitaine de l’équipe de France Senior, membre de l’équipe olympique et curler depuis tout jeune. Je lui pose tout de même la question de base lorsque l’on rencontre un curler : comment vient-on à jouer et à aimer le curling ? La réponse est d’ailleurs unanime, c’est souvent un heureux hasard. Wilfrid est venu à la patinoire pour le patin à glace, il est tombé sur le curling et ne s’est jamais arrêté. Les bons résultats en championnat de France junior ne l’ont que conforté dans la pratique et le développement du sport. Naturellement, on en vient à parler avec lui de l’état du curling aujourd’hui et des freins à son évolution, lui qui côtoie le sport depuis plus d’une dizaine d’années. Selon lui, le sport évolue de façon positive, les gens sont de moins en moins dans la moquerie, ils sont aujourd’hui ok pour tester le sport, et même parfois curieux, chose impensable selon lui il y a encore dix ans. Les Jeux olympiques ont fait du bien à la pratique; cependant le sport est encore trop confidentiel, en France notamment. Aucun salarié de structures, ni de professionnels, il en résulte une promotion très compliquée du sport. Les résultats en demi-teinte de l’équipe de France au JO de Sotchi (élimination lors des barrages) ont entaché quelque peu la motivation et mis un frein, ponctuel selon lui, à l’évolution du curling en France. Pourtant Wilfrid reste motivé et arrive à transmettre la passion qui l’anime aux licenciés du club; il est sûr que le curling a de beaux jours devant lui. Je lui parle d’un groupe de métal suédois hyper connu là-bas, qui a fait un clip avec l’équipe nationale de curling, il connaît déjà et trouve que c’est une super idée de promotion pour le sport. Selon lui, ce serait possible de faire la même chose en France avec un truc un peu décalé, en adéquation avec la vision du sport ici; il me propose Michaël Youn et je pense ma foi que c’est pas trop une mauvaise idée ! Wilfrid a une vision très claire de son sport et de l’image qu’il renvoie, cependant je peux vous assurer qu’une fois sur la glace, même les réfractaires ne peuvent que s’amuser. Si vous en doutez encore, on ne peut que vous inviter à vous rendre à Besançon au mois de mai pour les week-ends d’initiation, c’est gratuit et vous pourrez juger de votre appétence avec la pierre qui glisse et qui sait, dans quelques années défendre le drapeau tricolore. Le curling à besoin de vous !

  • Franck le Tank
    Photos : Alexandre Claass

La playlist pour jouer au curling

Ice, Ice Baby – Vanilla Ice

Hearts on Fire – Hammerfall (chanson de métal, ôde à la pratique du curling)

LMFAO – Yes ! (Clip zinzin d’une partie de Curling)

That Curling Song – The Bog Boys

Howlin’ For you – The Black Keys (BO du film Kong Curling dédié au sport)

The Curler’s Song – Andrew Murdison