Les anciens combattants se rappellent que le festival GéNéRiQ est né pour préparer l’arrivée du TGV Rhin-Rhône, gage incroyable de la modernité de l’époque, qui relie aujourd’hui Dijon à Mulhouse en une heure. Soit le même temps qui sépare Mulhouse/Bâle de Bruxelles – mais ceci n’est pas le sujet de cet article. Heureusement, cette course vers le jeunisme qui va trop vite n’a pas duré.

La preuve, l’équipe de programmateurs mal rasés des Eurockéennes et de GéNéRiQ vieillit plutôt bien, même si les femmes semblent toujours interdites, sans doute en raison de leur pilosité réduite. Ces défricheurs passent leur vie aux quatre coins de la planète à la poursuite d’artistes inconnus qui peupleront vos nuits locales. Et ils ont transmis leur goût du risque aux collègues qui choisissent les lieux du festival, notamment à Mulhouse.

GéNéRiQ joue ainsi une surprenante carte patrimoniale dans la sous-préfecture du Haut-Rhin. Et donne la chance de (re)découvrir d’improbables lieux historiques, où jamais de la vie du siècle dernier un maire RPR ou PSU n’aurait laissé pareils déferlements sonores titiller ses moustaches…

Une plongée dans l’histoire de Mulhouse

Bref, GéNéRiQ à Mulhouse, c’est aussi, à côté de la prog de la mort qui tue de Montréal à Bertrand Blier en passant par Altkirch, capitale incontestable du Sundgau (pour la capitale de la carpe frite, les discussions sont plus ouvertes, notamment avec Carspach), une plongée dans l’histoire de la ville et de l’Alsace.

Au coeur de la vieille ville, le temple St Etienne est une imposante « cathédrale » néo-gothique – mais en moins catholique. Plus haut édifice protestant de France, il symbolise depuis près de mille ans les bastons religieuses qui rythment la vie des hommes depuis fort fort longtemps. Et son pasteur-animateur, salarié de l’État, nous rappelle que les lois de la république française ne s’appliquent pas toujours en Alsace Moselle. Toujours est-il que ce monument historique ouvert à (presque) toutes les expériences a accueilli pour l’ouverture mulhousienne du festival un grand moment vaudou-garage-rock-canado-helvetico-belge. Comme c’était bon. Bravo aux Deuxluxes qui ont écumé les boutiques de fringues du centre avant le show et ont même convaincu les vendeuses de venir danser à ce triple concert gratuit, youpala !

« Manchester française »

Mulhouse s’est démultipliée avec la révolution industrielle. « Ville aux cent cheminées », « Manchester française », plus vieux club de football de France (enfin seulement si Le Havre était allemand), les qualificatifs ne manquent pas pour la cité du Bollwerk à cette époque. Fleuron de ce capitalisme naissant et paternaliste, l’entreprise textile DMC (Dollfus Mieg et Compagnie) née en 1746 comptera jusqu’à 30 000 salariés dans les années 60. L’usine existe toujours, mais en tout petit, propriété britannique depuis peu, spécialisée dans le fil de luxe pour broder de New York à Dubaï. Elle n’emploie plus que 100 à 200 travailleurs, à quelques mètres des 10 000 m² du fameux bâtiment 75, alias motoco. Cette bâtisse en briques rouges accueille samedi 10 février une grosse soirée électro GéNéRiQ, qui va faire trembler les fenêtres et transpirer les fans. C’est la bonne occasion de visiter la magnifique friche industrielle de 10 hectares, les dizaines de milliers de m² vides qui n’attendent qu’un Suisse fortuné pour revivre. Et si tu veux louer un local associatif ou un atelier d’artiste sans chauffage à 3 € le m², c’est le moment !

Un tour au Nouma

Le théâtre (municipal) de la Sinne est un autre joyau de l’architecture locale. Son cadre kitschissime, à l’italienne rouge et or du XIXe siècle, accueille théâtre de boulevard, opéra, jeune public et plus. Et le final de Generiq signé Cabadzi x Blier & Eddy de Pretto le 10 février. Présence obligatoire pour remonter le temps. S’incrustrer lors de soirées VIP est également conseillé.

Enfin on ne présente plus le Noumatrouff, labellisé SMAC (Scène de musiques actuelles), qui accueille tous les autres concerts. Fruit d’un combat politico-punk avec concert sauvage devant la mairie en 1992, il nous projette en ces temps lointains où les politiques pensaient que les rockeurs étaient des terroristes. Enfin ceux de Mulhouse, parce qu’à Belfort pendant ce temps on inventait les Eurockéennes pour redorer l’image de la ville auprès de la jeunesse de France…

  • Jean-Luc Wertenschlag.