Pour le Festival GéNéRiQ, les américains de Bodega débarquent en BFC. Ni une ni deux, on en a profité pour aller tchatcher un peu postpunk, technologie et pizza avec eux.

Le groupe existe depuis peu de temps, seulement deux ans. Précédemment vous faisiez partie de différents groupes, entre autre Bodega Bay. Vous avez sortis un disque qui s’appelait « Your brand could be your life » (en référence au livre Your band could be your life, un classique sur la scène indie US ndlr). Le style que vous défendiez était alors plutôt indie lo-fi. En enlevant le « bay » dans votre nom, vous vous êtes transformé en groupe post-punk, vous auriez donc pu appeler cet album « Rip it off and start it again » (autre référence littéraire sur l’univers postpunk) ? Est-ce que cette étiquette postpunk vous convient ?

C’est plutôt marrant. Mais cette expérience est (un peu) moins un essai concernant mon expérience et ma désillusion autour de cette scène DIY que j’ai côtoyé quand j’étais avec Bodega Bay. Du coup, ce genre de jeu de mot n’aurait pas pu fonctionner avec ce projet. Au niveau du genre, on se définit davantage comme un groupe « Art rock ». Ce terme est assez vague pour regrouper toutes les formes d’arts conceptuelles dans le rock’n’roll. Cela dit, nous regroupons bon nombre de codes liés au post-punk sur l’album Endless Scroll mais tout ce que nous faisons avec Bodega n’a pas vocation à sonner post-punk non plus.

Les genres peuvent être vite considérés comme superficiels, mais il faut bien commencer quelque part. La raison pour laquelle nous avons été conduit vers les « originals gangsters » du post punk britannique étaient partiellement sonique (nous aimons le minimalisme et la précision) mais également (en tout cas pour moi) leurs qualités philosophiques. Des groupes comme Wire ou The Fall ont fait ou font encore du rock certes simple mais idéologiquement bien plus vaste que le commun des groupes de rock habituels.

A la place, vous avez appelé votre disque « Endless Scroll ». Est-ce que vous vous sentez concerné par la surconsommation de la technologie et d’internet en particulier ? Est-ce que vous arrivez à le gérer, et l’éviter ? En tournée par exemple ?

L’album « Endless Scroll » n’est pas tant contre la surconsommation c’est juste une façon de documenter ce moment, comme un témoignage de nos tendances de consommation. Personnellement, je ne suis pas inspiré par les médias sociaux. Je préfère réaliser des disques et des films plutôt que de tenir un Instagram parfait (C’est d’ailleurs par cette voie que certaines personnes choisissent d’être des artistes). C’est la victoire du postulat de Warhol ; La célébrité est considérée comme une finalité. « Pourquoi écrire une nouvelle quand on peut commencer directement par faire une tournée de promotion d’un bouquin ? »

J’ai lu que vos textes ont une importance toute particulière dans vos chansons, ce n’est pas trop compliqué de délivrer un message dans des pays comme la France où les gens ne s’intéressent pas forcément aux textes?

Est-ce que le public français est vraiment comme ça ? Je refuse de croire qu’un pays si riche en littérature et en philosophie ne fasse pas attention aux textes dans la musique pop. J’ai en plus l’impression qu’il y a une approche très française dans notre façon d’écrire. Ceci étant dit, notre musique existe pour être appréciée de diverses façons et les mots sont aussi et surtout choisis à cause de leurs sonorités, et pas pour ce qu’ils veulent dire.

(NDLR : J’aurais peut-être dû préciser « les textes en anglais », ce qui m’aurait évité une leçon sur l’importance de la littérature et la philosophie dans notre pays, my bad.)

Je suis récemment tombé sur un top 10 de tes albums de l’année Ben. Je me suis reconnu dans plusieurs disques dont celui de Stephen Malkmus and the Jicks, Courtney Barnett, Frankie Cosmos…Il semble que tu aies des inspirations qui aillent bien plus loin que les frontières de la scène post-punk. Est-ce que c’est important pour toi d’écouter et de surveiller ce qu’il se passe dans d’autres styles ? Tu ne crois pas que le développement d’Internet à justement permis de faire tomber des frontières entre les styles et les communautés? (ce qui prouve qu’Internet n’est pas forcément SI mal !)

Effectivement, le genre est très superficiel. J’aime à peu près tous les artistes qui peuvent écrire une super chanson et communiquer leur individualité à travers une performance (que ce soit vocal ou instrumentale d’ailleurs). Certains styles sont plus adaptés à différentes tonalités, et mon humeur varie en fonction du moment de la journée. Parfois, j’ai envie d’écouter de la twee (ndlr : autre nom pour l’indie pop aux mélodies légères), et parfois j’ai besoin d’être soumis et matraqué ! C’est important pour moi que notre groupe explore des émotions variées (ce qui sera encore plus vrai dans les futurs albums). J’ai un parti pris émotionnel par rapport aux chanteurs comme Malkmus, Barnett et F. Cosmos – C’est vraiment excitant de ce sentir emporter dans la tête de quelqu’un !!

Vous jouez depuis pas mal de temps dans des groupes indépendants avec des conditions de tournées, qui j’imagine, doivent être assez difficile. Ça fait quoi de tournée désormais en Europe avec un tour bus et des super salles de concerts ?

J’adore tourner en Europe. Les salles de concerts sont bien plus prévenantes, elle nous offre des repas chaud et des endroits où dormir. Qu’est ce que l’on pourrait vouloir de mieux ? Nous allons traverser le continent dans un van, c’est plutôt confortable et bien moins décadent qu’un bus !

Vous avez joué aux Transmusicales de Rennes, il y a bientôt deux mois. Pendant ce concert vous avez évoqué le mouvement des gilets jaunes qui sont en opposition avec le gouvernement. Vous avez l’air d’être concerné par ce genre de mouvement. Est-ce que le groupe se doit de véhiculer un message politique ?

Notre groupe est davantage concerné par l’éthique, que par la politique dans le sens où nous ne soutenons aucun parti, aucun leader dans nos chansons. Je suis pour ma part davantage obsédé de voir comment je suis conditionné par l’idéologie capitaliste. La résistance opérée contre le « marché », de ce fait me fascine et m’inspire.

Qu’est ce que ça fait d’être considéré comme l’un des groupes les plus en vues de 2018/2019 selon les médias ? Est-ce que cela rajoute une pression sur vos épaules ou vous y êtes vous préparés ?

C’est super de pouvoir tourner autant que l’on veut, nous nous sentons vraiment reconnaissant pour ça. Concernant la pression que nous ressentons maintenant, nous nous l’imposons davantage par nous même que par le milieu extérieur. Nous voulons que notre prochain disque et que nos concerts soient pertinents.

L’album a été enregistré par Austin Brown de Parquet Courts. Comment le travail s’est passé en studio ? Est-ce que les chansons étaient prêtes ? Comment le travail avec Austin a interféré dans les chansons et dans votre son ?

Nous avons écrit toutes les chansons au préalable et sommes arrivés chez Austin plutôt préparés. L’idée était de nous capter live dans l’ancien studio de répétition de Parquet Courts et d’enregistrer directement sans faire trop d’overdubs (procédé qui consiste à faire des enregistrements supplémentaires sur la bande ndlr) et de fioritures. Il a enregistré sur le même enregistreur 8 pistes que Parquet Courts avait utilisé sur leur album « Light Up Gold » (qui est un de mes disques préférés d’ailleurs). Austin nous a particulièrement aidé avec les prises voix, notamment à considérer les mélodies d’une nouvelle façon et de rajouter plus d’émotion dans nos textes (à la manière d’un réalisateur qui encouragerait un acteur à s’engager plus dans une ligne de son script).

J’ai lu que vous aviez un problème avec la scène garage et en particulier avec les groupes d’un style obscur : le Pizzacore. Est-ce que MacCaulay Culkin de Maman j’ai raté l’avion, qui à joué dans un groupe appelé Pizza Underground à quelques chose à faire avec ce style ? Est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’est le pizzacore ?

Aussi bizarre que cela puisse paraître, le Pizza Underground ne fait pas partie de cette scène. Le Pizza-core c’est un sous genre du garage américain basé autour de l’anti-intellectualisme, des perfectos, des clopes, des cheeseburgers, des Ramones et des compilations Nuggets (Ps : il y a quand même quelques groupes de pizzacore que j’aime bien). On veut juste donner une image différente du Rock énervé américain. C’est tout.

  • Propos recueillis par Franck Le Tank