Première claque de Cannes comme je le disais précédemment. Jacques Audiard s’inspire pour la première fois d’un bouquin, le très bon recueil de nouvelles du canadien Craig Davidson, Un goût de rouille et d’os.
Mais il en prend uniquement la base : un boxeur foutraque et un accident tragique au Marineland. Point barre. De là il développe une histoire d’amour brutale, violente où les gestes prennent le pas sur les mots, où les regards suffisent des fois à tout exprimer. La rencontre entre ces deux êtres se fait d’ailleurs par la violence : une belle dresseuse d’orques battue dans un club se fait ramener par le vigil qui a mis fin à la bagarre. Elle est plutot bien lotie, indépendante et forte, lui n’a rien si ce n’est un gosse dont il ne sait que faire, qui semble plus l’encombrer qu’autre chose. Puis le sort s’inverse, elle perd ses jambes, il devient champion de free fight, de la boxe clandestine. Chacun se reconstruit, à sa façon, mais l’un avec l’autre.
Comme dans ses films précédents, Audiard s’intéresse à la condition humaine. Dans ses moments les plus pathétiques, comme certains en exploitent d’autres ou comme au contraire certains soutiennent sur leur dos puissant un être fragile et blessé. Audiard filme toujours les corps de près, des corps meurtris en l’occurrence. Des jambes coupées, un visage tuméfié, des mains brisées… Plusieurs scènes ou plutôt plusieurs gestes, encore une fois, imprègnent définitivement la rétine, les images choquent, frappent au cœur d’un coup de poing bien senti : dans un cri de douleur et de désespoir la main brisée sur la glace, une prothèse délicatement retirée avant de retrouver un homme dans son lit, ou encore la main sur la vitre pour la bête dressée, la seule à obéir dans un silence d’une incroyable intensité. On n’oublie pas les dialogues aussi, simples et pourtant percutants.
De rouille et d’os est un film rugueux,
mais la délicatesse n’a jamais été
aussi paradoxalement présente dans
un long métrage de Jacques Audiard.
Rien ne serait aussi puissant sans les deux acteurs : Marion Cotillard, dont on apprécie particulièrement le retour français, avec un rôle plus à la mesure de son talent que dans les films hollywoodiens. Mais surtout Matthias Schoenaerts, inoubliable depuis Bullhead (autre claque de l’année). L’acteur flamand porte vraiment le film à bout de bras, dans le rôle d’une brute séduisante qui apprend à devenir père et amoureux, un être humain en somme. Il faudra pourtant traverser de terribles épreuves avant de pouvoir y arriver pleinement. Ce n’est jamais aisé dans le cinéma de Jacques Audiard.
Néanmoins, on ne va peut-être pas parler de chef d’oeuvre. Le problème avec Audiard c’est qu’il y a toujours un petit truc qui ne va pas pour atteindre la perfection, malgré l’ambition de la mise en scène. Et ici, juste une voix-off inutile et incongrue en conclusion, qui reprend le très beau texte de Craig Davidson. Dommage que cette petite faute se retrouve dans la touche finale… Malgré cela, De rouille et d’os reste un excellent film, une histoire de deux êtres qui apprennent à s’aimer, ce qui n’est pas sans rappeler un autre film de Jacques, Sur mes lèvres…
Allez ça ne méritait peut-être pas la palme d’or mais on aurait bien voulu voir notre chouchou belge obtenir le prix d’interprétation masculine.
– Alice Chappau