Christian Allex a commencé à organiser des concerts alors qu’il était encore lycéen à Hippolyte Fontaine. À 24 ans tout juste, il devient programmateur de l’An-fer à Dijon et invite les plus grands noms de l’électronique à jouer dans le petit club de la rue Marceau ; parmi eux les Daft Punk, Orbital, Basement Jaxx ou Laurent Garnier… Fort de cette première expérience, on lui confie assez vite la direction artistique de la Halle de la Villette pour l’événement Global Tekno, regroupant à la fois musiques électroniques et arts numériques. Multipliant les casquettes, on le retrouve programmateur sur une radio suisse et sur le Nancy Jazz Pulsation, mais aussi pigiste pour Radio France Bourgogne. C’est en 2000 que se présente sa plus belle opportunité lorsqu’il est invité par Christian Proust, président du conseil général du Territoire de Belfort à donner son avis sur le devenir du festival des Eurockéennes. Christian dépeint alors un avenir assez sombre et décroche, contre toute attente, la direction artistique du plus gros festival du nord-est, aux côtés de Kem Lalot.

Avec la création de GéNéRiQ en 2007, Christian Allex recentre son travail sur une programmation nomade, de proximité avec une plus grande liberté dans le choix des artistes. Pour cette nouvelle édition, du 21 novembre au 02 décembre, un pays et un festival étranger seront mis à l’honneur tandis que les lieux insolites et les événements se démultiplieront dans tout le grand-est, de Dijon à Mulhouse en passant par Besançon ou Montbéliard.

Comment programme-t-on un événement comme GéNéRiQ ? Quels sont ses coups de coeur, ses regrets, ses coups de gueule ? Rencontre sans langue de bois avec celui qui a un carnet d’adresses plus gros que ton bottin des Pages Jaunes.

 

Vous êtes plusieurs à programmer GéNéRiQ, comment vous répartissez-vous le travail ?
On est deux à programmer, comme pour les Eurockéennes. Kem et moi gérons la direction artistique de l’ensemble des villes mais nous faisons toujours cette programmation en consultation avec les programmateurs des salles. Quand je parle de « chaque ville », je pense aux cinq villes majeures : Mulhouse, Belfort, Montbéliard, Besançon et Dijon. Dans ces cinq villes, il y a cinq salles qui sont en quelque sorte les QG, ou en tout cas nos partenaires sur place : la Vapeur à Dijon, la Rodia à Besançon, le Moloco à Montbéliard, la Poudrière à Belfort et le Noumatrouff à Mulhouse. Nous rencontrons les programmateurs de ces lieux régulièrement. Avec Kem, on essaie d’être intransigeants dans notre programmation en faisant un truc qui nous ressemble plutôt que d’avoir une vraie démocratie de prog’, sinon tu n’y arrives pas. Je lisais l’article sur Vitalic dans votre magazine ; quand il est en train d’enregistrer un titre si tu as un mec qui rentre toutes les cinq minutes pour lui dire « faut que tu changes les batteries », « est-ce que tu peux faire ça à la guitare », le morceau est tout pourri à la fin. Donc on essaie de faire ça tous les deux, un peu enfermés dans notre chambre.

Donc c’est simplement de la consultation avec les programmateurs locaux ?
En fait, les programmateurs des salles connaissent bien le rythme de leur ville. Quand on discute avec Marco à la Vapeur et qu’on va vouloir faire un artiste à 18h à l’atheneum ou à la Ferronnerie, il va nous dire si ça peut le faire ou pas, si les gens vont se déplacer sur ce créneau horaire là. Il nous recadre beaucoup par rapport aux associations, aux leaders d’opinion, au public, et ça c’est pas mal. Ils nous font également remonter la scène locale et pas seulement sur leur ville.

Comment s’est faite la rencontre puis le choix d’une carte blanche au festival danois Spot ?
Ça fait trois ans de suite que Kem y va. On a un collectif qui s’appelle De Concert! qui est une fédération de festivals dans laquelle on retrouve les Eurocks, GéNéRiQ, les Vieilles Charrues, la Route du Rock, et il y a aussi le Spot festival qui est très orienté sur la scène découverte scandinave. Il fait un gros boulot pour l’export des groupes danois vers l’Europe et le reste du monde, et on croise souvent un des patrons du festival lors des concerts. Kem a participé à des jurys sur le Spot et il a amené cette idée de travailler avec eux. L’année dernière on avait inauguré GéNéRiQ en invitant un pays et on s’est dit que cette année, il fallait aussi inviter un festival. Tous les ans maintenant on va essayer de la jouer dans cet esprit. Avec un pays et un festival en particulier.

Et comme pays mis à l’honneur, pourquoi avoir choisi la Colombie ?
J’ai rencontré un Français qui travaille en Colombie depuis vingt ans, Cédric David, qui organise des concerts là-bas. On a sympathisé, je l’ai invité à venir à GéNéRiQ il y a deux ans, l’année où on avait fait venir Bomba Estereo. Il était venu puis m’avait invité en Colombie en 2011 où je suis allé sur Circular qui est un festival type Eurosonic, centré autour des découvertes en Colombie à Medellin. C’est un festival de « network » où tu retrouves tous les professionnels des musiques actuelles d’Amérique latine. C’est alors qu’est née l’idée de créer une plate-forme là-bas sur laquelle on allait faire jouer des artistes français pour ensuite faire le match retour avec des artistes colombiens ici.

C’est donc toi et Kem qui avez choisi les artistes colombiens ainsi que les français partis jouer là-bas ?
Les Français, ce sont des artistes qui ont un rapport direct avec l’histoire de GéNéRiQ : Amadou et Mariam par exemple avaient fait le concert destiné au jeune public.

Justement tu reviens des dates de GéNéRiQ en Colombie, comment ça s’est passé ? Quel a été l’accueil ?
Pour Amadou et Mariam ça s’est très bien passé, on n’a pas seulement joué en Colombie, on a fait des dates également au Mexique, au Pérou, au Chili et à Buenos Aires. Avec Mina Tindle on a fait cinq dates. Au Circular à Medellin, Orelsan s’est retrouvé dans un théâtre avec que des professionnels qui étaient tous assis, pendant que lui faisait le show.  C’est vrai qu’il envoyait pas mal alors que tous les mecs restaient assez froids donc c’était pas une ambiance de sur-hystérie. Mais il y avait le patron de Hip Hop al Parque, un gros festival de 100.000 personnes à Bogota, qui semble vraiment intéressé pour le faire. Pour Mina Tindle, il y a des promoteurs qui vont la faire revenir en mars et Amadou et Mariam aussi, donc on a réussi à décrocher des dates pour plus tard. En ça c’est super et on va recommencer l’aventure l’année prochaine là-bas. L’idée c’est d’amener un festival différent chaque année, donc on fera un Marsatac en Colombie et puis c’est l’occasion d’emmener des pros français. Cette année on avait le programmateur des Vieilles Charrues, d’Art Rock, de Marsatac, un journaliste de Libération, Fred Jumel de Paloma.  On crée des liens sur place avec des pros, on construit des choses pour le futur.

 

« Dans la programmation de GéNéRiQ ou
des Eurocks, on a toujours essayé de faire
des choses très ouvertes. On n’est pas
bloqué uniquement sur la culture anglo-saxonne »

 

Le fait d’amener des artistes colombiens en France, c’est parce que la scène française s’essouffle ?
Non, on a toujours défendu des groupes internationaux. Dans la programmation de GéNéRiQ ou des Eurocks, on a toujours essayé de faire des choses très ouvertes. On n’est pas bloqué uniquement sur la culture anglo-saxonne. Le format de tous les festivals où l’on va chercher des groupes, South by Southwest (SXSW) à Austin, Eurosonic en Hollande, les Trans Musicales, c’est toujours de la pop, de la culture anglo saxonne. Moi ça me plaît bien, c’est ma musique, mais dès que je peux aller chercher autre chose ailleurs et trouver une autre mentalité dans des festivals qui proposent autre chose, ça m’intéresse. Quand on arrive à mettre les Staff Benda Bilili aux Eurocks et qu’on perturbe un peu le schmilblick, je trouve ça super. Donc c’est pas une question d’essoufflement, au contraire.

Tu penses que le public va répondre présent sur ce genre précis d’événements ?
Oui puisque les dates sont gratuites pour les artistes colombiens. (rires) C’est vrai que si on mettait un tarif à 18€ pour des colombiens, on ne ferait personne.

Le principe de GéNéRiQ, c’est de se démarquer des autres festivals en programmant  de plus petits artistes, sans d’énormes têtes d’affiches. Comment vas-tu les dénicher ? Est-ce que c’est grâce à ton réseau ou bien ce sont des coups de coeur sur d’autres festivals ?
C’est un peu les deux. Ce sont principalement les festivals parce qu’on essaie de voir les groupes sur scène avant de les mettre à GéNéRiQ ou aux Eurocks, comme au SXSW à Austin où tu as 1.200 groupes en quatre jours, ou des festivals comme Iceland Airwaves où on allait pas mal -un peu moins maintenant-. Il y a beaucoup de festivals comme ça, dit « de découverte » où tu trouves des petites perles. Il y a le Sakifo à la Réunion au mois de juin où l’on a vu pas mal de groupes qui viennent des Comores, de l’île Maurice, d’Afrique du Sud. Rocking the Daisies est un festival qui a lieu au mois d’octobre en Afrique du Sud dans lequel on crée des liens avec des labels, des partenaires. GéNéRiQ nous permet de faire ça, c’est une sorte de réservoir où l’on peut retrouver tous ces projets là. Et puis les réseaux aussi me servent beaucoup, ce sont les gens que je rencontre à travers le monde.

Quel est l’exercice le plus difficile : programmer pour les Eurocks ou GéNéRiQ ?
C’est GéNéRiQ, c’est un enfer à construire. (rires) Car il faut tenir compte de l’aspect humain, et de chaque personne dans les villes. Il y a des salles avec des programmateurs qui bossent toute l’année et hop, nous on arrive et on leur demande de nous laisser faire la prog’ de GéNéRiQ. Psychologiquement c’est dur pour eux, et c’est pas évident à gérer. Et puis la toile d’araignée qu’est GéNéRiQ, avec tel artiste qui joue un soir à Besançon, ensuite à Belfort… c’est un casse-tête pas possible. Donc il faut que ça corresponde à l’esprit du festival, mais aussi à tes goûts, c’est l’enfer !

Quel bilan dresses-tu de ces cinq années passées pour GéNéRiQ ?
C’est un festival qui a du mal à s’installer parce qu’il a une lecture assez compliqué pour le public. C’est assez simple pour des pros, ou des gens comme vous qui suivent l’actualité culturelle. Auprès de ce public précis, je pense que ça a fait son trou, il y a une reconnaissance, les différents acteurs culturels se le sont appropriés. Même plus que ça, je pense que c’est attendu et qu’ils l’ont accepté parce que c’est toujours un moment en hiver où on s’emmerde un peu, c’est donc l’occasion de se retrouver dans des petits lieux comme dans des grandes soirées. Mais pour le public, je comprends que ce soit compliqué. Même lorsque je fais les conférences de presse GéNéRiQ, à la fin je me demande si je n’ai rien oublié… déjà là ça veut dire qu’il y a beaucoup à expliquer. Mais ça commence à avancer, les soirées particulières comme celles en appart sont de plus en plus courues et je crois que ça s’installe quand même. Faut dire aussi qu’il y a deux ans lorsqu’on était au creux de vague, à cause de la neige, parce qu’on avait changé de période et de nom, on avait quand même un peu cherché les coups…

Sur la programmation cette année il y a une artiste visuelle colombienne, Bastardilla, perdue au milieu des groupes, c’est pas un peu bizarre ?
Oui mais ça fait partie des choses qu’on ne peut pas faire aux Eurockéennes. Une artiste comme elle qui peint des murs, ça ne peut se faire que dans un espace urbain. Avec GéNéRiQ on est dans cette configuration là donc on peut trouver une fille qui est vraiment intéressante dans son boulot et qui va pouvoir laisser une trace dans les cinq villes à travers des fresques. On trouve ça superbe, au contraire.

Peux-tu nous expliquer ce choix de faire jouer auprès du jeune public des mecs comme Success et Oxmo Puccino ?
On a toujours fait ça sur ce festival. Le premier concert pour enfant c’était Katerine et on s’est aperçu que les gamins qui avaient entre 5 et 12 ans le connaissaient. Et même sans changer le format du concert, les parents emmenaient leur gamin, ce qui est un peu bête parce que s’il était passé à la Vapeur, aucun parent n’aurait eu l’idée d’emmener son enfant. On veut que ce soit des artistes qui aient un univers un peu onirique, ludique, qu’il y ait des ritournelles dans les chansons. Comme ça les gamins s’amusent et peuvent chanter sur les morceaux.

Vous leur demandez de retravailler leur show ?
Non, ils ont juste un contexte à avoir entre les titres, il faut parler, animer. On leur impose rien. Success, on les a faits à Nîmes à Paloma en septembre avec des gamins et c’était génial. Ils ont même fait monter les enfants avec lui sur scène. Ils étaient à fond. Parfois tu sais pas à quoi ça va ressembler, parfois ça part en cacahuète. Les gamins sont hyper imprévisibles. Alors que le groupe, lui, est souvent habitué à jouer devant un parterre d’adultes coutumiers des rituels des concerts donc il y a rarement des surprises, à part peut-être un mec bourré qui va monter sur scène et qui va se faire jeter par les mecs de la sécu. Là, tu sais pas ce qu’il va se passer : les enfants sont tellement naïfs, dans le bon sens du terme. Ils découvrent les choses. Jamais un groupe n’a l’idée d’avoir ce type d’interaction avec des adultes, de faire les choeurs, de les faire monter sur scène…

Et si j’ai pas d’enfant, je peux quand même venir à la soirée ?
Non, faut que tu aies des enfants. Tu trouves un enfant où tu veux, tu te démerdes mais faut que tu aies un enfant. C’est un adulte pour autant d’enfants que tu veux. Si tu trouves 18 enfants, tu rentres. Si tu es en couple avec un enfant tu ne pourras pas rentrer, faut que le père ou la mère se décident. (rires)

Quel est ton coup de coeur de cette édition 2012 ?
Un groupe qui s’appelle Von Pariahs, qui vient de La Roche-Sur-Yon avec un chanteur Anglais à la base, même s’il vit en France. Je trouve que ça ressemble à Pixies, Joy Division. Il y a deux frangins à la gratte, en front de guitare avec un son incroyable où tu en prends plein la tête. Le chanteur a un côté psychopathe sur scène, un peu costaud, un peu fort. Je les ai vu au Printemps de Bourges l’année dernière et je les ai refaits à Nîmes. J’ai envie de les faire partout tellement c’est bien.

Tu fais quoi exactement, pendant le festival ?
Rien de spécial, je vais voir les groupes, ce que je n’arrive pas toujours à faire aux Eurockéennes du coup. Comme je suis tout le temps en vadrouille, ça me permet aussi de revoir plein de gens à Dijon. J’en profite par ailleurs pour faire des relations publiques, avec des agents, des journalistes qu’on fait venir sur GéNéRiQ. Cette année, on a des gens qui vont venir de Colombie, notamment la directrice d’un grand théâtre de Bogota qui est aussi une personne importante du ministère de la culture en Colombie. Ce sont des gens à qui je vais faire découvrir le festival.

Quel artiste regrettes-tu de ne pas avoir pu programmer cette année ?
Y’en a pas mal ! (rires) Il y a un groupe qui s’appelle O. Children, des Anglais avec un son à la Bauhaus, des grosses guitares. Le chanteur est un grand black, avec une voix un peu d’outre tombe. Un groupe vraiment incroyable. On n’a pas pu le faire car il fait les Trans Musicales et il est en exclusivité là-bas.

On se tire la bourre entre programmateurs ? C’est quoi cette notion d’exclusivité ?
Avec Les Trans, oui. C’est le seul festival avec qui tu te tires la bourre, mais c’est parce que le programmateur n’est pas dans une culture du partage. Il n’a pas compris que le mp3 existait, qu’aujourd’hui on partageait la musique sur Internet… qu’on partageait tout, quoi ! (rires) L’état d’esprit des Trans Musicales, c’est l’exclusivité. Lui, il considère que le festival des Trans Musicales est un festival qui doit présenter en avant-première des groupes, parce qu’il y a beaucoup de professionnels qui viennent sur son festival. Et ces mêmes professionnels vont ensuite programmer les groupes dans leurs événements respectifs. Ok, c’est un état d’esprit. Nous sur GéNéRiQ, on est dans une culture du partage. Il est à l’ouest, nous à l’est. On se rend compte qu’il n’y a quasiment aucun public de l’est qui va sur les Trans Musicales. C’est un festival très Breton. Il veut rester sur son concept de base, pas de problème, nous on va plutôt sur d’autres groupes, mais c’est un peu dommage. Sur les Eurockéennes, on n’est pas non plus trop sur cette culture là. Quand on fait Janelle Monáe pour la première fois sur les Eurocks, moi je vais plutôt appeler les Vieilles Charrues, Paléo, les festivals copains en leur disant « y’a une nana super qu’on va faire venir aux Eurocks, pour payer les billets d’avion ça serait pas mal qu’on s’aide ». Après on essaie d’être vigilent sur l’exclusivité à partir du moment où on est sur des très gros artistes pour les Eurockéennes, où on commence à demander beaucoup d’argent. Évidemment si l’artiste joue à 100 km de chez toi un mois avant c’est un peu embêtant…

 

« Quand on a fait les Daft Punk aux Eurockéennes
en 2006, ça faisait dix ans que je n’avais pas bossé
avec eux, j’étais sur la grande scène je peux te
dire que le moment où ils sont montés sur scène
pour attaquer, ça m’a foutu un putain de frisson ! »

 

Revenons sur GéNéRiQ, comment vous faites pour multiplier les lieux insolites d’années en années ? C’est compliqué de convaincre les gens ?
On n’a plus vraiment besoin de convaincre à présent, on doit plutôt refuser certaines demandes. Dans le réseau de potes, beaucoup veulent prêter leur appart, etc. Il y a même des villes parfois qui nous sollicitent et qui veulent intégrer GéNéRiQ. Le Creusot et Montceau-les-Mines voulaient absolument par exemple. Des villes aussi qui n’ont rien à voir géographiquement, comme Orléans. Pour les lieux « particuliers » c’est un peu pareil. Au départ le Crédit Mutuel, au delà du partenariat, voulait carrément faire des concerts dans une agence bancaire. On a Est Imprim’ qui va faire une soirée privée. Il achète un groupe, il monte la scène dans son usine, sur les liasses de papier et il fait son concert pour ses employés. On devait avoir aussi les usines Peugeot à Sochaux cette année. Sallie Ford devait jouer là-bas. Bon, ça ne s’est pas fait car il y a eu cette grosse vague de licenciements chez Peugeot, c’était un peu mal venu de dire « on fait une fête dans les ateliers alors qu’on est en train de licencier ».

Rajouter Quetigny dans la liste, c’est un clin d’oeil à tes débuts de programmateur dans cette ville ?
(rires) Non ! C’est marrant que tu dises ça, t’es la première. C’est la directrice des affaires culturelles de Quetigny qui y tenait absolument, et je trouvais rigolo de faire ça à la salle Mendès France, là où j’ai fait jouer pas mal de groupes de rock alternatif à la noix. (rires) Pour le coup, il fallait que ça corresponde à l’esprit du public à Quetigny, qui est abonné à la saison culturelle. On a mis L pour avoir un truc un peu plus « consensuel » et qui plaise. Je pense que l’année prochaine on se lachera un peu plus sur Quetigny.

Après toutes ces années dans le milieu, comment arrives-tu à être encore excité par des groupes?
Mais je suis plus excité maintenant qu’avant ! Il y a plus de groupes maintenant. Dans les années 90 tu avais l’arrivée d’une scène anglaise issue de la pop et de l’électro qui était très excitante. Avant, au début des années 90, c’était la culture grunge avec Nirvana, tous les groupes qui sortaient de chez Sub Pop, avec les Pixies… Ensuite ça a basculé et ça a donné essor à toute la scène anglaise des Radiohead, les groupes de Manchester qui arrivaient, Primal Scream, etc. C’était vraiment très excitant mais tu en avais peut-être 3 dans l’année qui sortaient du lot. Puis il y a eu l’électro, puis un mélange d’électro-pop. Là maintenant, tu en as 10 par jour qui sortent, et ils sont tous excitants. Déjà parce qu’aujourd’hui, chez toi tu peux faire une production terrible, c’est d’ailleurs pour ça qu’il vaut mieux aller vérifier sur scène. Et puis toutes les écoles se croisent, le hip-hop se mélange avec des influences électro, de rock, ça brasse le passé avec le présent. Un mec comme Skrillex, il arrive il fait de la dance et en même temps il a des sons complètement emo-core et métal, avec une ligne techno comme t’as jamais entendu. Les mecs sont un peu sans limite et tu as toute une jeune génération qui arrive, hyper décomplexée. Tout ça me motive vachement plus encore !

Mais est-ce qu’il y a encore des groupes vraiment novateurs ? Ou bien comme tu le disais, il s’agit juste d’un mélange de plein d’influences.
Oui je crois qu’il y a des groupes novateurs. Il y a un gars, Petite Noir, qui vient d’Afrique du Sud -d’ailleurs il joue aux Trans Musicales et on aurait vraiment aimé l’avoir- et qui chante un peu comme le mec de TV On The Radio. Il a une voix incroyable, il est super créatif. Il y a Die Antwoord aussi en Afrique du Sud, groupe dance avec une influence rap, le mec roule les « r » quand il rappe avec son côté afrikaner. En fait, après la techno on se demandait ce qu’allait être le prochain mouvement majeur qui allait tout renverser. Mais le truc c’est que ce nouveau mouvement il est global. C’est autant de Jack White que de Vitalic, avec tous les outils possibles, avec les nouvelles technologies, les iPhone, les Facebook, etc. Ils sont réactifs, et sur scène ils sont bricoleurs. Y’a un truc qui est vachement bien ce moment…

Tu arrives à te souvenir de tout ?
Non. Je fais mon propre ménage. En vieillissant je vais plutôt essayer de faire durer des histoires avec certains groupes. J’ai envie d’aller au bout des choses. On a parlé tout à l’heure de Von Pariahs, c’est un vrai coup de coeur, si je peux essayer de les suivre toutes l’année, les faire jouer où je peux, les faire rencontrer d’autres groupes, voir si on peut faire des créations, des choses particulières. Les groupes colombiens qu’on amène à GéNéRiQ, j’en fais descendre certains à Nîmes, à Paloma, je vais les mettre en résidence pendant une semaine avec des groupes de rap de Nîmes pour voir un peu ce qu’ils peuvent faire. Si on refait la Colombie l’année prochaine, Von Pariahs je vais essayer de les amener. Voilà, c’est ça l’idée, essayer d’aller au bout des histoires avec les gars.

C’est quoi ton plaisir ultime en tant que programmateur ?
(il réfléchit) L’opération en Colombie cette année, ça m’a pris ultimement la tête ! Vraiment, à monter là-bas, ça m’a pris fortement la tête. Mais quand je suis arrivé mercredi dernier (31 octobre ndlr), j’ai trouvé ça super ! Et pourtant j’ai pas vécu des moments de concerts qui m’ont mis les poils debout sur les bras. J’ai rencontré plein de gars super, on a fait des speed-dating, on a rencontré 30 groupes par jour pendant 1/4 d’heure, les mecs avaient les yeux qui brillaient, ils avaient envie de faire des choses. Je trouve ça intéressant. Et puis quand on a fait les Daft Punk aux Eurockéennes en 2006… ça faisait dix ans que je n’avais pas bossé avec eux, j’étais sur la grande scène je peux te dire que le moment où ils sont montés sur scène pour attaquer, ça m’a foutu un putain de frisson !

Comment ça s’est fait d’ailleurs, avec les Daft en 2006 ?
Assez simplement. On avait fait pas mal de dates déjà dans les années 90, quand ils étaient venus à l’An-Fer à Dijon. Là, ça faisait un moment qu’ils ne faisaient plus rien, j’avais appris par la bande qu’ils discutaient d’un truc à Coachella. Dans les années 90 quand je bossais à l’An-Fer, notre bande et notre réseau de discussion, c’était David Guetta qui programmait au Queen, c’était Chris The French Kiss qui s’appelle Bob Sinclar aujourd’hui, c’était les mecs de Phoenix, toute la bande à Cassius, Philippe Zdar, Daft Punk et leur crew, Pedro Winter, Laurent Garnier d’un autre côté. Et on est tous restés en contact, même si on a grandi dans notre truc. Donc quand en 2006 ça commence « à bouger », on s’est dit qu’il fallait les faire venir aux Eurocks. On s’est vu, on s’est mis d’accord… Ils voulaient savoir ce qu’on faisait pendant le festival. La programmation les intéresse vachement, et cette année là on avait les Strokes, Gossip, Arctic Monkeys je crois aussi… Ça les a bien branché tout ça : jouer après les Strokes, sur la grande scène.

Et alors, tu sais s’ils bossent sur quelque chose en ce moment ?
Ouais, il y a l’album qui va sortir, ils sont en train de le finir, a priori. Donc je pense que ça sera en 2013. Pas mal de gars ont tourné autour d’eux, sont venus en studio pour faire des trucs, mais je ne sais pas avec lequel ils se sont arrêtés. Parce qu’ils sont un peu comme ça, ils font venir des gaillards autour d’eux -Nile Rodgers le guitariste de Chic, Giorgio Moroder, Gonzales- mais après je ne sais pas ce qu’ils retiennent au final. Par contre pour du live, j’ai pas l’impression qu’ils en feront l’été prochain. Tout le monde s’est un peu excité il y a quelques temps, mais j’ai l’impression qu’il font d’abord l’album et après ils verront. Faut savoir que le live de 2006, ils l’ont monté en 15 jours, peut-être 3 semaines. Ils se sont dit « allez, on va faire une tournée ! » Et ils ont mis tout le monde d’accord. C’est ça qui est intéressant, ils reviennent tous les 10 ans, ils remettent les compteurs à zéro, et ils repartent ! (rires)

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Propos recueillis par Sophie Brignoli et Pierre-Olivier Bobo
Photos : POB