J’ai réussi à faire passer au rédacteur en chef de Sparse un papier sur un défilé de mode. Dans une ancienne usine désaffectée. Prenez ça, les blogueuses mode.

Apéro entre filles, je retrouve mon amie C. à la Cancale. Autour d’une grosse bière, elle me confie qu’elle va participer à un défilé de mode. Je ne lui cache pas ma curiosité et lui demande si je peux y assister. « Ah… non, c’est pas possible… ça sera assez intime », me répond-elle à regret. « Dommage, j’aurais pu faire un billet pour Sparse » lui fais-je entendre. La semaine suivante, elle me rappelle : « Au fait, c’est bon, tu peux venir ! J’en ai parlé à Lisbeth et elle est d’accord ! » Hum. Sparse est-il un mot magique ? Je réessayerai plus tard, pour vérifier ce nouveau pouvoir. Bon, du coup, j’étais invitée et j’avais un sujet d’article. Nickel.

30 octobre, 19h45. Prête pour mon premier reportage. Je vérifie l’adresse sur Google avant d’enfourcher mon vélo. Il fait un froid scandinave. Je fends la nuit à la lumière de ma dynamo. Au bout d’un certain temps, ne reconnaissant plus le nom des rues, je mets en doute mes capacités à lire une carte. « La rue des Rotondes, s’il vous plaît ? » fais-je à une passante. « Connais pas ». Merde. Je suis perdue. J’interroge un chauffeur de bus qui patiente au terminus. « Je ne sais pas mais j’ai un plan, si vous voulez ». Quelques minutes plus tard, après avoir retourné le quartier dans tous les sens, j’ai enfin mon itinéraire. Je regarde ma montre, 19h58. Je suis en retard. Arrivée au 71-73 rue des Rotondes, je suis stoppée dans ma course. L’atmosphère qui règne ici me pousse à descendre de mon vélo, j’entre presque religieusement dans ce qui pourrait être un décor de film. Deux ou trois Renault Master rouillés, un peu plus loin une caravane, des bâtiments apparemment désaffectés… une sorte de quartier fantôme. Dans le noir, le silence et le froid, avec un peu d’imagination, je peux apercevoir un tigre et entendre les cuivres d’une fanfare kusturiquienne. Tout au fond, une lumière marque mon point de mire. Les Ateliers Vortex.

Linogravure, austérité et musique électronique

J’entre. Une trentaine d’invités patientent dans le hall. Au fond, un escalier de fer mène à l’étage. Ne connaissant personne, je reste dans un coin. Je sors mon précieux carton d’invitation : linogravure et impression typo, signé Wonderpress. Il annonce la couleur : un vert de gris presque céladon refroidit par un lettrage argenté. Des talons claquent sur nos têtes. Ultime répétition. Vers 20h30, on nous invite à monter. Nous arrivons sous les toits dans une très grande salle de type indus’. L’austérité du sol beige et des murs blancs magnifie le voligeage en bois et la charpente métallique.

Le son du danois Trentemøller ouvre la marche avec Take Me Into Your Skin. La couturière, Lisbeth Løvbak Berg, me confiera plus tard qu’elle a choisi ce morceau lent et froid pour accentuer le thème de sa collection, ne souhaitant réchauffer l’espace que par l’éclairage et les beats. Voici Sheltered, la deuxième collection de L-L-B : 10 looks, 8 filles, 4 couleurs.

 

 

 

 

 

Les silhouettes sont structurées par le haut du corps, des capuches légères tombent sur les épaules comme « des maisons textiles » explique L-L-B, qui tire ses inspirations de l’architecture, « une protection de la pluie, du soleil… un processus intuitif ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En un clin d’œil, le voile tombe ; la femme, en confiance, sort de son abri. Les tenues se modulent suivant l’humeur. C’est l’éthique de L-L-B : « Je veux permettre aux gens d’employer leurs habits dans différents contextes et de différentes manières pour qu’ils puissent les garder plus longtemps. Ce sont des vêtements double-et-plus-emplois ».

Le second point sur lequel la designer ne déroge pas, c’est le choix des matières. Écologique. Les tissus sont ‘bio » et elle fait elle-même ses teintures, de manière à en maîtriser la composition.

 

 

 

 

 

 

 

Autre référence à l’architecture, on retrouve tout au long du défilé une impression « mur de briques », comme un camo urbain. L-L-B a travaillé à partir de photos des ruines d’une abbaye. Séduite par ces murailles apposées sur le corps, j’entends le chant de ses sirènes citadines. Elles fredonnent aux passants qui suivent du regard ces forteresses en mouvement : « Je suis mon refuge, ma propre maison. Je me déplace sur l’échiquier telle la tour. Ma route est droite et je peux marcher longtemps. Mais il vous faut me faire de la place… »

 

 

 

 

 

 

 

Comme une étoile dans un trou noir, nous glissons subitement dans un espace-temps à part. Accueillis par une guerrière de l’espace aux jambes interminables et aux yeux sombres, nous nous sommes retrouvés dans l’impensable-univers-qui-te-réconcilie-avec-le K-Way. La bouche pleine de salive et les mains moites, l’assemblée, endoctrinée par cette amazone du futur, a murmuré d’une seule voix « Je le veux ! » Et en plus, c’est naturel : L-L-B m’a précisée que la doublure est en coton bio et que l’extérieur est rendu imperméable grâce à une technique de tissage très serré. Du coup, pas de traitements chimiques. Cette fois, c’est sûr, je le veux. Et le jogg qui va avec ? Pourquoi pas.

 

 

 

 

 

Voici la seule pièce de la collection qui soit de couleur chaude, ce qui a un impact très fort sur l’inconscient collectif. L’œil, habitué au froid, est soudain ravigoté par ce bustier cousu de petites pièces de cuirs fauves. « Très 80’s » sourit L-L-B. « Ce sont de vieux cuirs que j’ai récupérés. Recycler était le seul moyen d’introduire du cuir dans la collection. Sauf si j’avais été sûre que l’animal ait été mangé, en plus de la garantie ‘cuir bio’…  »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ovation pour L-L-B, qui a déjà plusieurs commandes pour cette collection et qui prépare dès à présent la collection automne-hiver 2013. Elle travaillera la technique des tailleurs pour des « vêtements plus construits ».

Nous redescendons pour le buffet, vin chaud et gâteaux norvégiens : cake carotte-cannelle et pain sucré à la cardamome. Vœr så god !

Les gens sont tous contents, ils ont tous adoré. Les filles, masquées de maquillage, nous rejoignent petit à petit. On peut ressentir l’excitation d’après concert quand l’adrénaline est encore dans le sang mais que la tension est partie. Réchauffés par le vin chaud et les sourires, on a du mal à quitter les lieux. Cette soirée est un succès. Bravo Lisbeth Løvbak Berg. Life List : assister à un défilé de mode : check !

 

– Mélaine Launay

Crédit photos : Cécilia Philippe