Ancien sous-officier de l’Armée de l’air aujourd’hui réserviste à la BA 102, la base aérienne de Dijon, Charles Delcourt* nous parle de son job. L’Afghanistan, les sorties au Burger King de Kandahar ou encore les fêtes de Noël : vis ma vie de mec normal au coeur d’une base militaire. Avec un flingue dans le pantalon.

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Tu peux nous retracer ton parcours dans l’armée ? J’ai fais un peu de tout : après mon service, je suis resté et je suis sorti comme sous-officier, sergent-chef. J’ai commencé en tant que mécano avion. Au bout de quelques années, avec les réformes, ma spécialité a disparu. J’ai dû choisir une autre spécialité et j’ai pris armurerie. Puis, après différentes mutations, j’ai pu aller dans différents endroits et faire quelques missions en extérieur.

On a souvent une image d’Épinal de l’armée avec ses différents corps qui se livrent des conflits internes. C’est vraiment le cas ? Ça peut arriver, mais c’est plus des petites chamailleries. Il n’y a pas grand chose à dire. C’est de la taquinerie. On va s’appeler par des noms d’oiseaux. Les ploufs pour les « mataf » (la marine), les pousses cailloux pour l’Armée de terre. Ce qui est marrant, c’est de se confronter. J’ai vu des trucs amusants, en mission vigie-pirate par exemple. Sur les temps de pause où on était avec l’Armée de terre, ils jouaient aux cartes. Celui qui gagnait tout le temps, c’était le plus gradé. Quelque soit le jeu des autres participants, c’est toujours le plus gradé qui gagne. Ce genre de truc n’existe pas chez nous. C’est assez cocasse.

Quel perception vous avez des gradés ? Est-ce qu’ils sont vus comme des grattes papiers qui donnent leur ordre ou alors comme de véritables chefs traités avec respect ? L’Armée de l’air fonctionne un peu différemment de l’Armée de terre par exemple. On va avoir tendance à penser que ce sont les fonctions qui vont primer sur le grade. Le respect est plus dans la compétence que dans le grade. Ce n’est pas parce que quelqu’un est gradé qu’on va forcement prendre pour argent comptant ce qu’il va nous dire. Il y a des gens très compétents qui vont forcer le respect et puis d’autres un peu moins.

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Quelles ont été tes terrains d’intervention ? Je suis allé un peu en Italie (dans le cadre de l’intervention en ex-Yougoslavie, les bases des forces européennes s’y trouvaient). En Afghanistan et en Arabie Saoudite. En fait, tu ne pars pas là où tu veux, quand tu veux. Soit c’est ton unité qui part, soit tu fais des demandes de volontariat. C’est toujours très bien de partir, tu rencontres des gens qui vivent des situations très différentes de ce que tu vis au quotidien ici. Des situations un peu plus tendues. Tu te confrontes à des cultures très différentes. C’est aussi très intéressant de voir comment d’autres armées fonctionnent. Je pense notamment aux Hollandais qui vont être beaucoup plus pragmatiques que nous. La tenue ne va pas être quelque chose de très important pour eux, ils vont plutôt être dans la performance du personnel. Par exemple, ils ont des soldats avec des dreadlocks, ça ne leur pose pas de problème. L’important, c’est que la mission soit bien faite et que les consignes bien appliquées. Ils ont beaucoup de retour sur expérience, avec des briefings, des contre-briefings. Je pense aussi aux Britanniques qui ont des réunions avant chaque briefing où ils font le point sur chaque aspect.

Comment se passe la cohabitation entre les armées ? Ça se passe très bien. Il y a un enrichissement réciproque. Quand des gens arrivent à la limite de leur système parce que les consignes les empêchent d’agir, d’autres personnes vont pouvoir le faire. Il y a une sorte de complémentarité et ça présente beaucoup d’adaptabilité. Ce sont des expériences très enrichissantes. Nous étions dans des structures avec des fonctionnements très différents. Certaines armées travaillent avec beaucoup de prestataires de service, alors que d’autres font tout : de l’entretien des véhicules à la nourriture.

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Tu as été confronté à l’armée américaine dans le cadre d’interventions en Afghanistan ou encore en Arabie Saoudite. Leur image s’est un peu améliorée ? Vaste sujet… Les Américains ont quand même un côté cow-boy. C’est particulier, les fois où je les ai vus en Afghanistan, ils restent plus de douze mois sur site (en comparaison, l’armée française reste de deux à six mois). Un an c’est énorme. Ça veut dire que tu ne fais pas ton anniversaire chez toi, tu ne vois pas ta famille, tu ne passes pas Noël. C’est très long. Pour nous, soldats français, on vit au quotidien comme si on était en France. On fait notre travail de la même manière dans un contexte particulier. On vit avec un décalage total avec ce que voient les gens à la télévision. C’est à dire qu’on vit un quotidien normal avec quelques alertes. Pour revenir aux Américains, ils ont une manière très différente d’appréhender les conflits. En France, on va souvent te donner des explications religieuses alors que les Américains sont persuadés qu’ils se battent contre « l’axe du mal », ils ont une vision beaucoup plus manichéenne. En étant persuadés d’être les gentils qui se battent contre les méchants, ça donne parfois des situations drôles. Culturellement, c’est différent aussi. Les Américains ont une grosse infrastructure, une grosse logistique mais dès qu’ils sont tout seuls, ils sont un peu perdus. Par exemple, on nous disait de faire attention autour des convois : si tu t’approches trop prêt, il y a des chances qu’on te tire dessus même si tu es un soldat de la coalition. Parce qu’ils appliquent des techniques à l’américaine. La consigne est la consigne.

Tu faisais quoi de tes soirées ? C’est un peu compliqué.Tu es sur des sites qui sont complètement fermés, tu ne peux pas sortir. Alors tu as deux options : soit tu passes ton temps scotché sur Internet, soit tu te confrontes aux autres personnes. On était sur une base de 11.000 habitants. Il n’y a pas d’interactions avec les locaux. Tu rencontres beaucoup de nationalités, mais pas de locaux. C’est paradoxal. C’est assez normal pour les militaires américains qui ont des grandes bases un peu partout. L’armée française s’adapte plus aux populations locales. Sur notre base il y avait des Belges, des Hollandais, des Australiens. Beaucoup de diversités. Par exemple, pour les fêtes de Noël, en France on a le Père Noël. Mais tu vas aussi avoir Thanksgiving pour les Américains, la Saint Nicolas pour les Belges. En gros, tout le monde va se donner des cadeaux mais pas à la même période.

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Qu’est-ce qu’on s’offre comme cadeau sur une base militaire ? En France, il y a des associations qui s’occupent de ça. Par exemple, des enfants écrivent des courriers aux soldats pour Noël et la nouvelle année. Des gamins que tu ne connais pas. C’est un programme entre la Défense et l’Éducation nationale. C’est assez sympa. Tu leur réponds et ils sont super contents. On avait deux cadeaux par soldat. Tout le monde ne joue pas le jeu de répondre. Mais on avait fait des photos avec les collègues, des cartes postales personnalisées parce qu’on n’avait rien d’autre. L’idée, c’était de montrer aux enfants à qui ils écrivaient. On avait aussi fait des photos du matériel, des choses que tu ne côtoies jamais au niveau des armées étrangères : des hélicos russes, des camions britanniques…

Ça joue entre soldat ? Ça s’échange son matériel ? Non pas trop, mais ça vient visiter. Quand on a du Rafale, du Mirage 2000, les gens viennent voir.

Comment ça se passe au niveau du sexe, de l’alcool, des drogues ? On était sous commandement Américain, donc c’est simple : pas de sexe, pas de drogue, pas d’alcool. Si tu te fais choper c’est pas compliqué, c’est retour case départ. Les gens ne jouent pas trop. On évitait. Ce n’est jamais drôle de rentrer en « vol bleu » (rapatriement pour faute).

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Tu t’es déjà demandé ce que tu foutais là-bas ? Jamais. Si tu commences à te poser des questions sur la légitimité du mandat, tu fais pas ce métier là. Tu sais que si tu pars dans un pays, tu n’y vas pas tant que mercenaire, tu y vas parce que la nation française a décider l’aller là-bas.

Tu évoques les mercenaires… On sait qu’en Irak, les Américains ont eu beaucoup recours à ce genre de personnel. C’était le cas aussi en Afghanistan ? Oui forcément. Il y avait du personnel de sécurité pour des missions de logistique. Le mandat était simple pour nous, c’était la formation et l’encadrement de l’armée Afghanne. Pour le reste, ce sont des prestataires. Par exemple, la nourriture était assurée par des boites de sécurité pour le ravitaillement. La sécurité des prestataires privés étaient assurées par des boîtes privés. C’est tout à fait naturel pour les anglo-saxons. Pour resituer un peu la chose, chez nous, c’est pas des policiers qui font venir de l’argent dans les banques.

Tu as remarqué des détails amusants sur la base militaire américaine ? Quand j’étais en Afghanistan, c’était le moment où le film Transformers venait de sortir. Certains véhicules étaient tagués avec les logos des autobots, les robots de la fiction. Il faut aussi avoir en tête qu’il y a des Burger King, différentes chaînes de fast food. En plus de ton catering, tu peux aller te faire un burger. Tu le payes en dollars. Il y a des distributeurs de billets. T’es en plein Afghanistan et tu peux tirer de l’argent sans soucis. Tu peux aller dans un bar sans alcool où tu peux consommer 24h/24h. Tout est importé.

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Bon, et tu as été confronté à des situations de combat ? Très peu. Les seules situations auxquelles tu peux être confronté dans ce genre de site, c’est des actions sur le moral. Des tirs de roquettes notamment, ça fait partie du jeu. C’est normal. Tant que t’as que le son et pas l’image, ça va.

L’ambiance générale d’une base militaire à côté de Kaboul, qu’est-ce que c’est ? Décontracté, c’est peut-être un peu fort, mais t’es dans l’efficacité, le reste est superflu. Tu te détends quand t’as fait ton boulot.

Tu te sens en guerre, finalement ? Non pas tant que ça. Pour les attaques, c’est un peu comme si le matin, quand tu vas au boulot, tu aperçois qu’il y a eu un carambolage juste derrière. Tu te dis que c’est cool pour toi si tu l’as évité.

– Propos recueillis par Jérémie Barral
Photos : DR
*Le nom a été modifié afin de préserver l’anonymat