Ez3kiel sort le 10 novembre son dixième album sobrement intitulé Lux. La tournée de cet album s’accompagne d’un show hors du commun où le groupe se produit devant un magic screen, dispositif constitué de 48 projecteurs servant tantôt de mur de lumière, tantôt d’écran de projection. Ce nouveau projet était l’occasion de rencontrer Yann Nguema (lumière, graphisme & ex-bassiste) et Stéphane Babiaud (batterie) durant la 28ème édition du festival Nevers à Vif qui a eu lieu du 30 octobre au 1er novembre.

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La tournée a commencé il y a quelques jours maintenant, tout se passe bien ?
Stéphane : Ça se passe bien, ça se met en place tranquillement. Tout s’affine, la musique s’affine, la lumière s’affine… On trouve des choses, on en abandonne d’autres. Tout se passe bien.

Yann : Disons que la période d’octobre où on a joué cinq ou six fois, c’était pour tester le dispositif. Il s’agissait de dates un peu isolées. On a laissé un peu de temps entre chaque dates pour voir ce qui marchait et depuis hier à Nantes, c’est le début de la véritable tournée. On a eu beaucoup de contraintes à surmonter pour faire aboutir le projet. Des contraintes en tout genre. On peut dire qu’on a réussi : et pour l’album, et pour la tournée. On est content de l’effort qu’on a fait pour ce projet. Ce n’était pas gagné il y a quelques mois, quelques semaines, quelques jours. On retombe bien sur nos pieds. On espère que la tournée sera aussi prometteuse…

L’album Lux sort le 10 novembre. Comment vous expliquez que la tournée ait déjà commencé ? Stéphane : Les choses s’empilent parfois de manières un peu inattendues. On ne maîtrise pas forcément tous les étages de la production. Quand l’album a été enregistré, on a rencontré les gens du label Ici d’Ailleurs qui étaient intéressés pour qu’on travaille ensemble. La sortie la plus pertinente pour leur calendrier était le 10 novembre et il y avait des dates qui avaient déjà été vendues.

Yann : Il faut dire aussi que l’album a été repoussé par rapport au calendrier qu’on s’était fixé. La date de rendu, de finalisation de cet album a été décalée plusieurs fois. Si bien que même au dernier mastering on a encore repoussé. Ça a donc réduit les possibilités de sortir l’album avant de tourner. Il fallait faire l’album avant de démarcher des maisons de disque pour signer. Tout a été repoussé jusqu’au dernier moment et une maison de disque ne peut pas sortir un album un mois après avoir signé le groupe. L’album est ici mais on ne peut pas le vendre parce qu’il sort le 10 novembre.

Stéphane : C’est étonnant aussi de voir des gens réagir à des morceaux qu’ils ne reconnaissent pas. Enfin, ils en connaissent deux, ceux qui sont sortis sur Internet. C’est bien de voir comment ils réagissent à un projet neuf. Globalement, les retours sont très positifs.

Vous avez signé cet album Lux chez Ici d’Ailleurs, le label de Yann Tiersen, pourtant votre label historique c’était Jarring Effect. Qu’est-ce qui explique cette évolution ? Stéphane : Ça a commencé avec l’album Naphtaline qui a été autoproduit par Ez3kiel, en 2007. Après, Battelfield on l’a produit en licence chez Jarring Effect. Ensuite, on a commencé a vouloir produire tout nous même. Ça a été le cas pour le Naphtaline Orchestra et pour l’Extended. On s’est rendu compte que faire les choses par nous même c’est bien. Mais pour sortir un « vrai album », non pas que les autres n’étaient pas des vrais albums, on voulait aller vers de nouvelles choses et pas seulement des arrangements. On a pris des gens dont c’est le métier d’aller chercher des contacts, de faire de la promo, qui ont leur place sur le web, qui sont force de proposition. On n’a ni le temps, ni les compétences, ni l’argent pour le faire nous-même. Ici d’Ailleurs, c’était le moyen de le faire.

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Yann : L’idée, c’était aussi d’avoir plus de force de diffusion que Jarring Effect. Jarring Effect reste un label indépendant. On est vite arrivé aux limites de notre collaboration. Jarring Effect a connu une période assez compliqué où on a fait pas mal de concerts de soutien. Au bout d’un moment, on avait l’impression que le label ne pouvait plus nous porter, mais que c’était nous qui portions le label. On s’est donc demandé ce que ça faisait si on autoproduisait. Et puis, pour ce nouvel album on ne pouvait pas. Surtout, on n’a pas la force de promotion que peut avoir une maison de disque. Au final, on s’est posé la question de le sortir tout seul. Mais une maison de disque, c’est un poids. On a cherché plusieurs maisons de disque. Les grosses maisons de disque ne s’intéressent absolument pas à nous : on a cherché, on s’est même dit pourquoi par une major. Rien à foutre.

Stéphane : Depuis le début, on est musique sans chant. Et puis j’ai l’impression qu’on est catalogué groupe qui fait beaucoup de choses indépendamment : « do it yourself ».

Yann : Le groupe est connu mais pas assez pour intéresser une major en terme de vente de disques. Cela dit, si on avait eu une proposition, on n’aurait pas accepté. On est tellement habitué au milieu indépendant avec de l’attention pour les artistes, des avantages. Attention qui n’est pas forcement présente sur une major, puisqu’ils ne vendent plus assez de disques. Ils sont obligés de gratter un peu partout. On a vu des contrats qu’on n’aurait jamais acceptés. On a rencontré Yotanka, Ici d’Ailleurs et d’autres qui étaient intéressés. La relation est plus seine. Stéphane, le patron d’Ici d’Ailleurs est un passionné de musique, on pourrait dire un mécène. Ça n’a rien à voir avec le directeur artistique d’une major. On est très heureux d’être sur Ici d’Ailleurs, ce qui surprend certaine personnes, puisque des gens croient qu’on fait encore du dub.

Stéphane : On a eu des propositions auxquelles on ne s’attendait pas. « Lux c’est la lumière, ok on va faire un vinyle transparent » par exemple… Faisons ça parce que ça le mérite. Ça fait du bien de voir qu’il y a des personnes qui y croient vraiment.

Yann : C’est la première fois qu’on nous donne les moyens de faire des choses abouties. D’habitude, c’est le minimum. D’habitude, on force beaucoup, on donne beaucoup parce que c’est un métier qu’on aime. Pour l’objet, la maison de disque nous a donné vraiment des bons moyens.

Grâce aux deux titres sortis sur le net, Dead in Valhalla et Anonymous, on peut découvrir qu’il y a plusieurs featurings, notamment Leatitia Shériff et Pierre Mottron. Comment se sont passées ces rencontres ? Stéphane : Ça s’est passé naturellement puisque Jo (clavier, guitare, sample) a rencontré Laetitia par l’intermédiaire des Vieilles Charrues. Il y avait un jury pour les tremplins. Jo était avec Leatitia. Ils commencent à se connaître un peu avec Vivien du label Yotaka. Du coup, ils s’étaient bien marrés. Jo l’a proposé, on lui a envoyé les pistes et puis elle a chanté. Ça s’est fait de manière très simple. Je ne l’ai pas revu depuis qu’elle a fait cette chanson. Avec Pierre Mottron, c’est plutôt Yann qui avait accroché sur le travail de Pierre que j’avais déjà entendu. C’était une forte proposition de Yann, on lui a donné des morceaux, il a posé ses voix. Après, ça a été des allers-retours de fichiers.

Yann : On a travaillé sur chaque album avec des artistes, toujours avec au moins deux morceaux avec du chant. Un exercice de style qu’on fait à chaque fois. C’est difficile de faire un album uniquement instrumental. Et puis on voulait éviter l’effet « guest star ». Pour tenir soixante minutes sans chant, il faut avoir une proposition musicale riche. On est tellement habitué dans la culture présentée à la radio, à la télé, que dès qu’on enlève le chant, qu’est-ce qu’on peut faire : du jazz, du classique, de la techno ? Nous, on ne fait pas tout ça. On trouve souvent plus facile de faire des morceaux avec du chant. Il y a plein de morceaux qui fonctionnent moyennement. Il y a plein de gens qui ne sont pas connus et qui sont des génies. Comme Pierre Mottron, un jeune qui fait tout, qui a un talent incroyable. Il ne serait pas Français, ça ne serait pas pareil. En plus, il habite dans notre ville. Voilà, des gens comme ça, autant qu’on travaille avec eux plutôt qu’on cherche des gens reconnus. De toutes les collaborations qu’on a faites, on est très content de la rencontre des deux univers.

Ez3kiel a maintenant 20 ans d’existence, qu’est-ce qu’on ressent en tant qu’artiste ? Se dire qu’on a commencé en 1994, est-ce qu’il y a des envies de changement de renouveau ? Des déceptions ? Yann : On n’a jamais fait de bilan. On ne pense jamais au fait que ça fait 20 ans. On n’a jamais eu d’aigreur non plus. On a la chance de réaliser à chaque fois des projets plus intéressants les uns que les autres. On a la chance de pouvoir mettre la barre plus haut à chaque fois, de jamais s’ennuyer et ces vingt ans, on les a pas vu passer. J’ai jamais eu l’occasion de me poser la question.

Stéphane : J’ai intégré le groupe en 2006 avec Naphtaline en tant qu’invité. Depuis, j’ai l’impression que le temps est passé comme un TGV en gare de Marne la Vallée. On a enchainé les projets. On a fait beaucoup de choses.

Yann : On a tout le temps une actualité. On n’est pas très fort en communication si bien qu’à un moment les gens avaient pensé qu’on avait splitté. Il y a un an, il y avait des rumeurs disant qu’on avait arrêté. J’ai quitté la basse, Mathieu est parti. Tous ces changements ont créé des rumeurs sans fondement. En vingt ans, on a vu passer finalement plein de groupes qui ont explosé en plein vol alors que nous, on n’a pas forcement brillé, mais on est encore là.

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Vous évoquez justement le fait que Yann, toi, tu ne joues plus de basse. Comment est-ce que tu vis le fait d’avoir quitté la scène? Est-ce qu’à terme tu comptes y revenir ?Yann : Ça s’est présenté avec le Naphtaline Orchestra. Il y avait soixante musiciens sur scène. Je me suis dit : « C’est le moment de me consacrer qu’aux visuels ». Comme ça je pouvais aller plus loin dans l’esthétique. Je m’y suis habitué. Après ce n’est pas évident d’avoir le cul entre deux chaises. Avec le temps, il est arrivé qu’on me demande ce que je faisais dans Ez3kiel, ça fait bizarre en fin de concert. (rire) Voilà, je suis plus sous les feux des projecteurs. Mais maintenant il y a des Ez3kiel devant, il y a des Ez3kiel derrière avec des gens au milieu. C’est bien d’en avoir un derrière. Quand on est sur scène on ne voit pas ce qu’il se passe, ça a toujours été difficile pour nous d’imaginer ce que voyait les gens.

Stéphane : Au niveau de la taille de l’instrument, Yann nous écrase tous avec le mur du magic panel. Ton instrument, c’est les lasers, le mur de lumière.

Yann : Il était question que je revienne sur scène, après ça m’intéresse pas d’être sur scène pour être derrière un ordinateur. À part si bien sur je me fabrique un instrument qui a un intérêt scénique, je reviendrais sur scène. J’en suis pas là. Je suis encore à créer la scénographie.

Pour revenir à l’album Naphtaline, j’ai beaucoup écouté la chanson Léopoldine ces derniers temps, est-ce qu’il y a une histoire derrière ce prénom ? Qui c’est ? Yann : C’est moi. J’ai écris la base de la mélodie de Léopoldine, à l’époque je faisais des berceuses. Tout les soirs j’essayais d’en faire une. Et à ce moment là je lisais un bouquin d’Amélie Nothomb. Je crois que ça vient de son livre le plus connu « L’hygiène de l’assassin » mais je ne suis pas sûr. Je me demande si ce n’est pas là où la jeune fille s’appelait Léopoldine. C’était le premier truc qui me venait par la tête. (Il s’agit bien de l’Hygiène de l’Assassin, ndlr)

Stéphane : Je ne savais pas ça. Faudra lui dire. Je suis ravi de l’apprendre.

Yann : Je ne sais même pas si je l’ai déjà dit à quelqu’un. C’est moi qui l’ai écrit, après c’est Cyril (invité de l’album Naphtaline) qu’il l’a magnifié.

Est-ce que vous avez une anecdote de tournée ? Un plan foireux de tournée à nous raconter ? Stéphane : Bah moi ce matin, je me suis bien pété la gueule à la sortie de la douche. J’ai foutu le pied gauche sur une surface que je pensais un peu rugueuse, c’était une surface très glissante. Je me suis carrément arraché le coude sur le lavabo. Le pied droit a glissé. Je me suis retrouvé le cul par terre et je me suis dit en deux secondes : « Merde, ou je suis en train de me péter la cheville ou de me péter le coude ». Et là j’ai vu les dates et la tournée s’annuler. J’ai vraiment flippé. Finalement tout va bien.

Texte et photos : Jérémie Barral
Dessin : Yann (Ez3kiel)