Quand l’équipe de Sparse a appris que j’étais parti vivre à Bordeaux, leur réaction fut virulente et sans surprise. Ils m’ont traité de tous les noms : lâche, traître, hipster, stagiaire, PQR, gluten… Tout ça devenait ingérable alors je me suis résigné à leur pondre une grosse leçon de journalisme 1.0 malgré la distance qui nous séparait. Au départ, j’avais prévu le truc béton genre web-docu interactif sur la biodynamie du vin bordelais et data-articles sur la slow-food façon master Euromédias. Puis, je me suis rappelé que moi et ma carte de presse holographique évolution Dracaufeu, on ne rentrait même plus dans un FRAC. Alors pour soigner ma déprime post-journaliste de citoyen urbain désœuvré, je suis allé faire les magasins.

Pendant les coups durs ils me donnent du baume au cœur, adoucissent mes tracas et me font voyager comme si leurs portes coulissantes me téléportaient d’univers en univers. Une porte des étoiles dans sa version Carrefour intergalactique avec son infinité de planètes s’obstinant à toujours refuser mes paiements par télépathie. Je flâne entre les rayons, je sillonne les têtes de gondole et explore les étalages, l’expédition consommation. Evidemment, je pourrais me passer des magasins. Boycotter le système et ses grosses enseignes ; confectionner mes vêtements en coton organique ; retaper des meubles Emmaüs ; faire pousser des pommes de terre et fabriquer un puits. Mais non, au lieu de ça j’effleure la vie en me sentant à la fois bricoleur, randonneur et architecte sans le moindre effort depuis mon pèlerinage de rayonnages complètement indoor. Que vous habitiez à Dijon ou à Bordeaux les magasins c’est comme le vin, on en trouve partout mais n’ont pas le même goût.

IKEA

La Suède en plein cœur de son centre commercial pas vrai ? Ses meubles suédois made in China, ses hot-dogs au prix d’une partie de baby-foot, son délicieux saumon mi-cuit au poivre… De la bonne bouffe et de la commode low cost, c’est ça qu’on aime chez IKEA. Et j’avoue éprouver un certain plaisir à déambuler dans le géant du prêt-à-meubler au milieu des MILF et des couples se disputant sans relâche autour d’un bureau scandinave. Mais il y a des limites à ne pas franchir. Cet interminable parcours labyrinthique serpentant le magasin me rend complètement fou. Vous avez tout intérêt à réviser votre aqua-jogging parce que les 40 kilomètres de marathon qui vous attendent font mal. Perdu entre les cuisines et les canapés d’angle, j’ai envie de tout casser sur mon passage façon Shining. Merde, je suis pas venu à IKEA pour faire du géocaching. Malgré tout, il y a ce côté « design pour tous » qui est loin d’être déplaisant. Cette impression d’avoir bon goût et de maîtriser les tendances sur le bout des ongles. On se sent créateur d’espace et architecte d’intérieur à la fois. On se permet des petites retouches par-ci par-là en pointant du doigt les tables basses : « Tiens je la repeindrais bien en couleur corail-pantone-B12 celle-ci ! » La magie IKEA c’est aussi ça, refaire tout le catalogue pour finalement ressortir avec trois putain de cactus.

ikea

LEROY MERLIN

C’est dingue comme je me sens bien dans un Leroy Merlin. Sa déco minimaliste aux allures d’abri antiatomique me rend quelque peu nostalgique. Je me revois au garage de mon oncle bricolo-alcoolo lui emprunter une scie circulaire et quelques clés à molette. Ce magasin à l’odeur rassurante donne du cœur à l’ouvrage. On ne s’y balade pas les mains dans les poches, on caresse délicatement les outils, on tâte les matières premières… Et on se dit qu’on pourrait tout aussi bien retaper sa salle de bain, faire sauter les murs porteurs et installer un jacuzzi pour ses soirées Loup-Garou. Quand je me balade à Leroy Merlin, j’ai envie de bricoler la vie, rafistoler la terre entière, jouer aux Sims, ouvrir un chantier dans mon 27 m². Bon sang mais filez-moi une pelle pour creuser des rigoles ! Envoyez-moi un marteau et des clous que j’accroche mon Rembrandt bordel ! Couler du béton, poser du carrelage et fabriquer une clôture pour son jardin ne m’a jamais semblé aussi facile. Et c’est là un des atouts majeurs du musée de la perceuse. La force de Leroy Merlin réside dans sa faculté à nous faire passer pour un Mac Gyver en puissance (tout en restant dans sa version sosie-sur-Saône qui arrondit ses fins de mois au black). Alors qu’en réalité, on ne va pas se mentir, on ne vaut pas mieux qu’une Valérie Damidot daltonienne.

Va te faire foutre George, j’ai connu un mec de droite qui avait dix fois plus de classe que toi.

NESPRESSO

Alors là je dois dire que je ne me suis jamais senti aussi mal dans un magasin. Quand je suis à l’intérieur d’une boutique Nespresso ça me fait le même effet que lorsque je traverse la rue Amiral Roussin à Dijon. Ça me donne l’impression d’être un naze. De ne pas savoir faire de l’aviron ; de ne rien comprendre à la bourse ; de ne pas être licencié d’un club de Golf ; de ne pas lire le Monde Diplomatique ni d’être abonné au Chasseur Français. Par curiosité j’ai tout de même voulu jeter un coup d’œil au magasin de Mr. Clooney dans la ville bordelaise. (Il me semble qu’il n’existe pas encore de boutique Nespresso à Dijon mais ça ne saurait tarder, j’en ai bien peur). Sur place, pas de George, juste une armée de vendeurs aux chaussures en cuir pointues et aux formules de politesse inépuisables histoire de me faire passer pour un mec important. Très vite, on me demande si j’ai ma carte de membre pour pouvoir payer mon café. Je réponds par la négative et aussitôt les masques tombent. Pour eux, je suis un imposteur, un moins que rien. On saisit mon sac qui déborde de capsules et on me dirige vers la sortie. Je reste sans voix. J’ai envie de jouer à chamboultou dans le magasin. Je suis à deux doigts de charger mon NERF de Ristretto. Va te faire foutre George, j’ai connu un mec de droite qui avait dix fois plus de classe que toi.

decathlon

DECATHLON

Avant d’être un magasin, Décathlon c’est d’abord une cour de récréation avec pour seul mot d’ordre : tout essayer. Du ballon de basket à faire rebondir frénétiquement, aux courses de skate au milieu des tentes Quechua jusqu’aux imitations de Dark Vador avec masque intégral de plongée, l’endroit se prête indéniablement à l’amusement général. C’est Disney Land, tout le monde passe un bon moment, les vendeurs n’en peuvent plus, c’est la cohue et pendant ce temps vous tentez furtivement une partie de Mölkky au rayon Fitness. Mais sachez une chose, cette masse graisseuse ne va pas s’envoler toute seule. Vous aviez promis à votre petite amie de belles résolutions 2016 que vous avez tristement confondu avec vos résolutions 1664. Quand je suis venu acheter une paire de running pour me remettre au jogging je me suis dit que je pouvais tout aussi bien me mettre à l’équitation, à la randonue ou au Yoga tantrique. Décathlon c’est la folie des grandeurs. On y entre avec la détermination d’un Usain Bolt survolté pour en ressortir avec des boules de pétanques, une lampe torche à dynamo et des barres chocolatées Ritter Sport.

natureetdecouverte

NATURE & DECOUVERTE

C’est mon magasin préféré. Quand je rentre dans un Nature & Découverte, je ferme aussitôt les yeux pour mieux m’imprégner et humer toutes les odeurs. Huiles essentielles, infusion digestive, thé noir, encens nuit d’été, papier d’Arménie… Rien ne m’échappe. Une fois les yeux ouverts, j’inhale la fumée expirée par des engins d’une tout autre planète qui provoque en moi un sentiment de bien-être ultime. Commence alors un voyage initiatique en plein cœur du magasin. Sur mon passage, je tente de résoudre quelques casse-tête indiens tout en feuilletant des guides survivalistes. Je me dirige doucement vers un bol chantant tibétain pour massage sonore. Je le touche pour mieux sentir son énergie. 185 euros. Beaucoup trop cosmique à mon goût, je rebrousse chemin. En repartant, je perçois des ondes en provenance d’un objet incontournable chez Nature & Découverte. Le pistolet à amplificateur de sons. Destiné à écouter les animaux, il se verra tout aussi efficace pour espionner les coïts de sa voisine. Je reprends ma route tel un backpacker de centre commercial. Au rayon multimédia, je m’enfile la dernière compil cris d’oiseaux & tempêtes tropicales et le dernier album d’Aigle Bleu. Ésotériquement parlant, je suis au top. Avant de partir, je craque pour un petit cahier de coloriage mandalas histoire de lâcher prise pendant les conférences de rédaction. En sortant, le vendeur du magasin m’interpelle : « Vous ne voulez pas vous inscrire à un petit atelier de luminothérapie ? ». Le rêve ne prend jamais fin à Nature & Découverte. Namasté à tous, salutation au soleil.

– Antoine Massot
Illustrations : Marion