Vous avez presque tous déjà posté au moins une fois sur Facebook la photo d’un coucher de soleil vu depuis la magnifique place de la Libération à Dijon. Ça a fait des centaines de likes. Mais pourquoi, bordel ?

Vous avez tous déjà claqué votre petit « Insta » du pont Battant sous un ciel bleu à Besançon. Vous êtes dingue : vous avez forcément déjà liké cette photographie ultra photoshopée d’une flaque d’eau, faisant miroir avec la Palais des Ducs de Bourgogne. Elle a été publiée par votre cousin de 19 ans, votre tante 2.0, la page d’une personnalité politique ou bien celle d’une agence de communication : peu importe, vous aimez. En masse.

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Chez Jondi, l’excellent agenda web des sorties dijonnaises, la publication d’images à forte viralité est devenue une spécialité. Sans doute due à la passion pour la photographie de son co-fondateur Bertrand Carlier. « Ayant appris à faire de la photo en même temps que mes tables de multiplication, je suis du genre à sortir en courant dès qu’il y a une belle lumière, marcher des kilomètres pour chercher le bon sujet, le bon angle, prendre des dizaines de photos et en rentrant, je publie celles qui sortent du lot. »

Sur les réseaux sociaux de Jondi, ça peut alors donner, pêle-mêle : un coucher de soleil sur le port du Canal, du street-art sur les murs dijonnais, les façades médiévales au cœur historique de la ville, les petites fleurs et les jets d’eau de la place Wilson. Avec à la clé, à chaque fois, le même succès. Des dizaines, centaines de likes, de cœurs ou de partages sur le worldwide web.

La recette serait donc simpliste et déclinable à souhait. À ce titre, la ville de Besançon fait un carton. Avec une grosse valorisation de l’image. « L’utilisation d’Instagram par la Ville de Besançon entre dans une logique de vitrine du territoire pure. Il ne s’agit pas sur cet outil de faire la promotion d’événements particulier ni d’informer les utilisateurs sur la vie de la cité », précisent Jack Dumont, directeur de la communication et Nicolas Miot, community manager. Pas étonnant, alors, de voir fleurir sur les réseaux des dizaines et des dizaines de publications dans votre fil d’actu tous les matins. Grâce aux algorithmes de Facebook, plus ces photos sont likées par vos amis, plus vous avez de chance de les voir apparaître dans vos flux. Jusqu’à écoeurement. Que fait-on après avoir vu défiler pour la 15ème fois cette photo des jets d’eau place de la Lib’ à Dijon ? Avec ces mêmes commentaires dithyrambiques. « Magnifique ce cliché !! ».

« On ne va pas se mentir, il y a un côté marketing »

We Love Bourgogne, le média en ligne édité par l’agence en relations presse et communication Vingt-Quatre, ose même les citations et les questions d’une insolence rare. « On irait bien s’allonger dans l’herbe au soleil… Pas vous ?! » Pluie de pouces en l’air. Mais ensuite ?

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Ensuite, on fait de la com’. Bertrand, de Jondi, assume : « On ne va pas se mentir, il y a un côté « marketing »: un contenu qui est très partagé sur Facebook -c’est souvent le cas pour une belle photo- donne de la visibilité à notre page, donc par ricochet à notre site, auprès d’un public que ça pourrait intéresser. » Cette stratégie, s’il y en a un qui l’a pigée, c’est David Lanaud du Gray. Sur sa page Facebook sobrement intitulée « David Lanaud du Gray Dijonnons Ensemble », l’homme qui a fait 8,5% aux municipales de 2014 à Dijon envoie du jeu. Tous les jours. Il peut ainsi alterner tranquillement et sans complexe entre un cliché pris depuis le haut de la tour Philippe le Bon (qu’il aura repéré sur Instagram mais qu’il repostera sur Facebook en créditant l’auteur), un post promo pour sa société de sondage BP Est-Dijon Opinion ou bien une photo de petites fleurs de la campagne dijonnaise. Résultat ? 33.000 personnes abonnées sur Facebook et une avalanche de smileys qui disent « J’aime », de commentaires en un mot (« Magnifique », « Génial », « Superbe », « J’adore »). Celui qui nous dit ne pas savoir faire de communication est en fait un gros malin. Quitte à tout mélanger et faire un mégamix d’Internet à grands coups de posts émo/populo/locaux. De la com’ à bas coût et qui fait mouche. Pour Nicolas Peirot, doctorant en sciences de l’information et de la communication à Dijon, « le phénomène en dit long sur la course à l’engagement 2.0 dans laquelle les entreprises sont lancées. Ces objets numériques permettent « d’assurer du like » sans dépenser trop d’argent et en se reposant sur une esthétique kitsch sans danger. On peut aussi y lire à mon avis une percée des mèmes dans la culture populaire ».

« Il s’agit d’une réappropriation des identités via les réseaux sociaux. ‘C’est beau, c’est une ville, c’est moi’. »

Mais puisque l’enjeu se situe aussi du côté de celui ou celle qui clique sur le fameux pouce levé, ou le cœur, quel mécanisme se met en place chez l’internaute à ce moment-là ? Pourquoi tu aimes tant liker ça nom de Dieu ? « Il s’agit d’une réappropriation des identités via les réseaux sociaux. ‘C’est beau, c’est une ville, c’est moi’. On signale l’appartenance à un emblème », explique Pascal Lardellier, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne et auteur de Génération 3.0 : Enfants et ados à l’ère des cultures numérisées. Fier de sa ville, comme si on était au stade en train de faire des doigts à l’équipe adverse. « On est dans l’esthétisation de l’identité. Un contrepied au second degré, qu’on affiche comme un étendard sur les réseaux sociaux ». Le spécialiste des réseaux sociaux va même plus loin en pointant le « non-débat autour de la refonte des régions ». « On nous a marié avec d’autres sans explication. C’est une fusion forcée. Donc ici, on est face à ce qu’on appelle un retour du refoulé ». Ah ouais, on ne l’avait pas vu venir celle-là. Bim ! Encore la faute à cette putain de guerre froide Dijon-Besançon.

Pierre-Olivier Bobo / photo : J. Lorand