Les fingerboards, mini skates pour les doigts, ces jeux pour gamins, objets de collection ou véritables modèles réduits des grands skates, trouvent leur origine dans un canapé dijonnais. Damien Bernadet, boss de la marque Close Up, est à l’origine de cette pratique. Ce quarantenaire a décidé de se réinstaller à Dijon depuis peu. On l’a rencontré pour qu’il nous raconte la saga des planches à doigts.

C’est dans son appartement du centre-ville que Damien accueille et dirige sa structure. On est en fin de matinée, l’ordinateur est déjà allumé depuis un moment. Les messages sont arrivés dans la nuit. Des kids ont passé commande, parfois de l’autre bout du monde, parfois d’un pays voisin de l’Europe. Par enveloppes bulles, les colis seront expédiés ; pratique quand l’objet ne dépasse pas les 20 centimètres, emballage compris. L’opération se répète tous les matins et se poursuit le long de la journée. Entre temps, Damien aura carburé sur des clopes et travaillé au développement de nouveaux produits (mini caddie, bar à grind, banks, bref tous les modules pour faire des petites figures avec des petits skates dans des petits skateparks). Entre les ventes en ligne et les skateshops qui distribuent ses boards, il en écoule entre 6.000 et 8.000 par an. Sa marque Close Up fait partie des leaders mondiaux, concurrencée sur le secteur par une marque allemande. Son secteur ? « Des planches en bois composées de 4 à 5 feuilles de bois d’érable, trucks, gomme en silicone, roues en uréthane, avec des formes plus ou moins concaves, à monter soi-même. De véritables modèles réduits. » Soit le parfait opposé des mini planches que l’on trouvait en magasin dans les années 90-2000 qui étaient, elles, toutes en plastique. 

Entre pogs et Pokémon 

La success story des planches à doigts commence au milieu des années 90 à Dijon. À l’instar des surfeurs californiens qui inventèrent le skate un jour où les conditions ne leur permettaient pas de se mettre à l’eau, Damien et son pote Tony ont eu l’idée un jour de pluie. « On avait un porte-clefs en skate. C’est un truc qui se faisait pas mal à cette époque. Il pleuvait ce jour-là, on ne pouvait pas sortir. On était tous les deux dans un canapé et pour passer le temps on a décidé de décrocher la planche du porte-clefs et on a essayé de faire des ollies et de reproduire des figures que l’on faisait en skate ». C’est le déclic pour les deux jeunes skateurs d’une vingtaine d’années. Le fingerboard est inventé. Les pionniers n’ont plus qu’à se bouger. Ils y croient et décrochent même un fameux « défi jeune » (la star des subventions des années 90), une somme de pognon donnée par les mairies sur dossier. L’activité est montée avec les 22.000 francs sous le nom FSB, FingerSkateBoarding. L’idée est là, la crédibilité aussi, les deux étant du sérail skatecore, mais aucun n’est un vrai entrepreneur. Et les débuts sont difficiles. 

Les industriels des jeux sentent le vent et proposent dans leurs magasins entre les poupées et les Pokémons des mini skateboards en plastoque qui satisfont les enfants mais ne répondent pas aux canons des amoureux de la planche à quatre roues. Les deux Dijonnais sont face à un dilemme. Leur idée est commerciale mais ils n’ont pas la force de frappe de Mattel. Et là, « on a vendu notre âme au diable. On s’est associé à une société de jouets, Empreinte digitale, qui n’avait rien à voir avec le skate, ils faisaient des pogs. On souhaitait se faire reconnaître et prendre un peu d’argent. Là c’était la grande distribution, les Relais H, les boards dans des magazines nazes. Ça a duré quelques mois et ils nous ont squeezés. Ils nous ont piqué les idées et tout ce qui pouvait sortir du fingerboard. Et en plus, comme on n’arrivait pas à décoller, on a fait des boards en plastique. » C’est le début de la fin. Les deux potes se brouillent et la société part avec un concept de Damien : une table qui tourne et qui reproduit un skatepark. Concept piqué et non développé par la boîte. Fin des années 90. Et fin de l’aventure. Damien part à Paris bosser dans des skateshops, dans des agences de com’ et vit des aventures à la Skategang (film mythique sur le skate de la fin des 80’s) du côté des États-Unis. Tony ouvrira plus tard son magasin de skate à Dijon. Pour rassurer immédiatement les âmes sensibles, oui, les deux gonzes se sont rabibochés depuis.

De Paris à Dijon par la Chine

Ailleurs, après cette mésaventure, le fingerboard continue de se développer dans l’esprit de Damien. Il croit toujours à ses petites planches. À Paris, il lance en solo, et fort de l’expérience précédente, sa structure Close Up. Une marque qui ne lâchera pas sa ligne directrice. En ayant travaillé dans des skateshops, il a développé les contacts et les relations qui lui permettent de repartir à l’assaut en 2006. Les boards seront fabriqués en Chine, non sans amener leur lot d’anecdotes rocambolesques. Damien s’occupe du shape (la conception de la planche) et de la commercialisation exclusive dans les magasins de skate, 30 à 70 points de vente sur le globe sélectionnés par ses soins. « Les débuts ont été incroyables. Le phénomène m’a dépassé dès le début. 

La deuxième année, j’explosais des containers de 25.000 unités ! Je n’avais pas encore de concurrence. Internet était là et le monde se jette sur ce mini skate tout en bois. Les gens l’achètent autant pour collectionner que pour rider. Aujourd’hui, ce phénomène de collection revient en force. » Pour accélérer l’engouement, ses fingerboards apparaissent dans des vidéos de skate au côté de quelques-uns des plus grands skateurs de la planète.

 « On entre dans l’histoire »

Après le troisième café, une série de clopes hand made et après avoir essayé sur les bons conseils de Damien de faire décoller sans succès un fingerboard, on laisse de côté le marketing et on aborde la pratique. « De toutes les disciplines de glisse, snow, rollerblade, bicross… le fingerboard est le seul qui a un intérêt à être pratiqué en miniature. Si tu fais du mini-snow, ta grand-mère va être aussi forte que toi. Ça n’a aucun intérêt. Tu peux apprendre en quelques minutes à faire un ollie mais il te faudra du temps ensuite pour d’autres figures. C’est un sport d’adresse. J’aime appeler « arthlètes » ceux qui pratiquent.» D’accord, comme pour tout sport, il faut du temps, mais faire du mini skate c’est quand même « mini-bien » par rapport au skate à l’échelle 1? Il n’y a pas un problème de crédibilité vis-à-vis des vrais skateurs ? « Non, pas quand tu es un des pionniers. J’étais encore à Reims cette année au festival des sports extrêmes, le FISE. Quand tu as comme moi 27 ans de skate derrière toi, ça passe.» Pour Damien, le fingerboard reste un jeu : pas de team sponso comme chez les concurrents. Close Up garde une image à la fois pointue, accessible et fun, «Don’t compete », c’est écrit sous un de ses modèles. Les jeux, d’ailleurs, c’est pour les gamins. « Oui, on est des grands gamins mais je pense qu’à l’avenir le fingerboard va intégrer encore plus le skate. On est des quarantenaires et des cinquantenaires, même soixantenaires aux Etat-Unis, on est cette première génération de skateurs et peut-être que demain ça va nous permettre de prolonger la discipline au bout des doigts parce qu’on sera complètement arthrosés ou je ne ne sais quoi. J’attends parce qu’on n’en est qu’au début. On entre dans l’histoire (rires).» L’avenir semble donc lui tendre les bras (et les doigts?), mais notre concepteur nous prépare encore quelques coups. On attend une initiative top secrète à Dijon dans les mois à venir autour évidemment du skate, l’arrivée de son plateau-skatepark rotatif, le débarquement de sa marque sur le marché américain et surtout la création de lampes ultra design sous la marque MOD, made of decks, à partir de fingerboards. Pour un quarantenaire déjà questionné par l’arthrose et les problématiques du 3ème âge, l’agenda est bien rempli. On s’inquiétera pour lui le jour où vous retrouverez dans votre Sparse un mini skate à monter. 

  • Martial Ratel

Photos : Alexandre Claass
Article extrait du numéro 20 du magazine Sparse