Tout plaquer. Fuir sur une île déserte. Disparaître. S’isoler de la société, stopper la surenchère du confort et de la technologie. Vivre loin de la ville polluée, de la cité de la zone industrielle ou du lotissement moche. S’entourer de vie animale et végétale, respirer à nouveau à pleins poumons. Vivre dans la canopée. C’est ce que fait Xavier Marmier depuis 2011. Avec son amie Line, ils vivent dans une cabane perchée dans les arbres, dans une vallée reculée de Franche-Comté, sans eau ni électricité. Des écolos zinzins ? Des hors-la-loi ? Des humains en passe de redevenir des sauvages ? On est allé sur place pour vérifier.

 

Xavier semble avoir eu plusieurs vies. Né à Besançon, il a grandi en Lozère. Puis il a été cuisinier, il a vécu en Turquie, en Espagne, en Angleterre avant de revenir sur sa terre natale. Il est aujourd’hui grimpeur-élagueur, monteur de chapiteau, pour le Cirque Plume notamment à un tournant de sa vie, une rupture a eu un effet inattendu « après une séparation amoureuse, je me suis dit qu’il était temps pour moi de réaliser un rêve de gosse » : construire une cabane dans les arbres. En quête d’un terrain à acheter plutôt ouvert avec un bel arbre, il trouve finalement une parcelle de forêt sur un sol en pente, à la lisière d’une route départementale peu fréquentée. C’est donc à 25 km au sud de Besançon, proche du village de Cléron que Xavier acquiert un terrain boisé d’un hectare, dans la vallée de la Loue. « Au départ, c’était une simple expérience, voir si un plateau en hauteur pouvait être aménagé tout en respectant l’arbre. » De tâtonnements en expérimentations, le plateau est installé à l’aide d’un ami charpentier. Puis, pendant 3 ans, les travaux vont s’enchainer. Huisserie, bardage, zinguerie, la cabane prend la forme d’une maison perchée et Xavier l’habite de façon permanente depuis 2011. Lorsqu’on pénètre dans la cabane, pas de sentiment de claustrophobie. D’une surface de 20m2, la pièce principale posée sur un plateau octogonal à 7 mètres de hauteur est largement éclairée par de grandes fenêtres et une baie vitrée qui donne accès à une petite terrasse. La cabane est reliée au sol par un pont suspendu, en pente. C’est assez casse-gueule, mieux vaut se tenir à la corde. Sur la terrasse sans barrière, on n’a pas vraiment le sentiment de vertige mais on ne fait pas les fanfarons. C’est haut. Dans la partie supérieure de la cabane se trouve une chambre spacieuse, la maisonnette est confortable. En vis-à-vis, une autre cabane sert de remise autant que de bibliothèque. Après quelques dizaines de minutes passées dans l’habitation perchée, on se sent étonnement détendu et on comprend un peu mieux les confidences de Xavier : « J’aime cette canopée, le sentiment qu’elle procure » et de Line : « Cet endroit me ressource, j’en ai besoin. ».

Bernard Kudlak, fondateur du Cirque Plume, compare la construction perchée à un poème, une installation, un happening et un chant. Bref, à une oeuvre d’art totale. 

 

C’est bon les enfants, vous pouvez aller jouer sur la terrasse !

Pendant les années de construction, Chantal Guet Guillaume, maire de Cléron de 2008 à 2014, semble ne pas voir d’inconvénient au projet. Contactée par Xavier, elle ne lui demande pas de permis de construire, voyant d’un bon œil la démarche écolo de l’homme des bois. Lors du changement de municipalité, le nouveau maire, Alain Galfione, demande au contraire une régularisation. En 2015, une demande de permis est déposée mais refusée. On demande le démontage de la cabane. à l’injonction de démonter sa cabane, Xavier oppose sa bonne foi (il avait l’autorisation tacite de la précédente maire). Il n’a rien caché de son projet à la municipalité, au contraire. Autour de lui, le soutien s’organise. L’ADIEP, une asso de défense des intérêts des particuliers et des entrepreneurs, s’empare de son cas. Ses amis répondent présents et Xavier organise un fête pour défendre sa cause au pied de la cabane qui rassemble 300 à 400 personnes. Une pétition en ligne pour le maintien de l’habitat de Xavier rassemblera près de 8.000 signatures et sera envoyée à Ségolène Royale, alors ministre de l’Écologie. Une page Facebook « cabane en danger » expose pêle-mêle des articles de la presse régionale quotidienne sur l’aventure de Xavier ou la vidéo d’un chef iroquois amérindien évoquant le combat de l’homme des bois. On y trouve aussi un assez joli texte écrit par Bernard Kudlak, fondateur du Cirque Plume, qui compare la construction perchée à un poème, une installation, un happening, un poème et un chant. Bref, à une œuvre d’art totale. En juillet 2016, le TGI de Besançon déclare la plainte de la commune irrecevable. L’imbroglio juridique perdure cependant puisque la commune saisit alors le tribunal de grande instance pour engager la responsabilité civile de Xavier qui est aujourd’hui dans l’attente de ce jugement. Acharnement juridique ou bon sens de la municipalité ? Un des obstacles à la régularisation de la demeure de Xavier, c’est le classement de son lieu d’habitation en zone Natura 2000, une zone théoriquement non constructible. Pourtant, en se référant aux objectifs de ce réseau européen regroupant des sites naturels, il s’agit de maintenir la diversité biologique des milieux dans une logique de développement durable. « Je connais le correspondant local de Natura 2000. Il sait que je ne pollue pas et ne voit pas d’inconvénient à mon projet… mais il ne peut rien faire pour moi. » L’absurdité est patente. Désolé Nico Hulot, l’empreinte carbone de Xavier en dix ans de vie dans sa cabane est 100 fois moins élevée qu’un jour de tournage de Ushuaia. Toilettes sèches, la cabane n’est pas raccordée à l’eau courante. Un panneau photovoltaïque qui recharge une batterie suffit à l’éclairage. Poêle à bois pour le chauffage, la maisonnette a son indépendance énergétique.

 

 

« Le fait que ce projet au départ très personnel soit devenu l’affaire d’un groupe de personnes, cela m’a fait grandir. »

 

Xavier n’emmerde personne, pas même les loirs qui peuplent sa toiture, les piafs qui lui chantent à l’oreille ou les salamandres qui se baladent sur le chemin entre la route et sa cabane. Sur développement durable, pas un pèlerin à des kilomètres pour lui faire la leçon. Alors quoi ? Si on autorise n’importe quoi n’importe où, c’est le début de la fin ? « Il est dit dans le règlement qu’il doit être raccordé à l’eau, à l’électricité, à l’assainissement » déclare M. le Maire. Peut-être au village a-t-on peur que l’exemple de Xavier donne des idées à d’autres. Mais d’autres quoi ? D’autres écolos ? d’autres anarchistes ? Des migrants ? à bien y réfléchir, il faut quand même un certain amour de la vie spartiate pour suivre la voie emprunté par Xavier. Pas sûr que des hordes de gauchistes se précipitent sur ses traces. Le temps du Larzac et des hippies est révolu, gamin, et depuis un bail. Si la jeunesse rêve, c’est peut-être plus d’iPhone 7 que de toilettes sèches. Au pire, aller passer une nuit ou deux debout par an place de la République à Paris en écoutant de la musique et en bectant une merguez frites, ça peut mobiliser. Aller glander dans les arbres sans Wi-Fi ni 4G dans un bois paumé au fond de la BFC, probablement moins. Xavier est peut être un philosophe subversif, disciple de Thoreau, auteur de Walden ou la Vie dans les bois. Comme son maître, il élaborerait une réflexion sur l’économie, la nature et la vie simple menée à l’écart de la société ? Il prêcherait la désobéissance civile ? Non ! Xavier assure ne pas avoir lu Thoreau. Ses lectures, c’est plutôt Ernst Zücher, des bouquins concernant les arbres. Il roule en Fiat Panda, fait sans doute souvent ses courses au supermarché. Il travaille depuis plus de 15 ans pour le Cirque Plume. Pour un « original », il est un type finalement plutôt normal et stable, pas un rêveur invétéré ou un illuminé. Il n’a pas non plus développé des capacités de surhomme en vivant dans la forêt. Il nous a accueillis le bras dans le plâtre. « Je suis bêtement tombé de ma hauteur, fracture du radius ». Un comble pour un funambule montant des chapiteaux et qui vit perché à 7 mètres de hauteur et prend le café sur une terrasse sans barrière.

 

Promotion canopée

Comme nous, beaucoup passent voir la cabane. Parce que c’est intriguant, parce que l’histoire renvoie à l’enfance, parce que l’idée de partir habiter une cabane dans la forêt nous a à tous un jour effleuré l’esprit. On passe pour manifester son soutien à une démarche assez dingue pour laquelle on a de l’admiration et dont on sait qu’on en est nous-même incapable. On passe simplement parfois pour donner un coup de main ou pour voir si tout va bien. Partant du souhait de s’isoler du monde, la construction de la cabane a en fait créée du lien social. « Le fait que ce projet au départ très personnel soit devenu l’affaire d’un groupe de personnes, cela m’a fait grandir. » à Cléron, il n’y a pas d’extrémiste prônant la désobéissance sociale, pas d’écolo zinzin donneur de leçon. M. le Maire, laissez Xavier peinard dans son arbre. Ce garçon est un modèle inoffensif et une source d’inspiration bienfaisante pour les gens qui l’entourent. Vous devriez indiquer son emplacement aux touristes de passage, rendre hommage à cette architecture discrète et surprenante, à un mode de vie exemplaire que nous sommes bien incapables d’adopter.

  • Augustin Traquenard

Merci à Igor Bez US.

Photos : Béatrice Jeannin