Entretien avec le philosophe Gérard Guièze  à l’occasion de sa venue au forum de l’innovation sociale. Comment la nourriture nous définit-elle ? Comment manger pour peu cher ? Question de simplicité, de goût ou bien d’estime de soi selon Gérard… 

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au domaine de l’alimentation ?

S’alimenter, c’est un acte qui concerne tous les êtres humains. A titre personnel, j’ai voulu réhabiliter une philosophie du corps. Bien trop souvent on pense que la philosophie c’est fait que pour la pensée ou la réflexion. Donc j’ai trouvé ça intéressant de montrer qu’il y a aussi une philosophie du corps. Justement, je me suis intéressé à ce que l’on incorpore et notamment à l’alimentation.

Comment l’alimentation peut-elle avoir un impact sociologique ?

A partir du moment où il y a plusieurs manières de s’alimenter. Il est possible de s’alimenter par ses coutumes. C’est-à-dire par l’intermédiaire les milieux d’origines qu’on a eu, comme la famille notamment. C’est que l’on appelle les habitudes alimentaires. Ça peut-être aussi la nourriture d’une époque. L’alimentation n’est pas nécessairement un acte hors-social. C’est un acte qui est influencé par des appartenances sociales. La famille, la vie sociale, l’époque tous ces groupes de références font que l’alimentation est un véritablement objet sociologique.

« Il y a des gens simples par exemple qui sont formidables et des gens compliqués qui sont à fuir. C’est la même chose pour l’alimentation. »

« Je suis ce que je mange », vous êtes d’accord avec cette phrase ?

Ça serait peut-être un peu too much. Je suis aussi autre chose que ce que je mange. Disons que, ce que je mange me définit en partie. Ça ne me définit pas en totalité donc je ne souscrirai pas complètement à cette formule. Ça me définit sur ce que j’aime, au rapport que j’ai à la nourriture et pas uniquement à la nourriture, aux souvenirs auxquels elle peut renvoyer.

Est-ce que s’est important, pas important ? Est-ce que je suis soucieux de le partager ? Ou au contraire de me régaler tout seul ? Donc c’est quelque chose qui me définit en partie à partir du moment où c’est une pratique qui justement me donne une identité personnelle.

Et puis ça fait partie de la culture et des coutumes également.

C’est ça. C’est-à-dire que l’alimentation a plusieurs origines. Par exemple elle peut provenir des appartenances que j’ai, de mon milieu social, de ma famille par exemple. Je peux manger conformément au milieu auquel je suis parvenu et non pas dans mon milieu d’origine. Si j’ai obtenu une promotion, si j’ai obtenu un travail socialement plus élaboré… La nourriture va pouvoir changer parce que je vais rejoindre le milieu d’accueil qui n’est plus mon milieu d’origine.

Les pâtes et le riz sont des aliments simples à cuisiner et peu onéreux, c’est pour ça que les étudiants en mangent. Quelles solutions proposez-vous pour que les étudiants freinent leur consommation de pâtes ?

Dans un premier temps, qu’ils n’en achètent pas pendant quelques temps. Et qu’ils s’obligent à découvrir autre chose. Parce que souvent ce qui est un problème c’est qu’on va toujours vers ce qu’on sait faire. On va vers le plus simple. On a cette nature qui fait qu’on va vers le côté de la simplification. Les pâtes, c’est pratique, ce n’est pas cher et si vous savez les assaisonnées ça peut être excellent. Donc je crois qu’une des manières d’évoluer c’est de se les interdire pendant quelques temps. En plus, ne plus cuisiner de pâtes, ça vous permet de découvrir de nouvelles manières de vous alimenter.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes ayant un faible revenu en matière de cuisine ?

Ne jamais oublier que ce qui est simple peut-être bon. C’est exactement la même chose pour les goûts. Il y a des gens qui ont beaucoup d’argent et ils n’ont aucun goût. Quand vous allez manger chez eux c’est un désastre. Parce que pour eux n’a de valeur ce qui a un prix. Or il faut qu’on apprenne qu’il y a des choses qui ont un faible prix voire qui n’ont pas de prix mais qui sont source de valeur. Il faut donc intégrer que ce qui est simple est délicieux et pas nécessairement ce qui est coûteux.

C’est une richesse de savoir ça.

Ah oui ! Les gens ont trop souvent assimilé que ce qui est cher, c’est ce qui est complexe et ce qui est coûteux. On peut dire que c’est le défaut du consommateur. Ce n’est pas vrai dans la vraie vie. Il y a des gens simples par exemple qui sont formidables et des gens compliqués qui sont à fuir. C’est la même chose pour l’alimentation.

Quelles sont les alternatives possibles pour lutter contre la Junk Food ?

La meilleure méthode c’est l’estime de soi. Autrement dit, il faut estimer que l’on vaut mieux que ça. Il faut se dire que l’on vaut mieux que ce que l’on nous propose à manger. Que l’on est capable quand-même de ne pas se laisser aller à ce qui est proposé immédiatement. Les gens valent mieux que ce qu’ils mangent, ce qu’ils achètent, ils valent beaucoup mieux que ça ! Il faut qu’ils apprennent à avoir une estime d’eux même qui les invitent à se soigner davantage.

Selon vous, à la fin de cette journée, les participants auront une autre vision de l’alimentation ?

Je crois que oui. A partir du moment où ils comprendront que s’alimenter, ce n’est pas une évidence. En effet, s’alimenter ce n’est pas simplement se nourrir. Ce n’est pas simplement il faut manger quelque chose. C’est plus compliqué que ça, c’est une source de signification. C’est un acte qui a plus de hauteur qu’on pourrait le croire. C’est plus que palier à un besoin, ou faire disparaître le manque de la faim.

crédit photo : Eric CHATELAIN et Jean-Charles SEXE 

  • Alice Capezza