Mauvaises graines, c’est l’émission consacrée aux luttes écologiques et à l’actu’ environnementale sur Radio Dijon Campus. Tous les mois, un invité à l’antenne, qu’on retrouve aussi dans les pages de Sparse. Pour la première, on essaie de comprendre pourquoi et comment préserver les forêts avec Jean-Noël Cabassy, forestier et membre fondateur de Forestiers du Monde et Kathline Mathey, une jeune citoyenne qui lutte contre un projet de défrichement à Selongey en Côte-d’Or.

Jean-Noël Cabassy, quelles sont les actions passées, présentes et futures de Forestiers du Monde ? Quelles formes prennent-elles et quel est leur but ? 

Jean-Noël Cabassy : Forestiers du Monde est une association composée de 6 amis forestiers exerçant dans la foresterie publique et privée qui s’est donnée en 2003 l’ambition de mettre la connaissance des forestiers à disposition de la société civile pour que les citoyens sachent toute la panoplie de gestion possible des forêts. Nous avons engagé très tôt, en 2003, des projets d’afforestation : l’exact contraire de la déforestation. Nous avons ciblé le public écolier et, depuis, nous trouvons régulièrement de nouveaux terrains communaux sur lesquels, avec les écoles locales, nous afforestons, c’est-à-dire que nous installons les forêts les plus variées possibles.

Quelle est la différence entre un reboisement et une afforestation ?

Jean-Noël Cabassy : Le reboisement, c’est une opération de gestion forestière qui suit généralement une coupe. On reboise après une coupe. Le citoyen confond généralement la gestion forestière au cours de laquelle on coupe le bois généralement ordinaire à l’afforestation. Le reboisement, c’est comme une récolte de champs de maïs, où le temps venu de la moisson on récolte le maïs. En forêt, c’est exactement pareil, arrivé à un certain seuil de maturation, les arbres peuvent être récoltés. La différence, là, c’est qu’une opération de reboisement peut être réalisée soit par des plantations où on met des plans en terre, soit en laissant la régénération naturelle s’installer. Nous, ce qu’on propose c’est l’afforestation, c’est-à-dire installer la forêt sur des terrains qui n’ont plus de vocation forestière depuis plusieurs décennies voire un siècle. Nous trouvons des terrains agricoles, ou des terrains sans affectation particulière aujourd’hui sur lesquels nous installons la forêt la plus variée possible. 

Alors, comment on s’y prend pour installer une forêt ? Est-ce que vous plantez des arbres qui sont déjà matures, qui ont plusieurs années ? Est-ce que vous plantez différentes essences ? Comment est-ce que ça fonctionne ? 

Jean-Noël Cabassy : On est dans une situation grave. Que ce soit au niveau mondial mais également en Côte-d’Or puisque depuis à peu près 20 ans, contrairement à une idée reçue, la forêt recule en Côte-d’Or. Ce sont les statistiques de l’inventaire forestier national, que nous tenons à disposition de chacun pour qu’il puisse s’en rendre compte.

Ça, c’est un peu contre intuitif, parce qu’on nous dit souvent que la forêt gagne du terrain en France notamment. C’est le cas en France ? Est-ce qu’on gagne de la forêt comme on l’entend souvent ou est-ce que c’est remis en cause ?

Jean-Noël Cabassy : Depuis le moyen-âge, avec la prise de conscience de la protection nécessaire de la forêt, avec l’ensemble des lois qui ont été mis en place, notamment le code forestier en 1827, on est revenu à une situation qui est satisfaisante, on retrouve une surface qui est importante. Mais ce que nous venons de constater depuis à peu près une vingtaine d’années, c’est qu’à nouveau, la forêt ne progresse plus, et même elle recule. Et on fait un constat assez simple : finalement il suffit de faire la liste des opérations de défrichement qui sont aujourd’hui autorisées, légales ou non, et de voir si on a des accroissements de forêts comme des afforestations. Donc à part Forestiers du Monde qui fait des afforestations avec les écoliers sur des petites surfaces, autour de nous il n’y a aucune surface aujourd’hui qui fasse l’objet d’une afforestation. Par contre, les dossiers de défrichement s’enchainent les uns dernière les autres. On est vraiment dans une situation où il faut se dire qu’on vient de changer d’époque, et l’idée qui consiste à dire que la forêt s’agrandit a vécu. Aujourd’hui il faut avoir conscience en regardant les statistiques que la forêt ne s’accroît plus et que les projets d’installation de différentes structures industrielles, que ce soit les éoliennes ou les parcs photovoltaïques, les nouvelles pistes de ski… Tout ça tape dans le patrimoine forestier. 

Quelles est la principale source de cette nouvelle tendance de déforestation ? Est-ce que c’est comme vous le dites, les projets industriels ou est-ce que c’est également lié à l’étalement urbain ? 

Jean-Noël Cabassy : On s’aperçoit que la population humaine croît. Donc il ne faut pas être très malin pour comprendre qu’une fois que la population humaine croît, la pression sur les espaces augmente. Donc à partir du moment où on ne touche pas aux espaces agricoles, que nous reste-t-il ? Les espaces naturels et les forêts. Donc si on veut produire aujourd’hui de l’énergie, notamment renouvelable, la solution c’est peut-être d’installer des éoliennes en forêt. Nous on est pas tout à fait d’accord parce qu’après les éoliennes, ce sont les panneaux photovoltaïques qu’on veut installer en forêt, ensuite ce sont d’autres installations pour lesquelles on arrive toujours avec un argumentaire soi-disant écologique favorable. Mais en réalité on est en train d’engager et de poursuivre la déforestation qui se traduit en France, comme à l’échelle mondiale. L’erreur serait de croire que la France est hors du contexte de déforestation mondiale. 

Quand on entend aux actualités régulièrement qu’il y a de gros problèmes de déforestation en Amazonie ou parfois en Asie du sud-est, selon vous c’est aussi le cas en France. Et on pourrait aussi nous-même se préoccuper de limiter les grands projets industriels. Mais dans ce cas-là, comment on fait pour faire cette fameuse transition écologique ? Si on veut aller vers une énergie décarbonée, on parle beaucoup des énergies renouvelables, comment est-ce qu’on fait pour produire cette énergie ? 

Jean-Noël Cabassy : Je ne suis pas un spécialiste de l’énergie. Par contre, moi c’est la protection des forêts qui m’importe et lorsqu’on est confronté à un projet industriel notamment pour l’installation de panneaux photovoltaïques, la réponse c’est de savoir si on ne peut pas trouver des terrains qui sont déjà perdus pour la nature, des surfaces de bâtiments qui pourraient être équipées de panneaux photovoltaïques. C’est ce qu’on essaie de faire. Et d’ailleurs, on a retrouvé, dans le combat qu’on mène sur Selongey, une circulaire qui date de 2009 du ministère de l’Écologie qui rappelle que la première priorité en matière de panneaux photovoltaïques, c’est de demander aux opérateurs qu’ils les installent sur les bâtiments. De trouver comment en installer le plus possible sur des bâtiments. Et ensuite, on leur demande de préserver tous les surfaces utiles, que ce soit les forêts ou zones agricoles, et de trouver des zones « perdues pour la nature ». Alors moi je propose des choses toutes simples, l’ensemble de nos surfaces de toit, ou de parking qui sont déjà perdues, pourquoi ne sont-elles pas équipées de panneaux photovoltaïques ? 

À Selongey, un projet de défrichement d’une trentaine d’hectares pour permettre à l’opérateur TSE, spécialiste des énergies photovoltaïques, d’installer des panneaux, destinés à produire de l’hydrogène. En quoi ce projet est selon vous non-écologique ? Puisqu’il vise à produire de l’énergie dite verte puisque renouvelable. 

Kathline Mathey : Quand j’ai su ce projet, ce qui m’a vraiment posé problème c’est qu’on nous dit que c’est en faveur de l’écologie, que pour préserver l’écosystème on va installer des panneaux photovoltaïques, on va faire de l’énergie verte, super ! Mais pour ça, on va détruire l’écosystème ! Ah ouais… Je me dis qu’il y a un problème. Surtout quand on voit tous les jours depuis un an ou deux l’Amazonie qui brûle, l’Australie, l’Asie comme vous l’avez dit… Je me dis que ce n’est pas une mauvaise idée, je ne suis pas contre les panneaux photovoltaïques, d’ailleurs beaucoup de personnes sont pour, mais pas en détruisant les forêts et ce qui va avec. La nature, la faune, la flore, les animaux… On sait tous aujourd’hui qu’on a besoin de nos forêts plus qu’avant, demain plus qu’hier. Donc c’est vraiment dans ce sens là où je me suis dis « non, faut faire quelque chose, on peut pas laisser faire ça soi-disant pour l’écologie. » Il y a d’autres solutions comme le disait Jean-Noël, on peut mettre ça sur des toits, on peut mettre ça sur des terrains déjà occupés auparavant, sur des décharges. Il y beaucoup d’autres solutions, et si dans la commune on n’a pas la place, on n’a pas le terrain qu’il faut, si vraiment on est dans une logique écologique on passe le flambeau à une commune voisine qui fera le travail avec l’espace qui est là. 

Est-ce que vous avez eu des retours de la municipalité ? Est-ce que vous êtes en contact avec eux ? 

Kathline Mathey : J’ai pas eu de retour de la municipalité, par contre, j’ai demandé d’avoir accès à des documents publics pour un peu connaître le projet. Parce que la chose aussi qui a étonné, c’est que nous n’avions pas connaissance que ce projet allait avoir lieu. C’est pour ça que j’ai demandé à avoir tous les documents publics pour en savoir un peu plus Mais je n’ai pas été sollicité par la commune.

Si on parle de forêts biodiverses et de méthodes pour afforester, on a entendu parler de la méthode Miyawaki, je crois que vous n’êtes pas forcément fan de cette méthode-là. C’est une méthode pour que la forêt pousse assez vite... ?

Jean-Noël Cabassy : Oui, en fait, je pense que c’est un peu un leurre. Nous ce qui nous a surpris, c’est que ça fait 20 ans qu’on crée des forêts avec les écoliers, on le fait dans un cadre pédagogique en respectant les programmes officiels de l’Éducation nationale. On a différents projets depuis plus de 20 ans sur la Côte-d’Or, et on voit effectivement arriver ce projet par un Japonais que j’ai découvert par un ingénieur du monde de l’automobile. Je suis assez inquiet quand un ingénieur du monde automobile m’explique la gestion forestière, moi qui en fait mon métier et qui depuis 20 ans fait des projets de création de forêts et qui suis en capacité également de vous dire là où on a échoué, là où on a réussi, ce qui marche et ce qui ne marche pas. La difficulté, c’est d’être vigilant sur cette tendance qui vient du Japon, parce qu’en réalité on a des gens, des compétences et des ressources localement, il suffit simplement d’aller les chercher, de les connaître et de les accompagner, de les valoriser. J’invite les élus qui entendent parler de cette technique de nous consulter pour voir ce qu’on a réussi, là où on a échoué, et de mettre ensuite en rapport ces projets aussi sur l’aspect financier. 

En quoi consiste cette méthode Miyawaki ?

Jean-Noël Cabassy : Le but, c’est de planter une très grande densité sur une petite surface. L’argument est de dire que cette grande densité va favoriser une pousse rapide. Mais bon, il suffit d’aller en forêt pour se promener quand vous êtes à l’ombre d’un grand chêne, ça ne sert à rien de planter une centaine d’arbres à l’ombre d’un grand chêne, il y a très peu d’arbre qui vont trouver de la lumière pour se développer. C’est un engouement passager sur lequel il faut expliquer l’aberration parce que les coûts financiers qui sont liés à cette afforestation de densité énorme sont parfois disproportionnés. Sachant que nous, on plante des densités qui sont d’environ 800 à 1000 plans à l’hectare. 

Donc là ce qui diffère vraiment avec cette méthode, c’est la densité et le nombre d’arbres qu’on va planter. Je crois aussi qu’il y a une question d’arrosage dans les premières années...

Jean-Noël Cabassy : Oui. Nous, on préconise de ne pas arroser parce que la nature fait ça très bien. En réalité, je pense que l’idée est de dire que l’homme va industrialiser le processus de création de forêts. Alors qu’en réalité il faut s’inspirer de ce que la nature fait déjà très bien toute seule. 

Kathline Mathey quel est l’appel que vous voudriez faire passer ? 

Kathline Mathey : À toutes celles et ceux qui sont sensibles à l’environnement et qui pensent à leur futur, allez lire et signer la pétition : Non à la destruction de 30 hectares de forêt à Selongey (21) ! Également, pourquoi pas contacter les élus, envoyer un message, une lettre. Contactez les associations, comme Forestiers du Monde, Extinction Rebellion et également les Sentinelles de la Montagne Dijonnaise, pour monter pourquoi pas des actions.

En parcourant le site de Forestiers du Monde, je me suis aperçu que la mairie de Selongey a répondu à cette critique de déforestation en avançant deux arguments, notamment que le site visé était essentiellement constitué de pin noir, une essence qui serait inadapté à ce territoire, donc présenterait peu d’intérêt écologique. Et un deuxième argument qui avançait qu’un reboisement sur une autre parcelle a été engagé avec l’ONF. Qu’est-ce que vous avez à nous dire Jean-Noël sur ces compensations et sur le fait que la forêt de pin noir n’est pas écologique ? 

Kathline Mathey : Le pin noir n’est pas une essence qui est autochtone, le seul résineux autochtone de Bourgogne est le genévrier. Ce qu’il faut savoir effectivement c’est que le pin noir, s’il est là, c’est qu’il a été introduit par des forestiers il y a quelques décennies pour obtenir une pousse rapide. Donc c’est assez surprenant aujourd’hui qu’on nous dise que cette forêt n’a pas de valeur puisqu’elle est issue d’un choix qui a été fait par les prédécesseurs, et un choix qui a été fait par le conseil municipal de l’époque. Donc on se mord un peu la langue dans cette affaire. Ce qu’il faut voir, c’est qu’une fois que ces pins noirs auront été récoltés, on pourra tout simplement laisser la forêt en libre évolution naturelle. 

  • Propos recueillis par Augustin Traquenard, retranscrits par Florentine Colliat // Photos : Édouard Roussel (lors d’une action d’afforestation à Dijon, 1er janvier 2021)