Le France Truck Trial, pratique confidentielle de gros camions, déposait ses roues crantées dans la Plaine de Saône cet été. On revient de cette expérience les chaussures pleines de boue et surtout des étoiles plein les yeux. Ambiance.

Samedi 3 juin 2021, Perrigny-sur-l’Ognon. Un bruit fracassant ; celui d’un camion Mercoss de 8 roues et plus de deux mètres cinquante de haut qui éclate son essieu sur un bloc de béton en tentant un passage en force. La manœuvre paraît impossible mais les pilotes semblaient y croire dur comme fer. Les roues ont beau faire à peu près notre taille, on reste quand même dubitatif sur la possibilité de franchissement d’un tel obstacle. Pourtant après une pression appuyée sur l’accélérateur, le camion se cabre et entame alors l’impossible : un franchissement du bloc. Le camion rugit, la fumée noire s’échappe du tube d’échappement, les gaz sont lâchés. La première roue passe et franchit miraculeusement l’obstacle. Le pilote et son co-équipier ont la tête dehors, par la fenêtre, s’assurant du bon déroulement de leur aventure. C’est au tour de la deuxième et ça a l’air de fonctionner. Cependant le coup d’accélérateur est trop appuyé et le camion frotte l’essieu. Le résultat est cinglant : essieu explosé le tout avec une bonne odeur de gasoil dans l’air : c’est ça l’ambiance grisante du France Truck Trial ! Pourtant en arrivant sur site, qu’on se le dise, on n’en menait pas large. Le spot est difficilement trouvable et on se gare à l’arrache entre plusieurs camions, ambiance les taxis de la Marne, c’est Verdun le bordel ; il y a de la boue partout et ma voiture citadine manque de partir en sucette. Tentes vitabris aux couleurs de célèbres marques d’équipementiers auto, barbecues, enfants qui courent, grosses caravanes et poids lourds, l’ambiance à l’entrée est plus proche d’un camp de manouches que d’une compétition auto. Les gens sont posés autour de tables de camping et déjeunent. Il est environ 13h30 et le temps n’est pas au beau fixe. Le ciel excessivement bas et gris rajoute un côté apocalyptique. On a rencard avec Alain sur site, c’est notre contact, il est président de l’association France Truck Trial et est également pilote émérite. On cherche bien évidemment la buvette (la base), sacrosaint lieu de rencontres dans ce genre de raouts extérieurs. Pas le temps d’évaluer le cours de la saucisse ou de la Kro en 25, puisqu’on tombe quasiment nez-à-nez avec ce sexagénaire jovial qui va bientôt tout nous apprendre sur la pratique.


Turbo


Le Truck Trial c’est un nom ronflant qui sonne bien viril et guerrier, mais, il faut le dire, n’est pas ultra développé de ce côté-ci de l’Atlantique. La seule lointaine connaissance que l’on possède ce sont les petites voiture Hot Wheels de notre enfance et la pratique américaine reine : le Monster Truck. Apparues aux USA en 1974, ces voitures, appelées « Big Foot » aux dimensions disproportionnées et impressionnantes sont « starifiées » et mises en scène dans des arènes accueillant des centaines de milliers de personnes. En Europe, cette pratique cousine a été créée par un Allemand il y a 32 ans. Alain quant à lui évolue depuis 25 ans dans le circuit. Il nous explique qu’il existe aussi deux compétitions européennes et une compétition en République Tchèque. Les Tchèques c’est d’ailleurs eux les reustas de la pratique, ce sont les spécialistes du cametar, le gasoil coule dans leurs veines et ils remportent quasiment tous les Dakar en camion. D’ailleurs, à part cette compétition qui donne une visibilité internationale à la pratique tout cela se passe de façon assez confidentielle sur un niveau amateur. On ne parle pas de championnat de France de Truck Trial mais bien d’un trophée : « Le 1er reçoit une coupe, des bouteilles de vins, quelques lots offerts par les sponsors et une petite enveloppe. C’est pour ça que l’on campe sur le site ; on limite les frais au maximum ». C’est ce que l’on ressent à Perrigny ; il y a peu de public présent sur le parcours aujourd’hui, une cinquantaine à tout casser. Il faut dire que le paf n’est pas donné : 10 euros pour un jour, 15 pour les deux, et surtout il faut être motivé avec cette météo peu clémente, ambiance Loir-et-Cher « On dirait qu’ça te gêne de marcher dans la boue ». Alain nous rassure tout de même, en nous disant qu’en temps normal il y a une vrai fan base qui se déplace : « Ce sont souvent des passionnés qui font des kilomètres pour suivre le truck trial ».


WTF is TFTT ?(What the fuck is France Truck Trial)


Si tu n’as toujours pas capté le concept du France Truck Trial, c’est simplissime ; il s’agit de camions qui font des franchissements d’obstacles dans un temps imparti. Easy-les-Moulineaux, sur le papier en tout cas, car le terrain, assez vaste est réparti en 4 zones distinctes plutôt très accidentées. Aujourd’hui à Perrigny, le terrain est artificiel : « C’est un terrain aménagé au fur et à mesure des années. Le propriétaire a ajouté des cailloux, des blocs béton et des troncs d’arbres au fil des ans ».

Entre crevasses, énormes blockoss, trous béants et marais, il y a de quoi se marrer 5 minutes en profitant des plaisirs simples de la vie, à savoir regarder les camions tout dézinguer là-dedans.

Le championnat est réparti entre 4 étapes au cours de l’année, ils sillonnait la France, alternant entre des terrains artificiels (comme celui-ci) et des terrains naturels. Comme l’atteste Amélie, une des pilotes de camion rencontrée sur site : « C’est moins difficile sur de l’artificiel et un peu moins bien aussi. A Montalieu (une spéciale en Rhône Alpes ndlr), on se retrouve en plein milieu des bois avec des gros troncs d’arbres et des pentes impressionnantes, c’est mieux ». Pour les novices que nous sommes, le spot envoie quand même ; entre crevasses, énormes blockoss, trous béants et marais, il y a de quoi se marrer 5 minutes en profitant des plaisirs simples de la vie, à savoir regarder les camions tout dézinguer là-dedans.
Parlons-en des camions, puisque c’est quand même la raison principale de notre venue. Comme je le disais un peu plus haut, nous sommes assez loin du Monster Truck, ici on est sur du camion façon Paris-Dakar (Big up Stéphane Peterhansel) avec plusieurs catégories, 7 en l’occurrence, qui vont s’articuler en fonction de la taille mais aussi en fonction du nombre d’essieux, de la motorisation, etc… Aujourd’hui 24 camions sont présents pour un total de 26 équipes. Alain nous précise qu’il existe aujourd’hui 43 camions homologués en France, soit plus de la moitié à Perrigny aujourd’hui, la classe ! Bien sûr, la question nous brûle instantanément les lèvres ; comment fait-on pour se fabriquer un cametar, et surtout combien ça coûte (jurisprudence Jean-Pierre Pernaud) ? Alain nous répond du tac au tac : « On part d’un camion d’origine puis on le transforme avec le respect des règles (arceau de sécurité, coupe batterie, arrêt moteur, extincteur…), il doit ensuite passer au contrôle technique puis être homologué par un comité européen, le Europa truck pour le trial ou le camion cross » (autre discipline phare du camion en mode course cette fois-ci ndlr). Combien ça coûte ? « Pas nécessairement trop cher. Ce sont des véhicules qui ont entre 10 et 20 ans. Tu récupères un ancien camion de pompier ou de la DDE et tu le rachètes à prix correct, entre 1000 et 2000 euros. Par contre, tu passes un an de travail dessus après ». Amélie, notre pilote nous le confirme : « Cela représente énormément de temps, de patience et d’investissement personnel ; tous les samedis on est au garage à bricoler ou à chercher des sponsors ».

« C’EST UNE PRATIQUE FAMILIALE, LA PLUPART D’ENTRE EUX VIENT DU MONDE DU TRANSPORT : MÉCANO, CHAUFFEUR ROUTIER, FOU DU CAMION. POUR MA PART J’AI BOSSÉ, ENTRE AUTRES, DANS UNE AUTO-ÉCOLE POUR POIDS-LOURD »

Alain, président France Truck Trial


Le Trial reste une pratique amateure qui demande pas mal d’huile de coude, et qui reste un sport de passionnés. Passionné de mécanique dans un premier temps d’ailleurs à en croire Alain : « C’est une pratique familiale, la plupart d’entre eux vient du monde du transport : mécano, chauffeur routier, fou du camion. Pour ma part j’ai bossé, entre autres, dans une auto-école pour poids-lourd ». Sur le stand d’à côté, c’est en effet toute la famille qui a fait le déplacement depuis Carcassonne : le père et le fils, deux braves gaillards font équipe avec un prototype mais ce n’est pas tout, le rejeton a également une deuxième équipe avec sa petite amie. C’est d’ailleurs la première fois qu’Émilie concourt, elle qui vient d’habitude en tant que support avec son petit ami. Elle nous confie avoir un peu la pression : « les co-pilotes ont un rôle important à jouer, ils gèrent les manettes pour passer de deux à quatre roues motrices par exemple, c’est important pour les franchissements » nous confie-t-elle. La mère quant à elle s’occupe de la logistique ; tout le monde a un rôle à jouer dans la team de gang of Carcassonne.


Destruction Derby


Nous sommes interrompus dans notre discussion par la reprise des hostilités ; Alain est appelé pour faire la reconnaissance de sa première zone de l’après-midi. Il en a déjà fait deux ce matin et ça s’est plutôt bien passé selon lui ; petit bémol cependant, le camion a pris feu ! comme si c’était normal ! « Ce sont des fils qui ont fait court-circuit et qui ont fondu, on n’est pas inquiet pour si peu. C’est juste un petit aléa mécanique et on a pu finir la zone ». C’est sûrement ce que l’on appelle la sérénité du routier !

La reconnaissance dure un quart d’heure, Alain et son co-pilote nous invitent à les accompagner. Le principe : observer les 5 portes de la zone (c’est un peu comme au ski on doit passer entre deux bâtons pour valider le passage), les angles de franchissement, l’appréhension des obstacles… C’est marrant car on a le droit de passer la porte en marche avant ou en marche arrière. On accompagne Alain, le terrain est assez escarpé et il y a quand même bien moyen de se faire une cheville sur la reconnaissance, on essaye
de ne pas se croûter et de se taper l’affiche. Le parcours n’est apparemment pas trop technique même s’il finit sur un énorme trou, très profond. Joël, le co-pilote m’affirme que cela ne leur fait pas peur : « On va le passer les yeux fermés ». Quel vantard ! Afin de s’assurer du bon respect des règles, des commissaires sont présents sur le terrain, c’est eux qui checkent si les camions passent bien dans les portes, s’ils ne percutent pas les poteaux, etc. Si c’est le cas, c’est l’amende direct avec des points de pénalité qui viennent alourdir le temps passé sur la zone. Amélie et sa co-équipière de la team des Amazones s’en sortent carrément bien, elles font des franchissements en marche arrière, et passent le méga trou en deux coups d’accélérateur. Impressionnés, on l’interroge à chaud après son passage : « J’ai changé la motorisation du camion d’un essence 80 CV à un diesel en 90 CV. C’est moins agressif, j’ai plus de douceur et donc une maîtrise, de la souplesse, voire de la légèreté dans mes franchissements ». C’est effectivement le ressenti que l’on a quand on la voit manœuvrer. On en profite pour lui demander si les femmes sont bien acceptées sur le circuit : « Les hommes ont tendance à dire que les femmes n’ont pas leur place dans ce métier. Aujourd’hui, il y a une ouverture d’esprit même s’il reste des misogynes qui estiment que ce n’est pas un sport pour les femmes. Au début je me mettais la pression en me disant que je n’allais pas y arriver parce que j’étais une femme et en fait on galère tout autant que les hommes sur certaines zones. Tout le monde est logé à la même enseigne ! ».


Apocalypse Now


Les passages s’enchaînent, on peut passer allègrement d’une zone à l’autre pour voir les différents franchissements. Cela donne une ambiance apocalyptique au bazar. On a l’impression d’être au front, à courir entre les obus dans la terre et les douilles (enfin presque) ; le vrombissement des moteurs, l’acharnement des pieds sur les accélérateurs, les effluves de kérosène, les couleurs flashy des camions, la boue qui gicle à chaque franchissement, on se prend vite au jeu ! Un camion balaise avec plusieurs essieux nous impressionne, il traverse un marais profond et mange les blocs un par un. Rien ne semble le freiner là où les camions plus petits y vont en douceur. On se souvient des mots d’Amélie et on comprend l’approche stratégique de la pratique. Comme les camions partagent les mêmes zones, les plus petits sont obligés de feinter, là où les bourrins passent en force. Bonjour la sélection naturelle. Manque de pot, le gros cam’s qui fonce tout droit se vautre sur un bloc méga balaise ; le conducteur, par un excès de conf’, a fracassé son camion. L’équipe de France Truck Trial doit l’extraire avec un engin de chantier, de type grue. C’est la fin du game pour lui. Les pilotes doivent être bien blasés, parce qu’en plus d’une défaite, la réparation coûte sûrement un bras !

On observe la scène hallucinante à côté de deux mecs du public qui jubilent. Après avoir fait succinctement connaissance avec Jeannot et Maxence, ils me confient qu’ils viennent de Mirebeau-sur-Bèze, une ville attenante. C’est la première fois qu’ils viennent voir du Truck Trial, d’habitude ils viennent assister au moto-cross ici « c’est vrai que c’est quand même plus impressionnant ». Accaparé par l’action de sauvetage du gros camion, ils n’en diront pas plus mais comme nous en garderont des images vives. La pluie s’est installée sur le site, mais personne n’y prête vraiment attention ; on s’est fait à cet environnement boueux, ça rajoute même un petit quelque chose au décorum. Sur la première zone les mâles de la famille de Carcassonne, sont en train de plier le jeu. C’est tout muscle dehors que Michel, habillé dans une combinaison de travail et casque sur la tête, tente le passage en marche arrière d’une porte installée au sommet d’un bloc. Il s’y reprend à plusieurs fois pour le franchissement, on voit qu’il a bien étudié le dossier, et qu’il ne se laissera pas avoir. Le camion vacille et se tord, il manque de se retourner à plusieurs reprises. Le public retient son souffle, il passe, la maîtrise est totale et on entend même des applaudissements chaleureux. Il lui reste un énorme trou de 3 mètres de profondeur à passer. Galvaniser par son passage précédent, il mange la crevasse d’une seule bouchée.

« QUAND ON REGARDE LE TENNIS QUI FAIT SE DÉPLACER DES JOUEURS EN AVION, NOUS ON EST DES RIGOLOS À CÔTÉ »

Alain

Europe Écologie Les Verts


Alain et Joël quant à eux sont pépères, ils ont raté une porte et n’ont pas passé le trou les yeux fermés mais s’en sortent plutôt bien. Il est temps de poser la question qui fâche pour les passionnés de grosses cylindrées : ce n’est pas un peu polluant votre truc ? Alain a l’habitude de ce genre de polémique et nous répond le sourire aux lèvres : « Les camions ça ne pollue pas plus qu’un véhicule qui se promène le dimanche pendant 3 heures. On roule pendant 5 à 10 minutes donc si on consomme 20 à 25 litres dans le weekend, c’est le grand max ». Il rajoute : « Quand on regarde le tennis qui fait se déplacer des joueurs en avion, nous on est des rigolos à côté ». Jeu, set et match mon cher Alain. On quitte le site, refait, en manquant de s’embourber sur le parking dans notre C3. Nous aussi, un jour, on aura un camion, on fera des franchissements en marche arrière, en passant des ornières comme des fous et en montrant nos muscles en enfonçant l’accélérateur. On aura une team avec un nom improbable comme les Niglotins, Les sangliers du Morvan ou Les gangs of Sud-Est. Mais en attendant, on rentre le cœur léger prêt à retrouver nos vélos de citadins fragiles. A la seule différence que l’on emmène avec nous une odeur d’essence en plus sur les vêtements. Comme quand on montait derrière le booster de nos potes au collège. Le frisson.

Texte : FLT // Photo : Thai Binh Phan Van