Les questions de transitions écologiques sont partout. La culture est un secteur qui emploi un peu moins de 3% de la population active et selon le rapport du Shift Project, des centaines de milliers d’emplois sont potentiellement en danger si on ne s’empare pas de la nécessité de transformation du secteur, qui commence à se poser les bonnes questions. En association avec l’association Oxy/More, Mauvaises Graines s’est entretenue avec David Irle, consultant indépendant sur les questions de l’énergie et du climat auprès du secteur culturel et co-auteur d’un ouvrage qui s’appelle Décarboner la culture.

Mauvaises Graines est une émission de radio consacrée aux luttes écologiques, chez notre partenaire (et ami) Radio Dijon Campus.

Comment est-ce que t’as été amené à t’intéresser à ce sujet-là ? Ça a été quoi le déclic pour toi ?

Les déclics il y en a eu plusieurs. Déjà parce que je me sentais en dissonance entre mes pratiques professionnelles et mes pratiques personnelles. Elles commençaient à être de plus en plus fortes donc mon idée de départ c’était de me former sur les questions environnementales et de quitter le secteur culturel. En faisant ce cheminement-là je me suis rendue compte que mon ancien secteur d’activité manquait de compétences. J’ai aussi assisté à une conférence d’un ingénieur de l’INSA qui travaillait sur des questions de mobilité à l’internationale et je me suis dit qu’il y avait un impensé autour des enjeux propres à la culture. On ne peut pas comparer des projets culturels à des produits de grande consommation donc il y avait quelque chose d’un peu particulier à penser. Et il y a eu un déclic perso qui a fait accélérer mon cheminement, mes parents habitent à côté de l’endroit de France où il a fait le plus chaud un été (46°C), je me suis dis qu’il fallait se bouger.

C’est un peu des pensées éco-anxieuses qui t’ont amené ensuite à travailler sur le secteur culturel, à y revenir ?

Je sais pas si c’était déjà de l’éco-anxiété, aujourd’hui c’est mon objet quotidien de travail. C’était vraiment une envie de questionner les particularités qu’avaient le secteur sur ces enjeux-là. On voyait qu’il se passait des choses. Il ne se passait pas rien. C’était un peu décalé par rapport à certains gros enjeux et sur les questions de mobilité par exemple, il y avait des choses qui n’étaient pas du tout pensée. Ça faisait peur même de penser ces questions.

Quand tu parles des questions de mobilité, tu fais référence à la mobilité des artistes et des publics pour les événements culturels ?

Un peu de tout. Le plus gros impact c’est la mobilité des publics et ça on y pense souvent pas du tout. L’impact carbone des projets dépend plutôt de comment les publics viennent voir un artiste plutôt que comment l’artiste se déplace. Ce qui est intéressant c’est que c’est le gros gisement d’impact carbone du secteur et c’est quelque chose qui fait très peur au secteur parce qu’on sait à quel point la mobilité ou la circulation des artistes c’est quelque chose d’assez important dans nos métiers. Il ne faut pas avoir peur et au contraire il faut se préparer aux évolutions liées aux nouvelles règlementations ou au nouveau contexte climatique pour nous permettre d’être efficace en terme de diminution d’impact.

Mon idée de départ c’était de me former sur les questions environnementales et de quitter le secteur culturel

Justement par rapport aux impacts, à part la mobilité, est-ce que tu peux nous dire quels sont les autres impacts de la culture ?

Ça dépend des événements et des types de projets. Il y a des grosses variations. En premier c’est la mobilité. Ensuite il y a aussi l’alimentation comme gros enjeu. Parce qu’on nourrit les artistes, les publics, et en France l’alimentation est très carnée donc ça génère des gros impacts environnementaux. Ensuite il y a l’énergie que l’on consomme. Est-ce qu’on est sur d’énormes effets techniques, une grande dépense d’énergie ou est-ce qu’on est sur des démarches un peu plus sobres ? Il y a des questions liées aux bâtiments et à la rénovation thermique du bâtiment culturel. C’est souvent des vieilles salles qui sont difficiles à chauffer l’hiver ou à climatiser l’été. Et ensuite il y a la gestion des déchets. Et puis bien sûr il y a un sujet qui monte, c’est les impact environnementaux indirects du numérique qu’on ne voit pas mais qui sont réels et puissants et qui sont délocalisés. Ils ont lieu ailleurs, donc on n’y pense pas toujours mais ils sont très importants.

La crise sanitaire a fait évoluer les pratiques culturelles. On a vu qu’il y avait une augmentation du numérique qui perdure aujourd’hui. Beaucoup de structures mettent en place à la fois des lives et des diffusions réelles alors que tu l’as dis, c’est très polluant. Comment faire comprendre aux structures qu’on peut trouver des alternatives ?

Ce qu’il faut avoir en tête c’est que la numérisation des pratiques culturelles c’est quelque chose qui précède la crise du coronavirus. Le numérique c’est un excellent outil pour travailler, préparer des projets, coopérer parce que la visio ne consomme pas énormément de ressources. Mais dès lors qu’on passe dans la diffusion, on est sur des effets d’impacts très importants parce que c’est des gros volumes de données qui circulent. Et il va y avoir des questions liées au stockage, on est souvent sur des consommations en données mobiles, donc là ça décuple les impacts. La dématérialisation est un mythe. Aujourd’hui, le numérique c’est déjà 4% des émissions de gaz à effet de serre.

Qu’est-ce que t’aimerais dire à quelqu’un qui voudrait limiter son impact tout en participant à des événements culturels ?

Une première chose à dire, c’est qu’à titre individuel, on a un levier. On a un tiers de la marge de manœuvre en tant qu’individu et deux tiers en tant qu’organisation collective (festival, institutions qui financent…). Ensuite je dirais que la première des clefs c’est de venir en mobilité douce ou partagée. De venir en vélo quand c’est possible. La voiture c’est vraiment un jet-privé, elle émet autant de gaz à effet de serre au km qu’un avion. Le geste suivant c’est d’essayer de manger quelque chose d’un peu plus végétalisé, végétarien, végan si vous pouvez. Mais rien que réduire la quantité de viande, c’est déjà quelque chose qui a un énorme effet en terme d’impact environnemental. Et si on est sur des produits sans pesticides, vous allez aussi grandement améliorer l’impact environnemental de l’événement auquel on participe. Donc finalement, c’est assez peu lié à la pratique artistique, culturelle ou événementiel en tant que telle mais plutôt lié à des choses qu’on fait par ailleurs d’habitudes. Après il y a des choses symboliques, quand on s’installe pour faire une free-party sur un site naturel magnifique, il faut avoir le même réflexe qu’à la maison. Il faut essayer que quand on reparte, il soit dans le même état que lorsqu’on est arrivé.

L’impact carbone des projets dépend plutôt de comment les publics viennent voir un artiste plutôt que comment l’artiste se déplace

Qu’est-ce que tu penses des gros festivals et événements qui essayent d’être plus verts ?

Il y a un effet de prise de conscience en ce moment dans le secteur qui est très fort, avec des risques d’éco-blanchiement. Par exemple, Coldplay essaye de réduire l’impact environnemental de ses tournées, on est sur une démarche volontariste mais qui tend vers l’éco-blanchiement quand même. Les grosses machines comme Coldplay ou les gros festivals sont un peu structurellement dans des modèles qui vont être très difficile à rendre soutenable. Notamment parce qu’ils génèrent trop de mobilité. La preuve, ces festivals se réfugient dans des principes de compensation. Ils vont générer un mauvais impact environnemental et vont essayer d’aller chercher de la compensation, ce qui n’est pas non plus une pratique soutenable à moyen terme. Je vois beaucoup de professionnels, de structures, de festivals qui se mettent en route et essayent d’innover, d’expérimenter des choses absolument géniales. Il y a beaucoup d’initiatives passionnantes qui vont émerger et qui aujourd’hui se sont accélérées depuis la crise du coronavirus. Le secteur culturel n’est pas le plus polluant de la planète, mais il a une capacité d’être vecteur des transformations dont on a besoin. Je trouve que cette énergie là est importante. Tu parlais d’éco-anxiété tout à l’heure, moi elle me rassure et voir tous ces gens engagés pour le monde culturel de demain me rassure.

Vous parliez des grands festivals et de leur énorme impact en matière de gaz à émission d’effet de serre, les Eurocks viennent d’annoncer leur programmation. Les programmateurs essaient d’avoir des artistes internationaux avec tout ce que ça implique. Est-ce que c’est possible de faire machine arrière, de revenir à quelque chose de plus local ?

Je ne suis pas certain que se tourner vers le local soit forcément la solution dans le domaine culturel. La culture c’est de l’échange d’idée, du partage de la circulation. On le faisait avant d’avoir des avions et avant d’avoir du pétrole. La question c’est à quel point l’événement s’appuie ou pas sur les ressources existantes dans son territoire et nécessite ou pas une grande quantité de matière et d’énergie. La tendance sur ces projets depuis des années c’était une croissance permanente des jauges, ils payaient les artistes de plus en plus chère, il y avait une compétition entre les festivals pour les faire venir. On fait des gros festivals pour faire venir plein de monde et plein de public de très très loin. Ça, il me semble que ça va doucement s’arrêter. Ça va être aux festivals d’inventer un modèle qui va leur permettre d’être économiquement soutenable dans quelques années. Pour moi ça ne sera pas du 100% local mais on trouvera un meilleur équilibre dans les ressources des territoires.

Il me semble que par exemple, les très gros festivals comme Coachella ce n’est pas l’avenir. Les Eurocks ont quand même une grosse partie de son public qui vient de la proximité. Ils ont des moyens de trouver des réponses pour devenir un peu plus soutenables quand même. Une des conséquences c’est que les festivals essaient de se couvrir avec des clauses d’exclusivité, et maintenant ces clauses touchent non seulement les grands artistes mais aussi les artistes moins connus. Ça devient un peu grotesque, on essaie de pousser pour qu’il y ait une règlementation qui puisse limiter ces pratiques et retrouver un peu de bon sens.

La dématérialisation est un mythe. Aujourd’hui, le numérique c’est déjà 4% des émissions de gaz à effet de serre.

Oxy/More organise un projet le 25 mars à partir de 20h au Singe en Hiver, La Vagab’Onde. Un événement qui limite au maximum son empreinte carbone. Deux DJ locaux Selectress Gwen et Dj Plaisir issues du dispositif Blonde Platine viendront mixer sur le Low Tech Sound (un système son fonctionnement à l’énergie solaire et fabriqué avec des matériaux recyclés, ndlr). L’événement se terminera quand le Low Tech Sound n’aura plus de batterie pour voir un peu la limite. Stylé. On note dans l’agenda.

Vous pouvez retrouver Oxy/More sur Facebook et Instagram

Plus d’infos sur la Vagab’Onde ici

Propos recueillis par Augustin Traquenard, Marie Bloquel-Perrat et Isis Gunther, retranscrits par Florentine Colliat.