En plus d’être un chef d’oeuvre des studio Ghibli, Totorro c’est aussi un quator math-rock venant de l’ouest de la France. Un groupe qui a roulé sa bosse à peu près partout et qui a finalement décidé de se séparer pour voler vers d’autres horizons. Cependant deux irréductibles membres du groupe ont décidé de voler côte-à-côte vers des formats plus originaux, rejoint par d’autres amis, pour faire du jeu-vidéo-concert ou encore de la BD-concert. Mais ça se traduit comment une BD-concert ? Comment fait-on pour allier les deux ? Eh bien c’est ce qu’on a essayé de comprendre avec le groupe, posés sur la terrasse de La Rodia à Besançon, avant leur concert, un verre de Pontarlier à la main.

C’est quoi le concept derrière Totorro & Friends x Fabcaro ?

C’est une BD-concert. Le but c’est d’adapter une BD en concert sur un plateau, un peu comme le format du ciné-concert, sauf qu’on essaye de dynamiser le format. On avait déjà fait le gaming-concert autour du jeu vidéo, et là comme la Station-Service qui est le producteur du spectacle est un peu en train de s’ouvrir au milieu littéraire et à la lecture de texte, ils nous ont proposé de faire une BD. Donc après on a choisi la bande dessinée de Fabcaro.

Est-ce que le contexte covid a motivé ce choix en espérant pouvoir mettre en place un spectacle assis plus facilement ?

Non pas forcément. C’est une proposition, vu qu’on avait déjà fait un spectacle avec eux et que ça s’était bien passé, ils nous ont reproposé. Libre à nous d’accepter ou pas. Puis moi je me suis jamais éclaté devant un ciné-concert quoi. Du coup on a voulu dynamiser le format comme ça, en proposant quelque chose de vraiment nouveau avec un côté OVNI. On savait pas trop à quoi ça allait ressembler… En fait, la différence avec un ciné-concert, c’est que le média de base il n’existe pas vraiment. On a pas juste filmé des planches de BD, on a beaucoup travaillé sur l’animation avec des copains qui sont animateurs.

Alors comment ça se passe, on lit la BD en entier, elle est animée à l’écran ? Vous bossez avec des vidéastes ?

Tout à fait ouais, on a bossé avec deux vidéastes. C’est vrai que dès le départ on n’avait pas envie de balancer les planches sur un écran pour que les gens lisent la BD, on voulait mettre un peu de vie là-dedans. Donc on a bossé avec deux amis vidéastes. On avait un peu nos idées sur les « chapitres » -parce qu’on a découpé la BD en chapitres – et on voulait une grosse animation du type clip. Mais au final y’a que deux moments comme ça et pour le reste c’est assez simple, c’est des zooms, des parallaxes, des petits objets qui bougent… C’est assez discret sur les trois-quarts de la BD, mais en tout cas ça vit. Toutes les cases sont projetées, on n’a pas mis les pages entières.

© Fab Mat / Pixscenes

J’imagine que du coup la plus grosse contrainte c’est la rythmique… Qu’est-ce que vous faites en musique pour donner ce rythme et pas perdre le lecteur ?

Pierre : C’est ce qui nous a fait peur justement le rythme global, parce que y’a un show lumière aussi. On tourne avec un lighteux, Quentin, qui fait un super travail sur la créa’. Y’a de la musique et y’a quand même énormément de lecture. Du coup ce qu’on a fait c’est qu’on a adapté un peu le défilement des bulles pour être sûrs que tout le monde lise un peu au même rythme, parce qu’on n’est pas tous les mêmes lecteurs. Au niveau de la concentration aussi, si t’as envie de regarder les zicos jouer… Après y’a toujours le choix, mais le but c’était de frustrer le moins possible le spectateur.

Christophe : On est des lecteurs assez lents avec Johnny donc on était de bonnes références.

D’ailleurs pour la musique, vous avez composé en résidence, au fil de l’eau, ou est-ce qu’il y avait des thèmes déjà préétablis ?

Pierre : En fait, la première phase s’est passée pendant le confinement. On a découpé la BD en plusieurs chapitres, une vingtaine au final, puis on s’est donné des thèmes musicaux sur des esthétiques, des ambiances… Chacun a composé de son côté et on s’envoyait des trucs, et y’a eu un boulot de ping-pong. Johnny composait une ligne de basse, je mettais une batterie dessus et Christophe rajoutait une guitare. On a fait pas mal comme ça une bonne partie de la musique. Après le confinement on a commencé à répéter un peu, à jammer sur des ambiances… On se disait « Tiens là western, paf ! » ou on partait sur une ambiance James Bond, ou rap… En tout cas, on a eu toutes les ambiances très vite.

Jonathan : Ouais et puis comme y’avait des styles qui ne sont pas des styles qu’on fait par prédilection dans la musique indé, des trucs plus classiques, on l’a fait à notre sauce. Puis il y a une histoire derrière… « Et si l’amour c’était d’aimer » y’a ce côté hyper kitsch, presque roman-photo, en mode Hélène et les garçons, donc on en fait des caisses quoi.

Est-ce que justement y’avait un genre de figure imposée hyper cheesy à la AB production ?

Jonathan : Il fallait pouvoir accompagner la blague sans en faire des caisses. Il faut réussir à doser pour pouvoir repartir dans un truc plus sérieux comme on sait faire et des fois ça fait marrer très fort. Par exemple pour une scène style espionnage, on pense au générique de Mission Impossible mais on le refait à une autre sauce.

Pierre : Le gros avantage de la musique à l’image c’est qu’on peut se permettre de faire des trucs qu’on ne ferait jamais dans notre groupe, vu qu’on fait de la musique plutôt sérieuse on va dire. Donc la porte est un peu ouverte à tout… Après c’est vrai qu’il y a eu ce questionnement de suivre les blagues, suivre l’humour… Et ne pas tomber dans un truc où un fait toujours la blague. La blague c’est Fabcaro, nous on l’accompagne. On est déjà revenu en arrière sur des trucs en se disant « Ohlala c’est too much, pas besoin d’en faire des caisses. » Puis c’est une histoire assez triste, c’est une nana qui trompe son mec avec un vendeur de macédoine, donc on s’est aussi fait plaisir sur le côté drama.

© Fab Mat / Pixscenes

Pourquoi Fabcaro du coup ? En terme de rythmique ça aurait pas été mieux avec un Tintin ou un manga ?

Jonathan : Bah moi j’suis nul en BD. Franchement des mangas j’en ai séchés mais là je lis plus beaucoup de BD. Dans notre génération, tout le monde avait pris une bonne claque unanime sur Zaï Zaï Zaï Zaï. Moi j’avais lu d’autres trucs de Fabcaro et c’est vrai que cette BD je la trouvais chouette parce que justement très inspirée historiquement, ça donnait un cadre musical qui nous offrait un boulevard pour s’amuser. Je pense qu’on a tous aimé Fabcaro.

Pierre : Cette BD-là c’est une histoire tout du long, donc c’est plus adaptable musicalement.

À propos de Fabcaro, vous le connaissez ? Vous l’avez rencontré ou vu pour certaines étapes du projet ?

Pierre : On l’a rencontré après avoir déjà pas mal joué le spectacle. Lui était ok sur le principe à la base mais sur la création il n’est pas du tout intervenu. Il ne l’a toujours pas vu et il ne sait pas ce que ça donne mais il a fait confiance tout de suite.

Jonathan : L’histoire assez cool avec Fabcaro c’est qu’il était venu nous voir à Montpellier, il faisait une séance de dédicace qui finissait à 21h et on jouait à 21h donc c’était nickel. Il nous a dit qu’il était trop content de nous voir et tout… Puis après le concert, il vient nous voir et il nous dit « Je me suis fait squatter par un couple qui avait toutes mes BD, j’ai fait que signer pendant une heure donc j’ai tout raté ». (Rires). Mais on a quand même bu des canettes avec lui après et c’est vraiment un gars cool. En fait, c’est exactement le mec auquel tu t’attends.

Est-ce que vous avez mangé de la macédoine pendant ce projet ?

Christophe : On nous a offert notre première conserve de macédoine hier ! On a fait plus de 30 dates, on se demandait justement si on nous en offrirait.

© Fab Mat / Pixscenes

Est-ce que vous êtes les premiers dans le monde à faire ce format-là de BD concert, parce que c’est quand même un peu inédit ?

On nous a parlé des Hyènes, un groupe de Bordeaux, avec le batteur de Noir Dés’. Ils avaient fait un truc avec une BD mais où y’avait quasiment pas de textes. Avec autant de texte, à notre connaissance, on est les seuls oui. C’est vrai qu’il y a cette contrainte de la lecture… Je sais qu’on a des copains de Brest qui font ça sur la BD « Les Algues Vertes ». Ça s’appelle Mnémotechnic, avec François Joncour. Ils voulaient faire une réunion avec nous pour des conseils techniques mais c’est encore un autre délire. C’est toujours des bons challenges mais ce n’est jamais facile à faire.

Vous avez fait du gaming-concert, vous avez fait de la BD-concert, est-ce que vous allez finir par rentrer dans le rang et finir par faire un ciné-concert ?

Christech : Boring !

Jonathan : Je ne pense pas. Comme je te disais, ce n’est pas très passionnant comme format et puis ça a été énormément fait. Mais on essaie d’adapter des formats cools !

Propos recueillis par Frank Le Tank // Photos : Lise Gaudaire