Pionnier de La « French Touch » toujours très actif, Etienne de Crécy était présent pour Lalalib à Dijon fin août. On l’a rencontré au milieu de la nuit, après son set, et causé un peu histoire, technique et techno.

Tu es connu comme étant l’un des pionniers de la « French Touch », mais quand on recherche une définition du mouvement, c’est assez flou. Alors c’est quoi la définition de la French Touch façon Etienne de Crécy ?

Etienne de Crécy : Ma définition, c’est celle de l’histoire géo : c’est un endroit et une époque. Il y a eu effectivement en France, au début des années 90, un certain nombre de producteurs qui ont été très inspirés. Après, dans le son, entre Air, Daft Punk et DJ Gilbert, y’a pas tellement de ressemblances. Pourtant tout rentre sous ce terme-là. C’est un truc qui s’est passé à ce moment-là, c’est de l’histoire géo.

Tu as des inspirations très variées, avec des morceaux qui tiennent un peu de la soul et même du jazz et d’autres avec des collaborations hip hop des années 90, t’es un artiste qui a exploité la succession des genres au fil du temps ?

Etienne de Crécy : J’ai découvert la musique électronique par la techno, dans les années 90, dans les raves. La musique venait beaucoup de Belgique, de Detroit, c’était très mélangé. C’était trance, psy trance, les styles se sont définis un peu après. Mon premier amour pour la musique électronique, c’est la techno. Ensuite, quand on a commencé à travailler avec Muzar, on a travaillé avec des samplers, car on était ingénieurs du son. Lui faisait des albums de hip hop, notamment de MC Solaar. On a commencé à travailler alors que la techno de l’époque était très synthés et boites à rythme, nous on a travaillé avec des samples et donc on a amené dans cette musique une sonorité autre. C’était peut-être plus accessible pour les gens qui n’étaient pas à fond dans la techno. C’étaient un peu les raisons qui ont amené au succès, c’est que c’était de la techno acceptable pour les gens qui n’écoutaient pas de techno. Et pourquoi j’ai un style très différent, c’est que dès que je fais un truc et que je le fais bien, ça m’embête de refaire la même chose, donc j’essaie d’autres sonorités. Ce sont des essais en fait, j’ai l’impression de faire une succession d’essais plus ou moins réussis.

Dans certains de tes albums, notamment Super Discount 2, tu ne travailles qu’en analogique. C’est quoi ton rapport aujourd’hui avec le numérique ?

Le principe de la musique, c’est qu’elle a toujours été faite avec le digital. Alors à l’époque c’était dans des samplers, ce n’était pas dans des ordinateurs. C’était du matériel hardware qui coûtait assez cher. Toute ma musique est basée sur le digital, car moi je ne sais pas jouer de note, de la musique. Ce que je fais, c’est programmé. Mon rapport à la musique passe par ordinateur, quoi qu’il arrive. Ensuite, il y a eu beaucoup de progrès fait. Moi j’ai commencé à une époque où la musique ça rapportait de l’argent, quand tu vendais des disques. Et puis grâce à ça j’ai acheté du matériel analogique assez cher avec lequel je travaille encore. Après c’est pratique de jouer avec ce système car je le connais bien, mais maintenant je sens que je suis limité techniquement par le côté analogique. Parce que les plugs des ordinateurs, le son qui sort de ça est complètement fou…

Je t’ai entendu dire que tu te considérais plus technicien que musicien, quel rapport t’as à ton métier ?

J’aime bien la technique, en faisant de la musique j’ai l’impression de bricoler. Je bricole des trucs avec du matériel sonore : des synthés, des samples de trucs comme ça. Je ne vais pas au studio avec des idées dans la tête. Je n’invente pas, je pense pas un morceau avant de le faire. Je vais au studio, je me confronte avec de la matière sonore, et ça m’inspire et je travaille avec ça.

« Le streaming a fait de la musique un produit de grande consommation là où il était un produit de niche. »

Super discount, ce sont 3 albums, dont le premier résonne sur la société de conso, le deuxième sur Internet et le troisième sur les réseaux sociaux. 18 ans d’écart entre le premier et le troisième album (1997-2015), est-ce qu’il y avait un propos sur la consommation de musique dans ces albums, entre le matériel et le streaming ? 

Au début, sur le premier disque, je me moquais un peu de l’intelligentsia parisienne de la techno. T’avais trois magasins de disques, y’avait un côté snob, élitiste. Je voulais arriver avec un truc provocateur, super discount dans cet univers-là. Je n’imaginais jamais que les maxi pouvaient être en supermarché. C’était une provocation pour un milieu élitiste. Y’avait pas d’énorme attaque. Mais avec le streaming, la musique est beaucoup plus populaire, aujourd’hui tout le monde écoute de la musique. Avant y’avait pas énormément de gens qui en écoutaient. Le streaming a fait de la musique un produit de grande consommation là où il était un produit de niche.

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Tu sors certains de tes titres sous des pseudonymes, et d’autres artistes de l’époque aussi se cache sous des masques. Maintenant que tu sors tes sons sous ton nom, quel rapport as-tu avec la célébrité ?

En fait au début de la techno, le précepte c’était l’anonymat, l’artiste n’était pas important, la musique l’était. Et donc Mad Mike portait un masque, Les Daft Punk avaient des casques. Au début, on n’avait pas d’interview, pas de promos, tu sors ton disque, tu le reçois, et t’écoute la musique. Mais la culture de l’anonymat, je trouve que ça ne marche pas. Un moment, je me suis rendu compte que même moi, en tant que public, j’ai besoin de voir les gens. J’ai fait cette connerie, de prendre pleins de pseudonymes, parce que j’ai passé ma vie à me justifier pour revendiquer mes morceaux. Mais y’avait cette culture-là à l’époque.

Parlons un peu de ton actu, Kepler-186f, ton dernier single, au titre anodin mais c’est l’une des exoplanètes sur lesquelles on envisage la vie autre que sur Terre, alors nouvelle vie aussi pour toi ?

C’est un morceau test que j’ai fait pour essayer du matériel, et j’ai pas fait gaffe, je l’ai enregistré. Puis je me suis dit que j’allais essayer de le jouer, et en fait, il a un effet incroyable dans les clubs. Donc ça ne ressemble pas forcément à la musique que je fais, c’est pour ça que je l’ai mis sur un maxi et pas sur un album. Je me suis dit que c’était con de pas le sortir alors qu’il marche bien. Il est un peu inclassable.

On le rappelle, tu es à Dijon pour les 20 ans de Lalalib, et t’as vécu à Dijon, ça te fait quoi d’y revenir ?

Tu sais quoi, je suis parti à 6 ans de Dijon et je ne suis pas revenu depuis, donc j’ai pas de grand souvenir. Je me rappelle ma maison et mon jardin, mais je ne connais pas trop la ville, mais le public était à fond, c’était super, même pour les autres concerts, La Femme, j’ai vu, ils étaient à fond.

Texte et photos : Paul Dufour