On a rencontré le badboy de la pop anglaise des années 2000 au concert de rentrée à Dijon. Accompagné de son nouveau partner in crime Frederic Lô, lui davantage connu pour ses compositions musicales pour le gratin de la pop française. Une alchimie musicale posée sur acétate, qui porte un nom : « The Fantasy Life Of Poetry And Crime ». Interview avec les concernés autour d’un verre de pif, à quelques minutes d’entrer sur scène.

Vous vous êtes rencontrés grâce à une très belle chanson de Daniel Darc, Inutile et hors d’usage, pour l’enregistrement d’un album posthume et puis finalement vous avez tracé votre route vers cet album. Est-ce que la musique de Daniel Darc est restée une influence dans l’écriture de ce disque ?

Pete Doherty : Oui, je pense que son esprit et sa présence subsistent dans l’atmosphère entre nous. On ne parle pas vraiment de ces choses-là. C’était quelqu’un qui avait une forte personnalité, une présence quasi messianique. Fred te répondra mieux, je ne l’ai jamais rencontré.

Frederic Lô : C’est dur de répondre à cette question. C’était mon ami, donc c’est sûr qu’il y a quelque chose au niveau de mes émotions qui est présent. Mais d’un côté plus pragmatique, Daniel était un poète, un interprète mais il n’était pas musicien. Quand tu parles de la musique de Daniel, c’est très étrange car c’est ma musique ou de la musique que d’autres ont réalisé pour lui. Je ne veux pas prendre le crédit pour sa musique mais ensemble nous étions une entité. Que ce soit avec Daniel ou avec Peter, c’est la même chose car ensemble nous sommes plus que deux. Peter est un véritable musicien. Daniel a toujours travaillé avec un partenaire. C’est pareil avec Sinatra, les gens parlent de sa musique mais ce n’était qu’un interprète. En tant que musicien ou en tant que producteur, j’aime donner la couronne à la personne.

Pete : Daniel est une source d’inspiration, mais nous aimons plein d’autres artistes morts comme Bowie, Johnny Thunder, John Lennon, Paul Weller. Attend, Paul n’est pas mort ! Mais tu vois ce que je veux dire ? Daniel est un symbole de ce que nous aimons dans la musique.

Cela répond en partie à ma prochaine question mais ces connaissances communes que vous aviez et votre histoire partagée, c’est cela qui a créé le lien unique que vous possédez et qui vous a permis d’écrire l’album ensemble ?

Pete Doherty : On travaille facilement ensemble, mais c’est précieux et difficile à trouver : se faire confiance, et devenir ami. J’aime cette personne. Cet album représente les 3 dernières années de ma vie, c’est comme un drapeau. Pas un drapeau blanc pour se rendre mais plus comme un manifeste. Quelque chose dont je suis vraiment fier, et toutefois je n’explique pas exactement comment tout cela a pu arriver. Il n’y avait pourtant rien à l’horizon, tout est arrivé assez vite et très naturellement. Comme les meilleures choses dans la vie.

J’ai écouté et beaucoup apprécié le disque que vous avez sorti à deux The Fantasy Life Of Poetry And Crime ; Il y a un côté orchestral parfois baroque. C’est une direction que vous avez prise intentionnellement ou est-ce quelque chose qui est arrivé avec les arrangements de cordes ?

Pete : Fred avait peut-être une vision baroque de l’album, pour moi c’est une chance d’être impliqué dans ce genre d’expérience. Il y a un côté limite religieux ; du Jacques Brel et comme des mini-opéras qui s’ouvraient à moi. Des images qui apparaissent en rêve et que des musiciens essayent d’attraper. Ce sont des chansons qui pour moi resteront et qui toucheront des gens dans 30, 40 voire même dans 100 ans et qui continueront à émouvoir. Enfin pour moi, c’est le cas.

Frederic : Je voulais vraiment que ça sonne comme ça car j’adore la musique classique et j’adore la pop anglo-saxonne. On est tous les deux fans du Velvet, The Smiths, The Beatles… Ce que j’aime dans ces albums de classic rock, c’est qu’il y avait toujours des gens pour ramener des choses nouvelles mais aussi il y avait quelqu’un pour ramener cette touche de classique…

…Comme George Martin avec les Beatles ?

Frederic Lô : George Martin, John Cale…Quand j’étais plus jeune, je n’étais pas fou de jazz. Puis j’ai découvert Bill Evans, qui était fan de Ravel, Debussy… Ce sont des sources d’inspirations importantes, et que l’on recherche pour continuer à avancer. Ce que j’ai aimé chez Peter, c’est qu’il a un côté pur et qu’il comprend tout cela. Il y a quelque temps on était dans un bus Impérial et je tenais un disque de Chuck Berry et il m’a dit « tu aimes ce genre de musique ? On pourrait essayer de faire ça ! ». Cela sonne comme un cliché d’Hollywood mais c’est comme ça, un cadeau du ciel ! Je viens de fêter mes 58 ans et pourtant j’ai l’impression que j’en ai 14 ans.

Pete tu es un chanteur et un songwriter, et lors d’un documentaire diffusé sur Arte et consacré à l’enregistrement de l’album tu semblais inquiet par le fait que ce ne soit pas forcément toi qui écrive la musique, qu’en est-il aujourd’hui ?

Pete : En fait, c’était un honneur pour moi car Fred est arrivé avec ces mélodies magnifiques. C’était donc un challenge pour moi d’aller voir Fred et d’être à la hauteur de ces mélodies. Je me disais, mon Dieu, combien de chansons a-t-il encore en stock ? Ce qui est important pour moi, c’était d’être sur scène et d’aimer toutes les chansons que l’on présente sans en avoir aucune que l’on a envie de passer.

Frederic ne connaissait aucune des chansons des Libertines. C’était dangereux puisqu’il me demandait : « As-tu des paroles pour cette chanson ? » et puis je lui chantais des paroles des Libertines !

Combien de temps cela vous a pris pour écrire ces douze chansons ? Était-ce un processus compliqué ? Dans ce superbe manoir à Étretat…

Pete : C’est une maison magnifique, oui…

Frederic : C’était comme un rêve, on a travaillé deux mois, deux mois et demi.

Pete : C’était si long que ça ? J’ai l’impression que c’était deux semaines dans mon souvenir…

Frederic : On avait des jours de pause, mais la plupart du temps en deux jours on avait une chanson. On avait 13 chansons, donc en vrai nous avons travaillé 26 jours. C’était rapide.

Est-ce que l’atmosphère d’Étretat et de la Normandie en règle générale fait partie intégrante de l’album ?

Peter : Oui, je pense. Mis à part l’album, il y a quelque chose de puissant avec Étretat qui m’a attiré là-bas.

Frederic : En fait, c’était incroyable puisque Peter habitait d’un côté du village, il y avait la manche et la maison de mon ami qui était de l’autre côté. Si tu tournes un film, tu dirais « ah ouais c’est too much » mais c’est comme cela que ça s’est passé. Un vol de deux minutes si on était des oiseaux. J’ai beaucoup travaillé à Paris ces vingt dernières années, et je voulais me retrouver loin de mon job, de ma famille pour pouvoir me consacrer à l’écriture dans un bel endroit, au calme. Au début, j’avais 4 ou 5 chansons mais cela m’a inspiré et j’ai écrit tout le reste dans la maison en attendant Peter. J’écrivais tout le temps et ça nous a fait du bien à tous les deux. Je n’ai jamais écouté les Libertines ou les Babyshambles et ce n’est pas parce que je m’en foutais, mais on était un peu vierge tous les deux. Peter ne connaissait pas mon travail non plus.

Peter : Il ne connaissait aucune des chansons des Libertines, c’était dangereux puisqu’il me demandait : « As-tu des paroles pour cette chanson ? » et puis je lui chantais des paroles des Libertines ! En tout cas j’ai essayé, mais j’étais trop honnête et je lui disais toujours la vérité à la fin.

Vous vous êtes découverts, maintenant que c’est une affaire qui roule, est-ce le début d’une relation à long terme ?

Peter : On ne parle pas de politique, la conférence de presse est terminée ! Oui je pense, on veut vraiment construire quelque chose ensemble. Fred a une jeune famille, je viens de me marier. On a tous les deux le rêve de pouvoir avoir un endroit à Étretat, d’écrire des chansons et de les jouer en live.

Propos recueilli par : FLT // Photos : Paul Dufour