Faire un film, c’est classe. Le passer au ciné, en festival ou à la télé, c’est très classe. Tout ça en Bourgogne-Franche-Comté, c’est la classe absolue. Mais pour y arriver, faut passer par pas mal de monde. Au festival APARR’té, à Gray, on a rencontré une documentariste et une productrice pour essayer de comprendre comment nos films sont foutus dans notre région, et parce qu’on est gentil, on vous partage ça.

Le festival APARR’té, c’était le rendez-vous des talents cinématographiques made in BFC. Organisé par l’APARR, l’association des professionnels de la région, du 29 septembre au 1er octobre, on a assisté à des conférences sur le travail de réalisateurs de documentaires en région et des tables rondes sur les questions des possibilités de diffusion. On a pas chômé.

À ton crayon !

Première étape : l’écriture. Celle du documentaire est toute particulière, comme nous l’explique Laure-Saint Hillier, réalisatrice et productrice : « Généralement, on va repérer, que ce soit avec ou sans caméra, avec un enregistreur sonore, on va sur le terrain qui nous intéresse et on commence à regarder ce qu’il se passe ». Étant donné que la documentariste filme la réalité, « on ne peut pas forcément savoir ce qui va se passer de notre film », nous précise-t-elle. Alors, tout le boulot, c’est d’avoir un regard sur un sujet et d’en pressentir les enjeux.

Laure Saint-Hillier

Dans son premier film, Essaimons-nous, la réalisatrice suit un collectif de maraîchers qui œuvrent à produire leur propre semence en Bourgogne-Franche-Comté. La réalisatrice avait déjà quelques jalons, avant de tourner : « Y’avait vraiment ces réunions, où ils se demandent comment ils vont prendre les décisions, cette réflexion du groupe sur lui-même, car dans notre société y’a pleins d’endroits collectifs qui sont à redéfinir et que le système de la hiérarchie n’est pas forcément le meilleur, ça m’intéressait. » Logiquement, elle a poussé les portes des jardins, mais encore une fois, rien ne peut être prévu « je peux partir du jour au lendemain, c’est ça le documentaire, par exemple, la pollinisation des fleurs de courges c’est quelque chose de très beau et ça on peut pas savoir la veille ou l’avant-veille si les fleurs seront prêtes. Il faut avoir ce côté improvisé. » Après 4 piges de rencontres avec des fermes locales engagées dans ce projet (déter, faut l’être), elle a réalisé un film dont elle est aussi partie prenante « En fait, moi je vivais dans une ferme d’agriculture biologique qui fait partie de ce réseau-là. Donc les gens que je filmais me connaissait et connaissait la ferme, mais c’est ce qui fait que je trouve mon point de vue intéressant sur ce niveau-là, c’est que j’étais déjà accepté et que la caméra, ils me parlaient, en l’oubliant. »

« Pour un film documentaire petit budget, on est sur 100 000 euros »

Idée et caméra en main, maintenant y’a plus qu’à faire

Dis comme ça, fastoche. Dans la réalité, c’est pas la même : « Pour un film documentaire petit budget, on est sur 100 000 euros ». De quoi bien craquer son PEL. Heureusement, à ce moment interviennent d’autres acteurs de la filière, les producteurs et les distributeurs qui vont chercher et offrir des financements auprès des acteurs locaux, comme nous l’explique Sarah Bockel, qui assure la production des films destinés à France 3 Bourgogne-Franche-Comté : « Le producteur délégué et le directeur de la production font un plan de financement : ils font un devis, voient combien ça coûte, il faut qu’en face il y ait des sous. Et ils vont venir nous voir pour nous inclure dans le plan de financement au côté de la région, du CNC, de l’aide à l’écriture, d’aides ponctuelles si le film rentre dans certaines thématiques. »

Sarah Bockel

Les vaches à lait c’est le CNC, Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, qui finance en majorité les projets en termes de thunes, et puis les aides régionales qui vont mettre à disposition des résidences d’écriture, ou des moyens techniques pour accompagner le ou la réalisatrice dans son film « quand je deviens coproductrice, je vais accompagner par la parole, discuter avec le réalisateur, donner des conseils, on peut modifier certaines choses en disant : ça c’est super, mais il faudrait approfondir tel ou tel point. Et puis on a des moyens de tournage, des moyens de post-production, et après y’a de l’accompagnement au niveau de la visibilité qu’on va donner au film pendant sa projection. On va faire des focus sur Internet, sur les réseaux sociaux, faire des avant-premières. », nous explique Sarah. Mais ces financements viennent souvent avec des contraintes : un film financé par France 3 implique naturellement une diffusion à la télé, dans des cases de programmation précises, « On est la télé, sur un flux linéaire, et donc faut pas qu’il y ait un programme qui soit trop court ou trop long par rapport à ceux qui viennent avant ou après. On est à 52 minutes pour un documentaire à télé. » Ces contraintes, elles influent sur les possibilités de diffusion : t’auras compris, parfois, pour être visible, faut faire quelques compromis.

« Je ne voulais pas rentrer dans une case de 52 min parce mon film dure 1h15. »

La méthode Saint-Hillier

Laure Saint-Hillier est passé par un tout autre processus. Comme les maraîchers de son film qui font leurs propres semences, elle a décidé de faire sa propre production en passant par des associations à buts non lucratifs, histoire que fond et forme soient totalement homogènes. « Je suis allée vers une association à but non lucratif (imperfections are beautiful). Ca m’a permis de n’avoir aucune contrainte et une liberté de création que ce soit au niveau de la durée du tournage ou la durée de mon film. Je ne voulais pas rentrer dans une case de 52 min parce mon film dure 1h15. » Avec 5 000€ de cet organisme ainsi que des financements notamment des réseaux Biocop dans le cadre de l’appel à projets « Biocop s’engage pour le climat », elle a récolté 20 550 euros. La documentariste a fait une croix sur l’aide du CNC, qui ne prend pas en compte la production faite par des associations.

« J’ai un point de vue à défendre, et au regard d’une chaîne, parfois, on a pas toujours ces libertés-là. »

Mais pour un budget de 40 500€, elle a dû aussi s’appuyer sur une autre forme de financement, le crowdfunding : « J’ai osé passer ce cap-là, parce que je sentais que le film avait une portée universelle, et c’est une voie possible mais pas suffisante pour faire un film. J’ai réussi à avoir plus de 22 000 euros, ce qui est énorme. » Le but : s’affranchir des contraintes de production : « Certaines chaînes ont des lignes éditoriales précises, et ça va influencer ta matière artistique : ils peuvent imposer une voix off, imposer un titre, on a déjà demandé un réal de changer son titre ou imposer des ordres de séquence. Ça ne m’a pas empêché de parler avec ma productrice, mon monteur, mais j’ai un point de vue à défendre, et au regard d’une chaîne, parfois, on a pas toujours ces libertés là. »

Et APARR ça ?  

D’autres associations locales sont là pour soutenir des films en région et leur donner entière liberté. C’est le cas de l’association APARR, une association de professionnels du cinéma qui proposent des aides à des réalisateurs et réalisatrices pour mener à bien leurs projets : résidence d’écriture, concours pour des jeunes talents… C’est l’association qui a organisé le festival et un acteur majeur au dynamisme de la filière ciné en BFC, donc des chouettes personnes. Laure Saint-Hillier nous en parle : « l’APARR anime le paysage et ça fait qu’on se sent bien pour faire des films en région. J’aurais jamais pu faire ce film si l’APARR n’avait pas travaillé pour mettre en place un dispositif avec le Conseil Régional d’aide aux films fait par des associations ». La BFC, c’est un territoire cinématographique riche, on a pu voir au festoche les talents de demain, et ça promet.

Texte : Paul Dufour / Photo : Paul Dufour, Yvain Reydy, Maël Bret