BCUC ça pourrait être l’abréviation de « Bordel, C’est Ultra Cool ». Le groupe de six membres originaires de Soweto, en Afrique du Sud, a fait une halte dijonnaise le 28 septembre pour mettre le feu à la scène du Tribu Festival, à la Vapeur. Ils convoquent les sonorités tribales, créent des parenthèses hip-hop et des envolées rock à mesure qu’ils frappent sur leurs deux gros tambours, les congas. Leurs harmonies envoûtantes et de leurs bons cris du cœur sont un appel à se perdre dans cette transe indigène. On a rencontré Jovi, le chanteur, qui nous a clairement amené à l’église. Le type est mystique.

Vous appelez votre style musical l’« Africangungungu », qu’est-ce que ça veut dire ?

Jovi : En fait, quand on nous écoute parler notre langue, beaucoup de gens nous disent « oh, j’aime bien quand tu parles, ça fait « gungungu ». On trouvait que ça sonnait bien, « ohhh… Africangungungu… », on l’a appelé comme ça. Tu sais qu’ils ne te veulent pas du mal, et du coup on s’est dit qu’on allait en faire le nom de notre style.

Est-ce qu’il y avait aussi l’envie d’éviter l’appellation « musique du monde » ?

Jovi : Ouais, on essayait d’éviter de l’appeler « musique du monde ». N’importe quoi sauf « musique du monde ». Mais c’est aussi une interrogation, parce y’a des bons côtés à faire partie de cette masse, c’est plus vendeur.

Jovi a marché sur un Lego

Vous avez créé votre groupe dans un restaurant communautaire. Vos chansons, elles parlent pas de bouffe, donc c’était quoi vos inspis ?

Non, on ne chante pas à propos de bouffe… Pourquoi on le fait pas ? Quand on chante, on prend un problème un peu universel, et on essaie de trouver la solution ou le remède à ce problème. Car la musique nous soigne, et on l’utilise pour soigner tous les gens qui viennent nous voir. Le jour où un burger nous soignera, on fera une chanson dessus !

« On essaie de se libérer de la chaîne qui nous fait marcher au pas, qui nous fait obéir à des ordres. »

Vous avez dit que vous ne respectiez « aucune norme à part celle de vous connecter avec vos ancêtres ». Y’a une inspiration qui vient de votre famille, de votre environnement, de l’histoire de votre nation ?

On est probablement la première génération qui casse la chaîne du mode de vie occidental. Ce mode de vie est imposé à tout, comme avec ce qu’on disait sur la « musique du monde », tout est appelé par un certain nom que chaque visiteur utilise quand il vient. Nous, on s’est dit « non, on va essayer de se reconnecter avec la manière dont nos ancêtres se sentent, font face à des problèmes. » Pour nous, les ancêtres sont notre intuition, notre instinct. On essaie de se libérer de la chaîne qui nous fait marcher au pas, qui nous fait obéir à des ordres. On fait partie des gens qui fuient cette énorme voix qui nous exige d’être tous les mêmes. On fuit cette voix et on dit à la foule « eh, vous pouvez être vous-mêmes, n’écoutez que vous ». Y’a pas de règles. Pas de « bon », pas de « mal ».

Pas de règles dans la manière dont vous faites de la musique ?

Dans la vie, dans tout. On ne sait pas pourquoi on est venus là, on ne sait pas où on va aller, juste on y va, tant qu’on est ensemble. Et quand on est ensemble, rien ne peut nous arrêter. C’est pour ça que c’était même dur pour notre musique de trouver un espace. Parce qu’on avait cette énorme voix qui nous disait « vous avez besoin d’une maison de disque », et on a découvert qu’on avait pas besoin de label, on avait juste besoin d’être bookés, et foutre le feu à tous les shows.

Kgomotso, chanteuse du groupe

Comme tu dis, y’a pas vraiment de règles, et certaines de vos musiques explorent des tonalités plus hip-hop. Votre musique est atemporelle, vous modernisez vos traditions ?

Pour nous, le hip-hop a commencé en Afrique. On a ce truc, pendant les cérémonies d’entrée des rois, des gens qui hurlent « et maintenant, François, de Dijon », c’est une tradition. Chaque nom de famille habite une histoire orale qui a été dite et redite. Mon nom c’est mon peuple, ma lignée. Quand les gens ont migré d’Afrique pour s’étendre partout dans le monde, ils ont raconté leur histoire, avec cette musicalité et cette aventure, et c’est nos inspirations hip-hop. On fusionne les cultures. Dans le groupe, on vient pas des mêmes tribus. Moi je suis swazi, zoulou, les autres viennent d’autres tribus. Des gens nous ont dit « je sais pas, vous mélangez des cultures, je suis pas sûr que ça fonctionne », mais ça fonctionne maintenant. Ça fait qu’on est un groupe uni. On a ce que les autres groupes ont, mais nous, on en est fiers, et on l’intègre dans notre musique.

Vous avez un fort lien avec le public, votre slogan c’est « de la musique pour, par et avec les gens » : vous faites très peu d’enregistrements studios ?

C’est dur de capter l’énergie en studio. On s’en sort de mieux en mieux, mais je pense que là, si on finit notre album en studio et qu’il ne ressemble pas à ce qu’on a rêvé, le prochain album sera enregistré en live.

Y’a un lien dans vos chansons avec un regard politique. Les dessins sur vos albums sont des dessins de manifestations. Vous essayez d’éveiller de nouvelles consciences politiques, comme le nom de votre groupe (Bantu Continua Uhuru Consciousness) se traduit « l’homme marchant vers la liberté de conscience » ?

Ce n’est pas politique. C’est social. Parce que si on rentre dans le politique, on va nous demander de rentrer dans la gauche, ou dans la droite, au centre, alors que pour nous, on parle juste de la vie. Nous sommes noirs, la majorité de notre public est blanche ; ce n’est pas politique, c’est juste des faits. Nous jouons de la musique qui sait transcender. Elle transcende sans compromis, sans pointer du doigt. On sait tous l’histoire de l’Afrique avec l’Europe et l’Amérique. On est pas là pour cette histoire. On est là pour le futur. On est les Bob Marley, les Fela Kuti modernes, qui sont venus, ont réglé des choses même si malheureusement, ils sont morts rapidement, avant de voir tout le travail qu’ils avaient fait. Mais c’est peut-être pour ça que les gens sont déçus de nous : on n’est pas aussi radicaux que ces gens-là : on n’a pas envie de mourir. On veut toujours ce qu’ils voulaient : le respect de tous, mais maintenant la différence c’est qu’on veut pas le respect des blancs car on est arrivés déjà avec leur respect. On ne veut pas la liberté, parce qu’on est arrivés déjà libres. La raison de notre présence, c’est pour pouvoir, moi, d’où je viens, te rencontrer toi, d’où tu viens, et qu’on essaye d’écrire ensemble un futur, qui sera l’histoire de demain.

Texte et photos : Paul Dufour