Helena Hauff, c’est une grande dame de la scène électro. Révélée par le Golden Pudel, cette petite cabane à Hambourg qui est devenue un temple de la musique électronique et un lieu contre-culturel incontournable en Allemagne, Helena Hauff marque certainement l’oreille par une musique brute, expérimentale, aux inspirations industrielles et technos qui laisse place aux essais en tout genre. Munie uniquement de ses vinyles et de ses platines sur la scène de La Vapeur à Dijon, à l’occasion du SIRK Festival, on a causé en loges avec elle de petites salles, de digital et d’implants cérébraux.

Quand es-tu tombée dans la marmite de la musique électronique ?

Certainement enfant. Je me rappelle que ma grand-mère m’avait ramené un CD de « Pump Up The Jam » de Technotronic, j’adorais cette musique. Et puis, à la télé, je voyais la Love Parade ou des trucs comme ça. J’étais attirée vers ces sons très jeune, mais j’étais aussi à fond dans la guitare, et je le suis encore.

« Quand tu allumes une machine, ça produit quelque chose immédiatement »

J’ai l’impression que l’énergie de ta musique est d’aller chercher la matière brute, de chercher l’essence du son. Alors, c’est quoi le processus ?

J’ai des machines, je n’utilise pas d’ordinateurs, je les allume, je commence à jouer un peu au hasard, et je vois ce que ça donne. Et j’enregistre tout le processus, au moins la moitié. Quand je sens que je tiens quelque chose, je démarre l’enregistrement. Après j’ajoute, je supprime des trucs, je joue avec ça et je cherche toujours à savoir ce que la machine me donne, quand elle ou moi fait des erreurs, un bruit de crépitement de la machine, quelque chose qui n’était pas prévu, c’est ce que je recherche.

Ces erreurs font quelque chose d’unique ?

Je pense que les erreurs sont très belles, parce que sinon, la machine peut tout faire. Un ordinateur, une intelligence artificielle peut faire le boulot. L’interaction humaine avec la machine est la chose intéressante je pense, donc les erreurs sont les bienvenues, elles peuvent être agaçantes, il y a des bonnes et des mauvaises erreurs, mais les bonnes, je les aime.

Durant tes sets, tu ne joues que des vinyles, et tu bosses avec des machines comme la TR-808. T’es plus inspirée par ce genre de machines que le digital ?

Ça a sûrement à voir avec mon éducation : j’ai jamais eu d’ordinateur à la maison pendant très longtemps. Le premier ordinateur que j’ai eu, c’était en 2003-2004 peut-être, tu pouvais faire tout ce que tu voulais avec, mais Internet était trop cher et j’avais pas le droit de l’utiliser. Je ne me suis jamais vraiment familiarisée à ce genre de technologies. J’ai essayé de faire de la musique sur ordinateur, mais je sais pas pourquoi, je peux pas me concentrer. Il y a trop d’options, et en même temps tu ne ressens rien au démarrage, quand tu allumes une machine, ça produit quelque chose immédiatement, et tu peux travailler sur ce qui est déjà là. Avec un ordi, tu pars de rien, et pour moi ce n’est pas très inspirant.

J’ai l’impression que le digital a changé le milieu de la musique électronique et sa diffusion.

Beaucoup de jeunes suivent des DJs sur Insta, c’est comme ça qu’ils se mettent dedans. C’est pas forcément une mauvaise chose, ça leur permet de s’intéresser, d’aller dans des clubs, d’un peu plus creuser la chose. Mais maintenant, je sais pas si c’est Internet ou quoi, mais même à petite échelle, j’ai l’impression que tout le monde fait la même chose. C’est dingue. Et le public s’attend aussi à entendre un seul type de chose, ils sont moins ouverts à d’autres choses, ça a définitivement changé. Et dans les soirées, les gens ont leurs téléphones sortis. C’est affreux. Certaines soirées, tu vois juste un mur de téléphones qui brillent, et ça fait que les gens ne dansent pas, car ils doivent filmer et garder leur téléphone immobile. Et tu te dis « mais attends, on est pas vraiment là pour ça, on est censés danser, prendre du bon temps ».

« Je valorise encore beaucoup ça, le fait de jouer dans des plus petits évènements »

Tu as commencé à Hambourg, au Golden Pudel, t’étais inspirée par ces endroits mineurs, contre-culturels ?

J’ai jamais vraiment voulu être connue. C’était pas prévu. Je me disais pas « tu dois faire carrière, suivre ce chemin, j’étais juste dans cette culture, j’y allais de moi-même, j’avais vraiment mes ami.es, j’aimais la musique, les gens, l’éthique, et j’en faisais partie. C’était la culture club, ça semble si loin. Je valorise encore beaucoup ça, le fait de jouer dans des plus petits évènements pour que les gens se retrouvent. Si tous les évènements n’étaient que des énormes trucs très mainstreams, on perdrait quelque chose qui est très important pour la musique électronique.

 Y’a plus de libertés dans les petits clubs ? Tu peux proposer des trucs plus alternatifs ?

D’un point de vue musical, t’as plus de liberté car on n’attend rien de toi. Tu dois pas répondre aux besoins de milliers de personnes, tu joues pour 200-300 personnes. Et tu as le temps de faire, souvent tu joues 3-4 heures. Dans les gros évènements, tu joues une heure, puis un autre DJ etc… c’est un peu la chaîne quoi. Tu peux pas faire ça tout le temps, ça te permet pas de jouer des trucs dingues. Les plus petites scènes sont souvent plus attentives. Parce que l’impératif, c’est pas de faire de l’argent, c’est plus de créer une communauté. Plus l’évènement est gros, plus le facteur argent rentre en jeu et moins l’aspect communautaire, et parfois tu peux pas concilier les deux, ce qui est vraiment dommage.

Tu bosses encore sur des choses nouvelles, de nouvelles collaborations ?

J’essaie. Après, j’ai pas fait quelque chose de nouveau depuis à peu près 6 mois, quand j’ai commencé à beaucoup voyager, j’ai un peu arrêté. Mais j’ai travaillé sur un nouveau projet avec deux autres musiciens d’Hamburg pendant le confinement. On a fait un album, qui croisons les doigts, devrait sortir. J’ai envie de collaborer plus dans le futur, j’aime bien travailler avec d’autres gens, je trouve que travailler en studio c’est un peu solitaire et frustrant.  

Comment tu perçois l’évolution de la musique électronique ?

Je me demande ce que la nouvelle génération va apporter de nouveau pour faire carrière. Est-ce qu’ils vont être comme moi, à dire « j’emmerde les réseaux sociaux » ? Je suis pas sûre que le son va vraiment changer, car à chaque fois que le son a drastiquement changé, c’est venu avec une nouvelle technologie, et on a pas eu ça depuis l’ordinateur, mais qui sait ? Peut-être qu’on inventera un scanneur à ondes cérébrales, avec lequel tu peux penser le son, et la machine le reproduit.

Texte : Paul Dufour, Maïa // Photos : Paul Dufour