Depuis le 16 octobre dernier, Le Frac courtise le malin dans l’exposition la beauté du diable, consacrée à ses différentes représentations dans l’art contemporain. On y a rencontré Nicolas Daubanes, l’artiste responsable du portrait des soeurs Papin, légendes du faits divers : Faites entrer l’accusé.

Le diable ne s’habillera pas en Prada au Frac Franche-Comté (OK elle était easy), mais vous pourrez y croiser pléthores de représentations du malin dans des œuvres contemporaines. Un sujet inédit car même si le diable est largement représenté dans l’œuvre classique, il se fait plus rare dans la sphère contemporaine. Des métamorphoses qui nous permettent de mettre un visage sur le diable (comme pour les portraits de Joseph Mengele, l’ange de la mort nazi) ou encore des représentations contemporaines fantasmagoriques (La représentation picturale du diable par Andres Serrano) et encore animales (requins géants, chiens, etc.).

Autre personnification du démon dans l’imagerie populaire ; un portrait des sœurs Papin réalisé à la limaille de fer. Pour ceux qui ne sont pas adeptes de faits divers digne du magazine Détective, les sœurs Papin étaient servantes au Mans dans les années trente. Après un accrochage avec la maîtresse de maison, elles l’ont tué et lui ont arraché les yeux. Un crime particulièrement violent qui s’est transformé en histoire de lutte des classes et est passé dans l’imaginaire collectif comme un combat du prolétariat contre les bourgeois. Sartre, Chabrol, Lacan ont composé autour de ce fait divers macabre. Tout comme l’auteur du portrait, Nicolas Daubanes qui était présent lors de notre visite et nous a décortiqué son œuvre. Son travail à la limaille de fer a commencé bien avant les sœurs Papin en s’intéressant au milieu carcéral : « La limaille de fer c’est le résidu quand tu cherches à t’évader de prison. C’était le postulat de départ, il y a 10 ans. J’avais envie de dessiner avec autre chose que le crayon. Le crayon m’ennuyait et je ne savais pas ce que j’ajoutais par rapport à d’autres artistes prodigieux qui font du crayon ». Pour ce faire, l’artiste crée l’œuvre in situ ; il colle une plaque d’aimant contre le mur, la découpe au cutter en enlevant des morceaux puis repeint tout en blanc en mettant de la poudre par dessus. Comme un pochoir inversé.

Les sœurs Papin sont arrivées après, par capillarité en étudiant le milieu carcéral : « Comme je m’intéresse à la prison, l’empêchement, je me suis tout simplement intéressé à des gens qui sont allés en prison. Je m’intéresse à des affaires judiciaires, à des faits divers. La question de révolte est centrale pour moi, et les sœurs Papin qui se révoltent contre leur maîtresse de maison et deviennent un symbole absolu de la lutte des classes, et du prolétariat, c’était parfait pour moi ». En continuant son travail de recherche, tel un détective, Nicolas retrouve la trace de Léa Papin : « j’ai commencé à m’intéresser à leurs sorts, ce qu’elles sont devenues, surtout Léa, la plus jeune car Christine a pris tout le poids de la culpabilité et s’est laissé mourir en prison. L’autre est sortie, et à sa sortie de la prison de Nantes, un homme est venu la chercher et lui a proposé un travail : s’occuper de son petit-fils car la mère n’est pas à même de le faire. Elle devient, donc la grand-mère de substitution de l’enfant ». Choisir une ancienne prisonnière comme nounou n’est pas banal mais Nicolas suppute qu’elle a accepté de le faire pour un salaire de misère. Toujours est-il qu’il remonte jusqu’au cimetière où celle-ci est enterrée aujourd’hui et retrouve même son filleul : « Je retrouve sa tombe, elle est enterrée avec sa mère mais avec aucune mention. Quand je me suis rendu compte de cela, la tombe est en fin de concession. J’ai donc écrit un courrier à la mairie pour leur dire de ne pas la déblayer, notamment à cause de l’histoire et de tout ce que ça a suscité : Sartre, Chabrol, Lacan… Cette histoire est un monument culturel français. La réponse de la mairie est cinglante : c’est une criminelle avant tout ». Nicolas obtient une prolongation de la concession jusqu’à juin 2023 mais pour lui le combat continue : « On a rédigé le courrier avec son filleul pour sauvegarder la tombe. Je suis prêt à payer la concession mais en contrepartie je vais faire une gravure dessus. Indirectement parlant, la tombe deviendra une de mes sculptures pérennes ». Un processus artistique complet qui va bien au-delà des expositions : « Ce qui m’intéresse c’est quand l’art arrive à produire une situation qui fait changer quelque chose dans la vie ».

Une collection où se croisent dignitaire nazi, héroïnes de faits divers et cerbères, des histoires passionnantes et des représentations du malin ; voilà ce qui vous attend au Frac Franche-Comté avec en point d’orgue une visite de l’exposition à la lampe torche le 19 novembre prochain, histoire de bien vous mettre les chocottes.

Texte : FLT // Photos : Frac