Vous êtes masculiniste et anti-wokiste ? Bienvenue dans votre plus beau cauchemar. Les drags de BFC sont là pour questionner les constructions du genre, la bienséance et le politiquement correct à coups de blush, de perruques et de performances endiablées. Les collectifs drags de la région se comptent actuellement sur les doigts de la main, mais on en a rencontré deux, et comment vous dire que ça déménage.

QUÉSACO ?

Bah oui, parce que le drag, qu’est-ce que c’est ? Pour le savoir, on a causé autour d’une petite bière avec Pursy de Médicis et avec des membres de la « House of Detritus ». Pursy est l’une des fondatrices de Gang Reine, association de drag de Dijon d’une vingtaine de membres, et la House of Detritus est un groupe de 6 créatures de Besançon. Je suis accueilli par Pursy, la vingtaine, charismatique et solennelle, dans un appartement teinté d’une âme artistique : ambiance vinyle, bouquins et formica. Chez les détritus, on ne peut pas se tromper : à nos discussions se mêlent des effluves de bières et de cigarettes. Ces collectifs, nés il y a moins de 5 ans, ont été fondés par des élèves des Beaux-Arts aux volontés de représentation : « on sentait un manque de représentation dans nos identités queers et nos pratiques artistiques au sein de l’école et à Dijon. », nous dit Pursy. Mais avant tout, il faut savoir que le monde du drag a son propre vocabulaire, donc petite séance pédagogique avant tout. (on promet, c’est mieux que vos cours d’EMC).

Pursy de Médicis

QUEEN, KING, QUEER, MONSTRE, HOUSE…

Le drag est une activité performative qui consiste à se transformer pour incarner des codes de genre ou des concepts selon le type de drag que vous pratiquez : comme nous l’explique Pursy « Le queen (drag queen) c’est l’incarnation de codes esthétiques et de représentation du féminin, et l’exacerbation de ces codes-là, le King c’est l’équivalent pour les mecs, et ce indépendamment de ce que tu es au départ. Peu importe d’où tu viens la seule chose qui importe dans le drag c’est où tu vas, donc des meufs cis (dont le genre est identique que celui attribué à leur naissance) font du drag queen, et inversement pour le king ». Les drag queers ou drag monstres incarnent plus des idées, ou des concepts, comme Pees, de la House of Détritus, dont l’inspiration vient de l’idée du chaos.

Une house, c’est un collectif queer, dont les personnages drags ont des liens de « parenté » : on a les « mothers », qui donne naissance aux « babies ». Pour Pees, « la house c’est aussi la famille choisie, la house of detritus c’est ma famille, c’est ce truc à la fois émotionnel et professionnel ». Chez les détritus, le dénominateur commun, c’est la pauvreté : « dans nos drags, y’a ce truc de crado, de pauvre. On fait du drag avec peu de moyens. Et j’embrasse ça, pour moi c’est un vrai parti pris politique. Mon drag c’est plus un truc où j’explore ma pauvreté que mon genre. C’est aussi une façon de reprendre un peu le discours de gens qui font des queers « les déchets de la société », « ces gens-là ».

« Une drag queen n’incarne pas une meuf. Si les drags incarnaient des meufs, on aurait des problèmes. On incarne une idée stéréotypée de la meuf. »

UN SPORT OLYMPIQUE

Le show drag est une activité très complète, et c’est notamment ce qui a attiré Pees : « je me suis dit que ça rassemblait tout ce que j’aimais : la scène, le maquillage, le costume, le théâtre, incarner un personnage, créer des performances ». En show, on retrouve très souvent des « lip-sync », des playbacks où les drags miment le fait de chanter une chanson. La musique est très importante dans le drag, comme le dit Pees « L’aspect de lip-sync du drag, pour moi c’était l’évidence. Le drag c’est un des seuls endroits où je vois une vraie célébration de la pop dans l’art. J’ai l’impression que dans l’art contemporain, la musique populaire n’est utilisée que pour des performances parodiques, qu’elle n’est pas prise au sérieux. Dans le drag, tu fais ce que tu veux ». De la vidéo, de la performance, du chant live, le show drag se décline selon l’artiste qui performe.

LE DRAG AU-DELÀ DE LA PERRUQUE

La scène drag connaît en ce moment une visibilité grandissante. C’est notamment dès les années 70, dans les ballrooms, lieux emblématiques aux Etats Unis où se réunissaient les personnes queers et racisées, que le drag prend une grande ampleur. Les ballrooms se sont développés à l’Est des Etats-Unis et se sont vite exportés, on en trouve d’ailleurs en France. Comme leur nom l’indique, étaient organisés dans les ballrooms des « bals », où des houses s’affrontaient dans des défilés sur des catégories variées. Le personnage de Clem, Gothel Stratholm, membre de la House of Detritus, est très attaché à cet univers. Elle me dit : « l’époque ballroom a mis en lumière des femmes trans-racisées qui pouvaient enfin être comme elles voulaient être, comme Crystal LaBeija. » Le drag du ballroom est une performance hautement politique qui permet de questionner les codes assignés aux genre féminins et masculins en les exagérant, comme le dit Pursy : « Le truc c’est que quand on fait du drag, on prend le pouvoir sur les codes qu’on incarne et qu’on représente. Dans la vie civile on incarne quelque chose mais on ne décide pas, ce sont de codes liés à un environnement, à un genre lié à la naissance, de lieu où on vit. Faire du drag c’est prendre le pouvoir sur ces codes pour en incarner d’autres ».

L’une des idées du drag est de remettre en cause le genre comme une construction sociale. Mais attention, comme nous le clame Pursy, le drag n’est pas une activité qui vise à imiter la femme : « Une drag queen n’incarne pas une meuf. Si les drags incarnaient des meufs, on aurait des problèmes. On incarne une idée stéréotypée de la meuf. On ne peut pas représenter la femme, c’est un spectre infini, chaque femme incarne la femme à sa façon. Par contre la représentation de la femme tout le monde la connaît. Elle est basée sur des stéréotypes d’oppression, d’injonctions physiques ou comportementales. Il ne faut pas oublier que la vision caricaturale que l’on revendique a un but critique et n’est pas représentative de la réalité ». Le drag, c’est aussi pouvoir incarner des personnages pour bousculer les hiérarchies sociales. Dans les ballrooms s’était instaurée la tradition des « catégories », moments pendant lesquels des « houses » s’affrontaient sur des défilés qui correspondent à un thème. C’était l’occasion, pour une nuit, d’incarner un PDG d’une grande entreprise, et pour les drags racisé.e.s, d’incarner des fonctions qui leur étaient interdites : « ce qui m’intéressait, c’étaient les militaires. À l’époque, les personnes racisées et queer ne pouvaient pas rentrer dans l’armée, et la catégorie militaire leur permettait d’accéder à un rôle qui leur était interdit, le drag leur permettait de l’imiter. Je trouve ça plutôt incroyable l’idée des défilés militaires dans des caves queers. », nous explique Pees.

Pees (à gauche) et Larcin (à droite) de la House of Detrituts

LA DÉMOCRATISATION DU DRAG, À DOUBLE TRANCHANT

La scène drag queen est la plus répandue, elle a notamment été mise en lumière par l’émission américaine « Rupaul’s drag race », une téléréalité où une dizaine de drag queens se disputent une couronne. Son manitou, Rupaul, est peut-être la drag queen la plus connue du monde. Elle a sorti des singles comme « Supermodel of the world » en 1993, et a permis l’expansion de la culture drag à grande échelle des années 90 jusqu’à aujourd’hui. Son show est devenu internationalement connu, il compte aujourd’hui 14 saisons, sans compter les spin-off, dont un français, sorti en juillet dernier sur France 2. C’est vrai qu’on ne peut pas passer à côté quand on parle de drag. Néanmoins, le progrès apporté par l’émission, tel que la mise en visibilité des drag queens, a son revers de médaille. Le drag king et le drag monstre souffre d’un manque de représentation « Avant je me demandais pourquoi seulement les queens sortaient et étaient bookées. », nous dit Pees. Ce show, pour Pursy, c’est un peu une relation de « je t’aime moi non plus » : « je trouve qu’il a donné une grande visibilité au drag mais qu’il a aussi entraîné une uniformisation de ce qu’est le drag, toujours très glamour ou « showgirl ». Dans Gang Reine, on avait la volonté de ne pas s’uniformiser. » Que ce soit dans la House of Detritus ou chez Gang Reine, on retrouve des styles de drag très différents. Pour Pees, la scène bisontine, peu développée, a été une vraie aubaine pour le drag monstre : « Le drag de l’Est est nouveau, et donc on définit les codes. On a cette chance d’être un drag très jeune, et on définit ce que l’on veut en faire, les spectateurs et spectatrices n’ont pas des idées préconçues. À Paris, je pense que certain.es drags passent moins et sont moins diffusé.e.s ».

« Les drags adorent le personnage de la petite bourgeoise. C’est pour la moquer, en faire une satire, mais le fait est que quand tu croises ces personnes dans la rue, tu te dis qu’en fait, elles font du drag. »

DU DRAG PARTOUT, POUR TOUS ET POUR TOUTES.

Et puis finalement, comme nous dit Pursy, tout le monde fait déjà du drag. En incarnant vos propres codes en société, vous aussi vous êtes en drag : « les drags adorent le personnage de la petite bourgeoise. C’est pour la moquer, en faire une satire, mais le fait est que quand tu croises ces personnes dans la rue, tu te dis qu’en fait, elles font du drag ». Pour démarrer le drag, les opportunités en BFC ne manquent pas. Eli a commencé le drag pour explorer le genre, et a pour ça développé deux personnages extrêmement différents. L’une est une instagrameuse superficielle, Albertine Von Dildo et l’autre un gros beauf masculiniste, Kiwees. La scène de Besançon fut une opportunité sans pareille pour expérimenter : « Avec les houses très différentes, y’en a pour tout le monde. Pour toute personne qui veut se mettre au drag, y’a vraiment deux houses à Besac, une glam et l’autre alternative ». Ce qui reste à développer, ce sont les espaces d’expression : « Créer ce groupe a fondé des lieux safes pour exister sans se poser de questions, nous explique Pursy à propos de Gang Reine. A Dijon, il n’y avait plus de lieux pour rassembler les communautés queers. Cet endroit, on l’a créé, aux Tanneries, espace autogéré hyper représentatif du phénomène de communauté. C’est un lieu qui est créé par les personnes qui se l’approprient pour les gens qui se l’approprient ».

Le drag, c’est un lieu de liberté, de communauté, et d’ampoules au pieds aussi (car oui certains talons n’ont pas l’air méga agréables, avouons-le-nous). Le drag est un milieu en pleine expansion, et les drags sont de plus en plus booké.e.s, « J’ai l’impression que ça prend, y’a des évènements qui arrivent » nous fait deviner Pees. Des nouveaux collectifs se forment, et ce n’est que le début. On vous invite à aller voir ou booker des drags, car titiller le patriarcat et l’homophobie à coups de musiques pop et de performances super créatives, c’est quand même un meilleur programme que la Manif pour Tous non ?

Texte : Paul Dufour / Photo : Snorri Van Tieghem, Paul Dufour