De la danse, du cirque, du chant, du rap, Aloïse Sauvage vient de Seine-Et-Marne mais est pourtant un vrai couteau suisse. Claquettes en plastique au pied, sweat sur le dos, on a causé avec elle à l’occasion de la sortie de son nouvel album, Sauvage, et de son concert à La Vapeur à Dijon. Sers-toi ta meilleure boisson chaude et sors ta couverture en pilou-pilou, ici, c’est ambiance cosy.

Je t’ai découvert au cinéma (dans 120 battements par minute), le rêve au début c’était l’écran, la scène ?

La scène. Mais la scène en général, quand je rêvais de la scène, je rêvais de tout ce qu’il y avait sur scène, je rêvais pas du tout d’être chanteuse, je rêvais d’un spectacle complet avec de la danse, du jeu, de la voix, tout ce que j’essaie de fabriquer maintenant.

Même niveau musique, t’as commencé avec une flûte traversière, un saxophone et une batterie, ça s’est fait quand le rapprochement avec le hip-hop ?

J’ai commencé tout en même temps, c’est juste qu’au Conservatoire je faisais des instruments de musique, mais en parallèle, je faisais de la danse, du hip-hop. J’écrivais déjà des petits slams, mais c’était pour moi, j’avais pas envie d’en faire des choses qu’on nommerait chanson, mais j’ai toujours baigné dans des univers parallèles, donc la musique classique du Conservatoire, la culture rap américaine et francophone, j’avais des écoutes, des pratiques assez éclectiques en fait. Ça a fait un gloubi-boulga de passions artistiques qui étaient destinées à être sur scène. 

Tu danses, tu fais du cirque, la question maintenant c’est qu’est-ce que tu ne sais pas faire ?

Y’a plein de choses que je sais pas faire dans ce que je fais. Musicalement, je pense que je suis au début de mon parcours, de mon expérimentation, je suis encore en découverte. Je danse, mais tu vois, les danses de salon par exemple, j’adorerais en faire, j’avais fait un peu de tango à une époque.

Tu as une combattivité forte sur scène, tu l’exprimes notamment en donnant à tes chansons une puissance politique : avec Jimy, avec Omowi et avec Crop Top sur le nouvel album, tu parles d’être queer, d’être une femme en société. Tu penses que l’identité aujourd’hui ne se sépare pas d’un combat politique ?

Elle n’est absolument pas séparable, car mon identité c’est d’être une jeune femme blanche lesbienne, donc tout ça est très politique. En racontant mon intimité, c’est un engagement de ma part et en abordant ces thématiques-là dans mes chansons, je dépasse ma propre intimité pour évoquer des sujets sociétaux. Quand je parle de consentement et de sexisme dans Crop Top, ou même quand je parle de mes relations amoureuses, ce n’est pas un acte politique en le faisant en studio, c’est les gens à la réception qui le mettent de côté en disant « tu es en train de faire ça, et on en a pas forcément l’habitude, et ça devient politique ». Morale, je veux le faire encore plus fort. Je pense que je suis de moins en moins polie avec le temps, dans la musique, je me trouve de plus en plus frontale, directe. Je pense qu’avec Sauvage y’avait ça dans cet album.

« J’adorerais que des couples hétéros fassent l’amour sur mes chansons »

Dans Jimy, tu genres le personnage que tu chantes qu’à partir du deuxième refrain, du coup tu parles aussi d’un amour universel, qui dépasse les frontières du genre, avant de partir sur quelque chose de plus intime ?

Oui, même sur à l’Horizontale, j’utilisais aucun pronom, c’était assez ouvert. Puis avec Dévorantes, y’a eu l’envie de faire un hymne un peu, car tu te rends compte que t’appartiens à une communauté, donc t’as envie de servir ces gens-là, de leur apporter des représentations, c’est un devoir presque pour moi de ne pas me cacher. Après je raconte comme je veux les choses, mais je donne aussi à voir une autre représentation d’une jeune femme dans la société, et c’est primordial. Dans Sauvage avec Joli Danger ou XXL j’utilise « elle » parce que c’est ce que je vis, je parle de femmes, mais j’aimerais que tout le monde s’empare de ces chansons, j’adorerais que des couples hétéros fassent l’amour sur mes chansons, je trouverai ça cool. Je l’ai fait pour tout le monde.

« J’apprends en même temps que je fais »

La question c’est celle de la représentativité, dans le monde du hip-hop, t’avais des modèles, des piliers toi ?

C’est marrant, quand je suis arrivée aux victoires de la musique en 2020, en révélation scène, on était genre 4 lesbiennes, du coup c’était fou. J’ai l’impression qu’on est de plus en plus nombreux et nombreuses sur la scène, en tant qu’artistes queers. Après j’ai pas eu trop d’exemples c’est vrai. A l’époque y’avait quand même Christine and The Queens, il a ouvert la voie, il prenait vachement cher sur sa pansexualité, on lui parlait que de ça d’ailleurs avant sa musique. Pour moi, c’était une forme de représentation au-delà de la sexualité. C’était l’énergie, ça m’a donné à voir des possibilités d’exister sur la scène.

Par problème de légitimité par rapport à une industrie du hip-hop encore genrée ?

Pas vraiment, par contre j’avais du mal à me légitimer en tant que chanteuse, car je chantais pas avant, donc les gens ont découvert un peu ma voix en même temps que moi : sur Sauvage, y’a beaucoup plus de chanson chantée, en aigus, je découvre encore ma voix, j’apprends en même temps que je fais. Donc j’avais plus ce problème de légitimité en tant que chanteuse.  

Sauvage, c’est un album où tu as osé beaucoup de choses, donc à l’écriture c’était la sensation de tout donner ?

C’est un album de la renaissance. J’ai vécu 2 ans de déflagrations, avec beaucoup de cassures. J’ai la sensation de renaître et d’être quelqu’un d’autre, mais vraiment quoi. C’est un album que j’ai façonné en prenant le temps, et ça c’est nouveau, car le premier album et l’EP, j’ai fait ça vite. Là j’ai pris le temps de rendre mes chansons atemporelles, de savoir qu’elles allaient durer dans mon émotionnel. J’avais envie de défendre aussi mon éclectisme, je sais qu’il y a une base avec des références de pop urbaine, additionnée à un amour du rap, mais ce que je construis c’est une pop hybride, entre un ego trip de « Focus », un morceau sensuel de « Joli Danger », un quasi piano-voix de « Aime moi demain » ou un truc très autotuné de « Montagnes Russes ». Donc y’a matière à adorer une chanson et en détester une autre, et j’adore ça.

Tu donnes beaucoup de choses sur scène en termes de chorégraphie.

Dès qu’il a une arène de jeu avec des skills, mon corps adore s’exprimer. C’est vrai que je demande beaucoup de choses à mon corps, mais j’adore ça, j’aime transpirer. C’est le truc de la performance, je dois sentir que mon corps se donne pour être sûre d’être à 100% pour les gens, donner corps et âme, c’est un truc presque mystique. En plus ça m’avait tellement manqué la scène, j’avais tellement de peine à ne pas faire vivre Dévorantes que là je donne tout.

Texte et Photos : Paul Dufour