Englués dans un canapé au milieu de l’effervescence du festival Entrevues à Belfort, on a fait une petite pause avec Maxence Tual, jury au festival et un des membres fondateurs de la légendaire troupe de théâtre Les Chiens de Navarre. Pour le confort des coussins molletonnés ou pour écouter les récits du théâtreux et acteur aux côtés de Blanche Gardin ou encore Laure Calamy, on serait bien restés ici toute la journée.

Tu es Jury au festival Entrevues de Belfort, première fois que tu fais cet exercice-là ?

Ouais. Je savais pas trop ce que j’allais chercher. J’étais un peu tendu, car je suis un peu insomniaque et j’avais peur de m’endormir pendant les films, mais j’ai tenu bon. Mais là en festival, c’est 4 séances par jour, c’est beaucoup. Ce qu’est difficile, c’est de pas comparer forcément les films les uns aux autres, mais de mesurer le geste par rapport à lui-même, de voir quel pari le film veut faire, et s’il y arrive. Après, là je suis honnête, je me dis « est-ce que ça me touche, est-ce que ça me parle, est-ce que je me fais chier ». Mais après, c’est surtout des discussions avec les autres membres du jury, et c’est comme ça qu’on comprend ce qu’on fait là. Et il n’y a aucune universalité du goût, même dans des gens qui ont une culture cinéphilique, c’est impressionnant.

« J’ai montré mon cul à des milliers de personnes en faisant un discours »

Parlons un peu de ton parcours : tu as commencé avec le théâtre, avec Les Chiens de Navarre, qui est quand même bien barrée ?  

Les Chiens de Navarre, c’était une bande de potes, et un rêve de gosse. C’est un groupe de copains qui a envie de faire des spectacles ensemble sans aucune prétention. Juste parce qu’ils aiment se retrouver, faire des spectacles. On jouait 2/3 fois par an pour des copains. Et à côté de ça, tout le monde travaillait, on n’était pas acteurs. C’est vraiment devenu un phénomène, ça tournait beaucoup, on a eu un succès très intéressant, auprès de pleins de publics différents. Je sais pas si c’est barré, mais ce qui est fou c’est que la base du geste, c’était Jean-Christophe Meurisse, mais c’est devenu un geste collectif dans lequel tout le monde se retrouvait et du coup, c’est devenu le geste de personne. Mais le côté barré, c’était le côté où y’avait pas d’enjeux professionnels, on voulait juste faire des choses qui nous plaisaient, qui nous faisaient vivre. Et ça, ça demande une vraie liberté, et c’est la seule qu’on avait, la liberté de pas faire un truc qui doit rentrer dans des cases, qui doit plaire. Dans la troupe, il y avait des goûts pour tellement de choses, le dada, pleins de mouvements artistiques, de cinéastes, de théâtre aussi. On était proches de mouvements d’improvisation, une certaine forme de performance, tout en aimant des trucs très pointus et très populaires. On aimait autant Les Bronzés Font du Ski que Pina Bausch, que des textes de Nietzsche. Tout le monde était aussi très lecteur, lettré. C’était un bouillonnement intellectuel.

Le souvenir le plus dingue avec cette compagnie ?

Les Chiens de Navarre ont été les partenaires du festival d’Aurillac, festival de théâtre de rue, et nous on faisait pas du théâtre de rue. On a fait plusieurs spectacles et l’inauguration sur la place de l’Hôtel de Ville, on a fait un spectacle-performance devant 10 000 personnes. Et moi, ma partie, c’était de faire un discours improvisé au premier étage sous trois fenêtres avec marqué « Liberté, Égalité, Fraternité », et de faire un discours avec mon cul. J’utilisais mes fesses comme des marionnettes, avec un micro, avec des maquilleuses et tout. Et donc j’avais une parodie improvisée du discours du sénateur, et j’ai montré mon cul à des milliers de personnes en faisant un discours très trumpien, et puis j’ai remis mon pantalon, je suis sorti dehors et personne ne savait que c’était moi, c’était drôle. Et le lendemain, mon cul était en une de La Montagne, le journal de la région.

Tu pars après dans le cinéma, j’imagine qu’envisager le rôle de cinéma et de théâtre est un exercice totalement différent ?

Bien sûr, c’est très différent. Mes débuts au cinéma se sont pas forcément très bien passés. Le truc fondateur ça a été Apnée. Ça a été très particulier parce qu’il est complètement improvisé, c’était un exercice plus proche du théâtre, parce que c’était pas découpé, on tournait très longtemps, des longues scènes, à deux caméras, et donc il fallait monter des impros. C’est un cliché, mais au théâtre on joue devant un public spectateur et on est maîtres du jeu pendant 1h30. Au cinéma, c’est morcelé, on tourne un plan et le plan d’après dans la chronologie, on va peut-être le tourner deux semaines après, donc l’acteur n’est pas souverain dans le sens où il porte pas d’un mouvement le récit. Quand j’ai commencé le cinéma, je me suis dit que j’allais utiliser l’équipe de tournage comme spectateur, ce qui est une grosse erreur, parce qu’il faut absolument qu’ils restent concentrés, donc si on est dans cette attente, on peut vite devenir parano, parce qu’en fait on est seuls. Et en plus, faut refaire 10 fois les scènes qu’on pense pas bonnes car il n’y aucune réaction, du coup c’est vraiment autre chose. Mais moi, j’adore vraiment les deux.

« J’ai fait un casting pour un Haneke, je sentais clairement que je l’aurais pas »

T’as aussi fait du petit écran, avec la série Platonique ?

Là ce qu’était génial, c’est que j’étais tous les jours sur le plateau. C’est la maison, c’est une chance incroyable de jouer un premier rôle. J’ai fait des rôles un peu importants, mais aussi beaucoup de petits rôles, où je venais 2/3 jours sur le tournage. Et c’est pas facile de débarquer : on connaît personne, y’a des usages, tu es un peu intimidé, c’est beaucoup plus dur que d’avoir un premier rôle où tu fais un peu partie des meubles, on prend de super habitudes de travail, on crée des super liens, ça devient la maison. Et maintenant, j’ai de la chance, car on compte sur moi aussi pour improviser. Par exemple, dans Tout le Monde Aime Jeanne, y’a un truc un peu improvisé avec Blanche Gardin. J’ai le droit de proposer des choses. Et je pense d’ailleurs que je suis meilleur là-dedans que dans de l’interprétation pure. Parce que l’improvisation, quand on sent ce vers quoi l’écriture tend, c’est une manière géniale de jouer avec rôle, de tourner autour. C’est sûr qu’avec les réalisateurs qui demandent beaucoup de discipline et beaucoup de précision, je pense que j’aurais beaucoup plus de difficultés. J’ai fait un casting pour un Haneke, je sentais clairement que je l’aurais pas.

Tu continues le théâtre avec la troupe l’Avantage de Doute, qui est sans metteur en scène, vous écrivez tous et toutes ensemble, c’est un moyen de faire un peu ce que tu veux ?

Je suis ravi parce que je retrouve plein de choses que j’avais chez les Chiens de Navarre, et d’autres que je trouvais pas. J’ai fait des études de philo et c’est vrai que j’adorais ce geste de jeu pur, d’aller sur scène et de penser dans la pratique, que ce soient les gestes et ce qu’on invente sur le plateau qui pensent et pas une réflexion a priori et une dramaturgie. Mais chez l’Avantage du Doute, on se parle beaucoup, de livres, y’a un travail d’écriture, de formulation, et donc de pensée qui s’articule plus ensemble, et ça crée un dialogue au-delà du travail riche politiquement, sur la vie au travail, on échange, et ça me plaît beaucoup.

Texte et photos : Paul Dufour