Au concert de Mélissa Laveaux, ça parle vaudou, pleine lune en cancer et femmes qui ont révolutionné le game, tout ça sur des rythmes envoûtants, entre le blues et le rock. Une artiste spirituelle, mystique et engagée à fond avec qui on a pu causer à l’occasion de la première date de sa tournée 2023 à l’Arc, au Creusot. Une interview ambiance un peu sorcière comme on les aime.

Tes parents viennent d’Haïti, tu es née au Canada et maintenant tu vis en France, niveau inspirations musicales, on est sur un mélange de tous ces horizons ?

La musique que j’écoute n’a pas de style en particulier, ça va des disques de mes parents à la radio FM que j’écoutais petite avec du Céline Dion et des artistes du TOP 40. Aujourd’hui, j’écoute pas mal de musique indé, parce que c’est aussi le milieu dans lequel je suis, donc j’écoute les compères et commères, ça fait que j’écoute un peu de tout.

Et l’envie d’écrire, elle vient de tes parents ?

Pas du tout. J’ai des parents enseignants, et le reste ce sont des gens de la campagne, avec un grand-père agronome, donc c’étaient des gens qui étaient plus intéressés par leur terrain, par la vie de famille que par la musique. Mon père jouait de la guitare, et m’a offert ma première guitare, mais sans indication, parce que c’était fortement déconseillé pour moi d’écrire et de composer, mais pour moi, c’était juste le fun, et je voulais le faire parce que ça me faisait plaisir.

Tu écris en créole, en français et en anglais, la question se pose à quel moment de la langue dans laquelle tu vas chanter ?

J’écris majoritairement en anglais, un peu en créole haïtien et maintenant de moins en moins en français depuis que je vis en France bizarrement. Le choix se passe au niveau de la composition, la musique et le texte se font ensemble, et ma musique s’adresse à quelqu’un ou des personnes en particulier, donc je m’adresse à ces gens-là dans une certaine langue. Pour le dernier album par exemple, j’ai été inspirée par des auteurs et des autrices afro-américains et américaines, donc mes chansons étaient majoritairement en anglais, même si j’inclus du créole car certaines personnes haïtiennes font partie de ces chansons. C’est aussi une langue dans laquelle j’entends beaucoup plus de poésie, donc il est plus facile pour moi d’imaginer une chanson. Le français est pour moi plus une langue d’usage, une langue plus administrative, donc j’ai plus de mal à écrire en français, surtout après avoir fait mes papiers.

Parlons un peu de ce dernier album, Mama Forgot her Name was Miracle, titre qui s’est inspiré de ta mère ?

Ma mère s’appelle Miracle, chose que je ne savais pas avant mes 8 ans car elle a un autre nom d’usage, je trouvais ça rigolo, de dire que ma mère avait oublié son nom, mais c’est aussi un double sens, car ce qui unit chaque personnage historique de cet album, c’est qu’elles ne se rendaient pas compte qu’elles étaient en train d’opérer un chemin miraculeux, qu’elles ont surmonté des obstacles impossibles. Et quand on regarde 200 ans ou des siècles après, on se rend compte à quel point c’est miraculeux, d’être la première papesse à avoir accouché par exemple.

« J’ai fait exprès de prendre des personnages de l’histoire qui ont existé pour montrer aux gens qui disent que « c’est nouveau » que non, ces histoires sont vieilles »

Oui, car chaque chanson de l’album est dédiée à une femme qui a été historiquement assez miraculeuse : d’Harriet Tubman, qui s’est battu contre l’esclavage à Ching Shih, une femme pirate chinoise du 19ème siècle. Comment t’as croisé la route de ses femmes ?

J’ai croisé leurs routes sur les dernières années : des gens comme Harriet Tubman on en parle beaucoup en Amérique du Nord, car elle s’est battue contre l’esclavage et puis surtout c’est pas très commun d’être une infirmière, de s’échapper de l’esclavage trois fois et d’y retourner pour y sauver mille esclaves. C’était une infirmière, espionne et stratégiste militaire, tout en étant presque analphabète, donc je pense qu’on peut pas dire ça de tout le monde. J’avais entendu son histoire au lycée. Donc certaines personnes sont avec moi depuis des années. Jackie Shane (ndlr à qui est dédiée la chanson « Jackie »), j’ai appris son existence pendant le confinement, parce qu’elle est morte en 2019, après avoir gagné son premier Grammy. Elle a attendu tout ce temps-là pour être reconnue en tant que première chanteuse trans dans les années 50, et puis elle est morte juste après comme si elle avait attendu de gagner pour mourir. C’est juste que ces personnes sont là, moi je suis juste là pour tendre l’oreille.

Mais ces personnages, les mettre dans tes chansons, c’est un moyen de soulever encore des problématiques actuelles qu’elles portaient déjà à l’époque ?

Je me suis dit que continuer à en parler, et encore plus, c’est un moyen de faire bouger les choses et d’arrêter avec les gens qui disent « les jeunes ils apportent des idées qui n’étaient pas là à l’époque », alors que ces personnes ont toujours existé, j’ai fait exprès de prendre des personnages de l’histoire qui ont existé pour montrer aux gens qui disent que « c’est nouveau » que non, ces histoires sont vieilles, ces histoires ont plus de mille ans, il n’y a rien de modernes dans ces textes. Mais ils tiennent la route, car leur contenu reste aujourd’hui moderne.

« [Le vaudou] c’est l’une des seules religions dans laquelle l’homosexualité, la transidentité sont considérées comme sacrées »

C’est un album qui est infusé de combattivité, avec une atmosphère un peu « sorcière », d’où le premier titre de l’album « Half a Wizard, Half A Witch », et je t’ai entendu dire que tu étais assez proche de la culture vaudou dans ta musique ? 

Je suis pas vaudouisante, j’ai grandi dans une famille très catholique, très pieuse. Je suis tombée sur le vaudou par curiosité pendant que je préparais mon deuxième album « Radio Siwel », je cherchais à l’époque du contenu sur l’occupation militaire américaine à Haïti de 1815 à 1834, et j’ai remarqué que la plupart des chansons chantées étaient des chansons vaudouisantes. Ces chansons parlent de joie et de liberté mais le fait est que le vaudou était interdit à l’époque de l’occupation. Les Américains en avaient tellement peur qu’ils ont commencé à faire des films sur les zombies, et ça vient de là. Et personnellement, ma relation avec le vaudou, c’est simplement qu’en tant que personne queer, je trouve que c’est une des seules religions dans laquelle l’homosexualité, la transidentité sont considérées comme sacrées, et que les personnes queer sont des divinités. Dans les croyances spirituelles ancestrales des peuples premiers, souvent, on remarque que les personnes qui voient qu’elles appartiennent à plusieurs genres, ou aucun, sont considérées comme des personnes avec une énorme capacité de communiquer plus librement et plus ouvertement avec les esprits. La vaudou m’a réconcilié avec la culture haïtienne, parce que je me suis rendue compte que c’est parce qu’il y a une religion qui a été importée de l’Europe que mes parents sont homophobes et non à cause de la culture haïtienne.

En revenant sur l’ésotérisme qui traverse tes chansons et ta personne, j’ai vu que tu tirais les cartes tous les jours, ce soir que t’ont dit les cartes pour ton concert à l’Arc au Creusot ?

Ce matin, j’ai tiré beaucoup d’arcanes majeurs, Le Chariot, Le Monde, L’empereur. Ce matin, on m’a dit de recréer le monde. Et en fait, j’ai un de mes tatouages qui est basé sur une autrice de science-fiction que j’adore qui s’appelle Octavia Butler et elle crée une religion dans un livre qui s’appelle Parabole of the Sower, et j’adore parce que c’est l’idée de créer son propre monde. C’est créer son espace de confort, donc quand je tire la carte du Monde, ça me dit juste de créer mon monde, et moi mon monde, c’est la scène.

Texte et photos : Paul Dufour