Scandale sur les côtes bretonnes. Inès Léraud révèle dans sa bande dessinée « Les Algues Vertes » les manigances des industries agroalimentaires pour camoufler la dangerosité des algues qui prolifèrent sur les plages. Des algues qui sont responsables de la mort de 3 personnes et d’une vingtaine d’animaux, due à leur émission d’H2S, substance toxique dans le cas de grande exposition. Le groupe de noise-rock Mnemotechnic et le créateur sonore Poing se sont emparés de l’œuvre pour en faire un concert bien enragé contre les magnats de l’alimentaire. On a pu discuter avec eux avant leur spectacle au Théâtre de La Bouloie à Besançon.

Les Algues Vertes, c’est une affaire qui date maintenant de plus de 30 ans, et qui est pourtant encore bien d’actualité. A première vue, pas d’inquiétude à avoir sur la prolifération d’algues sur les plages bretonnes, peut-être simplement une pollution visuelle notable. Anthony, batteur du groupe Mnemotechnic, originaire de la région bretonne, se rappelle avoir joué dedans petit sans trop se douter de quelque chose : « on appelait ça la salade, fallait passer la salade pour voir le fond de la flotte quand on se baignait. Ça faisait quelques dizaines d’années que c’était là et qu’on se posait pas de questions ». Et pourtant, ces algues sont bien plus dangereuses que ce qu’on croit : on retrouve entre 1989 et 2009 trois personnes décédées au milieu de celles-ci. Pour les médecins, la sonnette d’alarme est tirée, et l’agriculture intensive est rapidement décelée comme responsable de l’accumulation de ces algues toxiques. Face à ce constat, le pouvoir politique crie à la calomnie et au mensonge et affirme que les algues n’ont rien de dangereux. Un discours de déni que Xavier, bassiste du groupe, a entendu et réentendu : « Ils ont bien ficelé leur discours de déni en disant « non, ce ne sont surtout pas les éleveurs de cochons le problème ».

Toutes ces manipulations sont révélées par la Bande dessinée d’Inès Léraud, Les Algues Vertes. Alors que Mnemotechnic travaillait déjà sur l’adaptation d’une BD en concert, le groupe décide de s’emparer de l’œuvre. L’autrice est emballée et participe d’ailleurs activement au spectacle comme le mentionne Arnaud, le chanteur guitariste multicasquette : « elle était encourageante, elle a participé concrètement au spectacle en enregistrant une partie des textes. Il y a plusieurs entrées dans le spectacle : on va lire les textes de la BD, nous on va les chanter, les réciter, et on entend aussi Inès Léraud. » Se crée donc un spectacle visuel et auditif, durant lequel les musiciens projettent certaines planches de la BD et l’accompagnent par des morceaux qu’ils ont composés. Le projet du BD-concert se monte au moment où les musiciens sont coupés de la scène par la pandémie. Pour Xavier, c’est loin d’être anodin : « pour le groupe, c’était un moment où on venait de sortir un 3ème disque, on a été coupés en pleine tournée par le confinement. Et Arnaud nous a dit qu’il ne sentait pas de revenir que dans un truc divertissant où on arrive, on fait les guignols sur scène et on rentre à la maison ; on voulait donner un peu plus d’engagement et de sens au fait d’être musiciens. Après c’est aussi sûrement un symptôme de la crise de la quarantaine. »

               Le groupe s’associe à Poing, alias François Joncour, qui, comme le dit Arnaud, propose d’adapter la BD sans rester trop littéral : « on se demandait comment on allait prendre cette bande dessinée, et François nous a dit « faisons les choses à l’envers, écrivons les morceaux en prenant le thème, l’ambiance de chaque chapitre ». On a posé chaque sujet et après on s’est écartés de la BD pour faire des musiques sur ces thèmes-là. Une fois que les morceaux étaient écrits, on a ramené l’image et on a intégré la BD comme si on faisait des clips de chaque morceau. » L’objectif n’est ici pas de reprendre l’œuvre de A à Z, mais d’en diffuser l’ambiance, et pour le groupe, d’en infuser leur ressenti. François nous dit d’ailleurs que pour ça, les musiciens ne se sont pas basés uniquement sur la BD « son enquête radiophonique qui s’appelle Le Journal Breton, qui est devenu un élément à part entière du spectacle. »

               Mélanger ambiance noise-rock et électro, ça donne quoi ? Une fusion qui retranscrit parfaitement la frustration à la lecture de la BD. Apporter un côté électronique pour Xavier, c’était être plus fidèle à l’ambiance des Algues Vertes : « on a aussi intégré François et de la musique électronique, pour aller chercher autre chose, étendre, aérer, faire des choses plus longues, répétitives, car ça se prête bien au propos. On se serait moins permis ça, juste notre groupe. » Le groupe s’est appuyé sur Poing pour apporter plus de tension, comme le dit Anthony : « Dans les albums de Mnemotechnic, t’as de la tension, mais aussi beaucoup d’énergie. On a un peu atténué cette énergie là pour la transformer en tension, et ça c’était pour nous un gros défi, moins pour François peut-être, parce qu’il vient plus de la pop et de la musique électronique, mais nous on voulait en balancer tout le temps, pour nous c’est plus difficile d’en enlever que d’en rajouter, donc le plus compliqué pour nous c’était d’enlever l’énergie et de la transformer en tension, en truc un peu pesant. » Le pari est réussi, au Théâtre de La Bouloie les spectateurs et spectatrices ressortent convaincus, quoiqu’un peu sidérés par tout ce scandale qui a encore besoin d’être résolu. Le spectacle se produit encore jusqu’en juin 2023, par contre, il faudra passer les frontières de la région.

Texte et photos : Paul Dufour