On l’a connue sur scène arborant son carré plongeant rouge, sa combinaison bleue et blanche et une bonne dose d’adrénaline. Suzane a abandonné les deux premiers, mais continue de se déchaîner avec la sortie de son deuxième album « Caméo ». Un album qui dévoile un peu plus ce qui se cache derrière le pseudo de la chanteuse pop venue d’Avignon. On a pu causer avec elle avant son concert à La Vapeur, à Dijon, le 23 février.

Ton pseudo « Suzane », ça te vient d’où ?

Ça me vient de mon arrière-grand-mère, j’ai toujours aimé ce « z » venu un peu de nulle part. C’est un prénom qui m’a permis de m’émanciper, piquer le nom d’une autre personne ça aide parfois à être soi-même. Ça a été assez naturel pour moi d’utiliser le prénom Suzane en hommage à mon arrière-grand-mère qui m’a beaucoup marquée.

« J’écoute beaucoup de musiques urbaines parce que je trouve que c’est là-dedans que les mots ont de l’importance. »

Chez tes parents, c’était ambiance Jacques Brel, Edith Piaf, Barbara. D’où te viennent tes sonorités plus rap et hip-hop ?

Je me rends compte que mes influences musicales sont larges. J’ai écouté beaucoup de chansons françaises, du Piaf, du Brel, Babarba, des chansons du patrimoine, ça doit s’entendre plus sur mon premier album. Plus tard, j’ai découvert Diam’s, Orelsan, MC Solaar, aujourd’hui j’écoute beaucoup de musiques urbaines parce que je trouve que c’est là-dedans que les mots ont de l’importance. Pour moi, c’est important de pouvoir me balader entre la chanson française et des trucs plus scandés, car je ne me considère pas comme une rappeuse, je suis dans quelque chose de « chanté-parlé ».

Le rap et le hip-hop ce sont des genres qui sont très frontaux, et pour toi qui est assez militante, c’est cohérent.  

Les artistes que j’écoute et qui m’inspirent ont créé des minis révoltes en moi. Ce sont des gens qui décrivent la société et qui ont une vision sur le monde, parfois sombre ou non, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est dans le rap qu’on parle de la vie réelle et du quotidien, et c’est de ça que moi, j’aime parler.

Ton premier album Toï Toï, est très engagé féminisme, écologie… Tu te rappelles ton premier acte de rébellion ?

L’injustice, on la croise assez vite. Rien que quand on est enfant, dans la cour d’école, elle existe déjà. On se rend compte que les humains entre eux sont pas forcément très sympathiques. L’injustice, la crise écologique, l’homophobie, tout ça, j’invente rien, c’est des choses avec lesquelles je grandis, avec lesquelles j’évolue car je vis dans ce monde, et je crois que depuis ma plus tendre enfance, notamment sur le sujet du féminisme, je crois que la première fois qu’on m’a dit « non tu peux pas jouer au foot parce tu es une fille », mon féminisme a commencé.

Ta Victoire de la Musique, gagnée pour ce premier album, elle t’a mise en confiance au moment de faire le deuxième ?

Je suis pas sûr que ce soit de la confiance. Chaque album est assez douloureux, c‘est une partie de nous qu’on donne à vendre chez FNAC, donc c’est un peu dur. Je pense que là où tout prend son sens, c’est sur scène, je sais pourquoi j’écris des chansons quand je vois les gens les chanter avec moi sur scène et qu’il se passe quelque chose et qu’on aborde des sujets qui sont parfois tabous, mais en tout cas l’amour du public, de voir que des gens se retrouvent dans ma musique, ça donne confiance pour se dévoiler dans ce deuxième album, d’enlever quelques couches, et se montrer plus au naturel.

C’était l’énergie de ce deuxième album, se montrer plus intimement ?

Je pense que y’a de l’intime dans les deux, dans Toï Toï ou Caméo, chacun a sa manière, y’a beaucoup de moi mine de rien, mais sur le deuxième y’a une ouverture sur mon quotidien, sur ma famille, mes amis, mes amours. Mais j’ai toujours un regard sur la société avec « Génération Désenchantée » ou « Clit is good », j’ai toujours un engagement. Dans ce deuxième album, et il s’est appelé Caméo pour ça, c’est l’auteur qui rentre dans son film, c’était le moment pour montrer un peu les backstages, ce qui se cache derrière cette combi et ce carré rouge, c’était la manière dont je me suis présentée y’a quelques années, et j’avais aussi envie de montrer que je pouvais avoir plusieurs facettes. Le but, c’est que je reste surprenante même avec moi-même quoi, que ce soit sur le premier, le deuxième, je sais pas combien d’albums, mais j’espère me surprendre dans le choix de mes goûts et de mes facettes, parce que je suis convaincue qu’on est fait de plusieurs facettes et qu’il faut les exprimer.

Tu ouvres ce nouvel album avec la chanson Océane, qui est ton prénom, et une chanson qui est forte, qui parle de ta vie, ton rapport à la célébrité, du fait de monter à Paris, ça s’écrit dans quel état d’esprit cette chanson ?

« Océane », c’était un moment dans ma vie où tout a basculé, j’étais serveuse, j’écrivais des chansons et je rêvais de travailler, mais le moment où ça se passe c’est quand même une joie et une réussite qui sont des chocs émotionnels dans une vie. Je m’attendais pas à ce que ça fonctionne, que les gens m’appellent Suzane, et Suzane m’a permis de me libérer sur pleins de sujets, mais y’a l’autre côté qui me dit attention de ne pas oublier qui je suis, de ne pas avoir la sensation que la personne derrière tout ça est moins bien, et je crois qu’Océane, j’ai dû l’écrire pour me souvenir d’où je viens, qui je suis, quelles sont mes peurs, c’est une manière de me dévoiler un peu plus, de me mettre à nue, et j’espère qu’il y’a pleins de gens qui se reconnaissent dans ce « montre au monde qui tu es, souviens-toi de ne pas t’oublier », parce que souvent, on se façonne selon le regard des autres, et cette chanson c’est un moyen de dire de toujours croire en ses rêves, en son instinct et de ne pas se laisser façonner et se déguiser pour les autres.

Y’a une progression vers quelque chose de plus sincère, de plus honnête, et tu le disais, tu as lâché la combinaison de ta première tournée. Alors avec cette tournée, est-ce que tu déconstruis le personnage de Suzane ?

Je pense pas que le déconstruis, car c’est une facette de moi, je suis arrivée très déterminée avec cette combi et ce carré, dans cette énergie-là, et je pense qu’il en reste de ça, mais en effet, j’ai une volonté de pas m’enfermer quelque part, dans une combi, dans une tenue, dans une coupe de cheveux, dans un style. Je continue de m’écouter et je vois où ça me mène. Je vais me laisser la liberté d’évoluer, de me transformer quand j’en ressens le besoin.

Texte : Paul Dufour // Photo de une : BOBY, Photos : Laura Gilli