Ce mercredi, on a décidé d’abandonner notre flexitarisme pour rentrer dans le gras, sans complexe. On s’est rendus à l’habitat jeune Les Oiseaux à Besançon pour la fête à la saucisse ultime, le Concours Saucisse de Morteau 2023.

15h. À peine le digestif du midi passé, pas le temps pour la sieste, on doit remettre le couvert pour nous rendre au Concours Saucisse de Morteau 2023. Le principe ? 110 consommateurs goûtent un panel de 36 saucisses pour désigner qui gagnera la première place et la médaille d’or tant convoitée. Étant un newbie dans le monde de la dégustation de saucisses, je me mets à la recherche de mon ou ma coach qui me briefera avant de rentrer dans le lard. Je rencontre Christiane, une vraie habituée du concours, qui est arrivée devant les portes tôt pour ne pas faire la queue au moment des mouvements de foules : « ça fait très longtemps que je viens, au moins 7/8 ans. » J’en profite pour lui demander ses petits secrets pour repérer les stars de Morteau. Elle me répond : « il faut qu’elle soit fumée normalement, le boyau bien tendu et l’intérieur pas coupé trop fin, mais pas non plus trop épais. Il ne faut pas non plus qu’elle soit trop salée, y’en a qui mettent des épices qu’on aime pas. Normalement il n’y a pas de cumin dans la Saucisse de Morteau par exemple. » Bon, il va donc falloir qu’on retienne pas mal de choses, c’est plus compliqué que ce que je pensais. André, posé à quelques pas me résume ça beaucoup plus simplement : « il faut qu’elle ait une belle gueule ». On partira là-dessus.


Mais dans tout ça, quid du goût ? Le monde de la saucisse ne serait-il qu’une histoire d’apparence ou de bronzage ? À mon entrée dans le lieu de dégustation, Claire Legrand, directrice d’A2M, l’Association qui représente la saucisse de Morteau et de Montbéliard nous accueille. Claire, c’est la pro des règles du concours, elle nous explique en détail le déroulé de ce qui va nous attendre : « On note pendant deux temps. On va tout d’abord voir la saucisse et la sentir dans sa version crue. Elle doit être ambrée et c’est un produit fumé, donc on doit avoir cette odeur de résineux. Il faut noter son aspect général : est-elle fripée ou non, est-elle bien régulière… Ensuite, vous allez noter le produit cuit. On note l’aspect de la tranche, il faut qu’elle se tienne bien, la couleur de la tranche, la texture en bouche et le goût de fumé. » Finalement, la dégustation de saucisses s’apparente presque à une dégustation de vin.

« On s’assure de ne pas mettre les couples sur la même table pour qu’ils ne s’influencent pas »

De plus, étant maintenant une IGP, Indication d’Origine Protégée, la Saucisse de Morteau doit être réalisée sous des conditions spéciales pour être acceptée : « Le savoir-faire protégé, c’est le fumage au bois de résineux. On a dans notre cahier des charges des éléments sur les conditions d’élevage et on fait le lien avec les spécificités de la Franche-Comté. C’est un terroir de fromages et quand on produit du fromage, il nous reste ce qu’on appelle le petit lait, du lactosérum qui est riche pour les animaux. Historiquement, il alimentait les porcs dans les fermes et on a maintenu cette tradition. L’essentiel de la viande porc est produite en Franche-Comté ou dans les régions limitrophes pour la saucisse de Morteau et de Montbéliard. »


Ayant maintenant les différents critères en tête, vient le temps attendu de la dégustation. Encore une fois ici, les instructions sont strictes. Tu dois te présenter à l’accueil et signer une feuille d’émargement qui t’attribue une table de dégustation, on a un peu l’impression de repasser le bac. Je suis au numéro 2. Sur ma table, 5 personnes sont déjà arrivées et pas de traces de Christiane ou André, zut, on va devoir me trouver de nouveaux mentors. Mais bon, Claire m’a quand même dit que toute influence extérieure lors de la dégustation est interdite et elle y tient. Elle me dit même : « on s’assure de ne pas mettre les couples sur la même table pour qu’ils ne s’influencent pas ». Ça ne rigole carrément pas.

Daniel est un habitué du concours et s’y prépare comme un champion : « moi ce midi, je n’ai mangé que des crudités »

Une table est composée d’une dizaine de personnes, dont un chef de table, expérimenté, qui est censé prendre sous son aile les nouveaux venus. Ma cheffe de table n’étant pas très loquace, et en voyant mon air perdu entre tous les documents, c’est Daniel, un ancien postier jurassien, qui vient à ma rescousse. Je remplis des attestations et suis mis devant une feuille pour noter chaque critère. Daniel est un habitué du concours et s’y prépare comme un champion : « moi ce midi, je n’ai mangé que des crudités ». Je n’ai clairement pas eu la même stratégie, erreur de débutant. Mais chacun et chacune ont d’ailleurs leurs techniques pour rentabiliser leur après-midi : Daniel mangera systématiquement deux rondelles de saucisses cuites, une pour la dégustation, l’autre pour le plaisir, nous dit-il, alors qu’une autre dame à l’autre bout de ma table ramassera tous les restes de saucisses pour les mettre dans un sachet qu’elle donnera à ses poules. Malin.

Trêve de plaisanterie, les voilà enfin. Les fameuses saucisses arrivent dans des sortes de seaux à champagne, comme des vraies stars. Étiquetées par un numéro, impossible de les identifier. Alors tout le monde se met à les sentir, comme des chiens à qui on donne un os, et fait sa notation : « pas assez fumée », « pas mal celle-ci », susurrent mes camarades de table. Après avoir senti et analysé les 6 saucisses, il faut les goûter. J’enchaîne 6 rondelles de saucisses de Morteau, ponctuées par une vingtaine de verres d’eau, histoire que ça passe bien. « Les bourguignons boivent bien dis donc ! » me lance Daniel d’un air amusé, alors qu’une goutte de sueur commence à se former sur mon front. J’observe la tête froncée de ma cheffe de table, qui semble parfois répugnée par certaines saucisses qu’elle voit passer devant elle. Dans l’ensemble, je suis plutôt convaincu, même si, au fil des saucisses, mon palet baigné de gras est peut-être moins affiné. Après 6 rondelles et 27 verres d’eau, nous voilà libérés. Daniel et moi sommes plutôt d’accord : la saucisse 11 sera notre poulain. Mais nous allons devoir prendre notre mal en patience : une deuxième dégustation aura lieu en octobre, pour tester la régularité des produits sur l’année, et c’est au terme de celle-ci que seront annoncés les grands vainqueurs. Nous repartons donc bredouilles, mais avec une saucisse, la médaille d’or de l’année dernière, offerte à chaque membre du jury. Mais ce n’est pas tout, il faut quand même faire un petit pot pour fêter ça. Après 2 heures de dégustation, on fait donc péter les chouquettes, le crémant et les derniers boutons des chemises ou de jeans. D’ailleurs, j’ai entendu beaucoup de compliments sur les choux, de la part d’un jury qui semblait s’être abstenu de manger pendant 2 jours pour être au top pour l’évènement, les pâtisseries n’ayant pas fait long feu. Sur ce, nous laissons Daniel, Claire et toute l’équipe pour aller vers notre prochaine étape, la dégustation de jus de pruneaux. On vous en dira des nouvelles.

Texte et photos : Paul Dufour