Raphaël Thiéry, c’est la star du Morvan. Après avoir excellé dans la musique, puis le théâtre, l’artiste venu d’Anost s’attaque au 7ème art et encore une fois, la sauce prend. On a causé avec l’une des nouvelles gueules du cinéma français, qui sera à l’honneur ce week-end au festival 3 étoiles à Saulieu qui lui est consacré.

Tu as commencé dans la musique et le théâtre et maintenant, le cinéma, t’es touche-à-tout ?

Je suis intermittent depuis 1986. J’ai commencé avec mes frères ainés à faire de la cornemuse en amateur, ensuite, je me suis professionnalisé et j’ai travaillé avec Christophe Raillard avec qui on a créé le groupe Faubourg de Boignard qui nous a fait tourner un peu partout en Europe et aussi dans le monde. Ensuite, j’ai rencontré Alexis Louis-Lucas, ce qui m’a donné une grosse envie de faire du théâtre ensemble et qui a fait naître plusieurs pièces, dont Métallos et Dégraisseurs, qui a bien tourné. Par la suite, j’ai joué dans mon premier film en 2015, Rester Vertical d’Alain Giraudie, film qui m’a emmené jusqu’à Cannes.

L’envie de faire du théâtre et du cinéma, c’était surtout la curiosité, je suis 100% autodidacte. J’ai toujours conçu ça comme du compagnonnage : je me suis entouré de gens qui m’ont transmis des savoirs, leur passion. Le cinéma, c’est venu d’une réflexion qu’on me faisait beaucoup : on me disait « avec la gueule que t’as, tu devrais faire du cinéma ». Un moment où j’ai eu un peu de temps, j’ai passé un casting, et je suis tombé sur Rester Vertical. Et quand après ça tu te retrouves à Cannes, tu te sens presque illégitime d’être là.

Passer du Morvan à l’ambiance bling-bling de Cannes, c’était comment ?

J’avais l’habitude des grands évènements quand je faisais de la musique, mais Cannes, c’était différent. Je ne connaissais pas ce milieu, mais moi le bling-bling ne m’attirait pas du tout. Je pense que je suis un peu un OVNI du cinéma du fait de là où je viens. Quand tu fais du cinéma, ça devient très handicapant de ne pas être parisien. Tout tourne à Paris, quand on a besoin de toi, c’est très impatient, exigeant, tu dois être à la disposition de tout le monde. Ils considèrent la « province » comme un territoire de vacances et de résidences secondaires. Tu dois rabâcher tout le temps que tu n’es pas parisien. Quand je pars sur un tournage, ils m’envoient des billets de Paris vers les lieux de tournage. Des fois, c’est un peu usant.

Ton physique assez unique t’a permis de te différencier. C’est quelque chose sur lequel t’as appris à jouer pour te démarquer ?

Je n’ai surtout pas eu vraiment le choix, dès que tu es référencé sur Internet, tu as un profil, des photos. L’inconvénient de tout ça, c’est qu’on va toujours te repérer pour des rôles de taulard ou de paysan par exemple. Mais je pense qu’on a tous des palettes de jeu différentes, aujourd’hui, on me confie des rôles plus divers, mais au début, c’était vraiment récurrent. Dans des films comme l’Envol de Pietro Marcello, c’est très différent. J’ai tourné aussi un film avec Anaïs Telenne et là, je suis presque dans le romantique.

Depuis tes débuts, tout va assez vite : deux séries sur Canal+, le tapis rouge de Cannes, petit ou grand rôle dans des films à succès avec des acteurs et actrices considéré.es comme stars du cinéma. Toi qui apprends, tu l’as dit, au compagnonnage, quelqu’un t’a particulièrement marqué ?


Sur mon premier tournage, pour Rester Vertical, j’ai tourné avec Damien Bonnard et India Hair qui m’ont déjà mis le pied à l’étrier, m’ont expliqué comme se passait le plateau. Sans eux, j’aurais eu beaucoup de difficultés à comprendre comment s’articulait une journée, comment me comporter. Mais tu observes forcément les gens avec qui tu travailles. Sur mon tournage avec Yolande Moreau, je n’avais aucune scène avec elle, mais je suis allé la voir quand même. Et c’est une actrice magistrale. Avec rien, elle fait tout. Quand on lui demande de faire une mimique pour traduire ce qu’elle est en train de penser, elle fait ça en une prise et ça marche.

Le cinéma et le théâtre, y’a un fossé entre les deux exercices ?

Pour moi, ça n’a rien à voir. Quand tu es au théâtre, on parle de semaines de travail en résidence avec un metteur en scène qui te suit et te dirige, tu n’as pas forcément la liberté que t’offre le cinéma. Au théâtre, tu as 1h30, pas de droit à l’erreur, là où au cinéma, tu peux reprendre, faire des propositions… Par contre, quand tu rentres sur une séquence de cinéma, il faut absolument savoir où tu es dans le film, dans quel état est ton personnage, c’est très différent comme travail. Et pour moi le cinéma est plus facile. Tu n’as pas besoin de projeter comme au théâtre, la caméra est plus proche, c’est un travail du visage, du corps, mais il faut être tout de suite dedans quoi. J’éprouve pour l’instant pas de difficultés à tourner.

Tu seras l’invité l’honneur du festival 3 étoiles à Saulieu ce week-end : on va diffuser tes films, discuter de ton évolution avec toi, mais tu as aussi choisi un film à montrer au public : Un Singe en Hiver d’Henri Verneuil, pourquoi ce film ?

La première fois que j’ai vu ce film, l’admiration a été immédiate. Ce film fait des envolées lyriques incroyables avec ces deux personnages joués par Belmondo et Gabin. C’est adapté de l’œuvre d’Antoine Blandin et c’est très fin. C’est aussi un film qui fait un éloge de l’ivresse que je n’avais jamais vu. Pour moi, ce film est l’une des plus grandes adaptations faites au cinéma. Je vois pas d’équivalent, c’est un de mes chefs-d’œuvre quand on parle de désir.

Texte : Paul Dufour / Photos : Jean-Luc Petit, CG Cinéma