Ce jeudi, le cinéma Eldorado à Dijon accueille le duo dijonnais Surprise Barbue pour un ciné-concert sur les œuvres de Maya Deren. Une cinéaste trop peu connue mais qui a inspiré les plus grands comme David Lynch. On a causé avec Kevin et Benjamin pour savoir comment ils ont mis en musique ce cinéma des plus expérimentaux (la seule réponse étant de venir jeudi, et on t’offre deux places pour y assister !).

C’est la première fois que vous mettez du cinéma en musique ?

Benjamin : à ce point-là, c’est la première fois. On a déjà habillé nos concerts avec de la vidéo, mais le format ciné-concert c’est une première. On a composé des musiques originales sur 3 courts-métrages qui vont s’enchaîner à l’écran (Meshes of The Afternoon, Ritual in Transfigured Time et At land, ndlr).

Kevin : le procédé est exceptionnel, on ne travaille jamais comme ça. C’est assez compliqué, parce qu’il faut voir beaucoup de fois les films, comprendre leur sens, défricher ce qu’on peut en faire, essayer de mettre à part des symboles, des images particulières, ça prend un peu de temps mais c’était assez fluide.

Benjamin : ce qui est très différent, c’est qu’on ne pense pas en termes de concert, la temporalité est déjà établie, c’est la durée des courts-métrages. Donc ça fait peur de se dire qu’on va réinterpréter les images de quelqu’un avec le risque d’être à côté. En même temps, tu peux te reposer sur des visuels qui te donnent des indices et te guident, donc ça facilite aussi la composition. Mais l’exercice était très stimulant.  

Comment avez-vous connu le travail de Maya Deren ?

Benjamin : j’avais vu ses films en cours quand j’étudiais en art, un prof nous en avait parlé. Je trouvais que c’était une cinéaste dont on ne parlait pas énormément. J’avais vu un ciné-concert basé sur un de ses courts-métrages fait par Thurston Moore et Stephen O’Malley, mais c’était plus un concert d’eux en impro avec les images en fond… J’avoue que j’étais un peu déçu.

Kevin : Je ne connaissais pas du tout, j’ai découvert avec Benjamin. C’est vrai qu’au début, c’est assez abstrait, c’est assez bizarre. Il faut revoir les films plusieurs fois pour les décortiquer un peu. Mais avoir travaillé dessus fait que maintenant je comprends les films, parce qu’aller trifouiller dans les détails m’a permis d’analyser la chose et c’est chouette.

« Notre musique est déjà très cinématographique. »

Le processus pour composer des musiques originales sur des films c’était comment ?

Kevin : On a regardé les films et on a fait un premier défrichage. On isole des ambiances : à certains moments, c’est assez dark, à d’autres, c’est différent. Et après, on a fait du Surprise Barbue, on jouait en regardant les images.

Benjamin : Il y a des sons, des textures qui te viennent. Et y’avait l’idée aussi de coller au film dans sa composition : les films de Maya Deren peuvent avoir un montage saccadé et dynamique, ce qui faisait qu’elle était assez pionnière à l’époque. On s’est dit que ça pouvait être super de coller au montage et d’autres fois, au contraire, on a fait des choses plus libres. Après, on a aussi essayé de casser le sens premier et évident des films, parce qu’on allait tomber sur un set très noir, angoissant, et y’a déjà de la musique qui a été faite sur ses films, et ce sont toujours ces genres d’ambiances. On voulait ramener d’autres couleurs et amener autre chose. C’est aussi s’amuser avec le panel de trucs qu’on sait faire : on a proposé quelque chose de parfois un peu noise et des moments plus joyeux à d’autres endroits.

Le pont entre Surprise Barbue et Maya Deren, c’est l’expérimentation, aller chercher des horizons multiples ?

Kevin : notre musique est déjà très cinématographique. Nos sets sont conçus comme des scènes qui s’enchaînent entre elles, qui ont des liens entre elles la plupart du temps.

Benjamin : c’était assez logique qu’on aille dans la direction du ciné-concert. Des gens nous en avaient beaucoup parlé et de fait, c’était évident.

En particulier avec le cinéma de Maya Deren, on observe des thèmes qui reviennent dans votre musique : quelque chose de très onirique, cosmique et lunaire.

Kevin : dans les films de Maya Deren, il y a aussi beaucoup de scènes chorégraphiques, des choses qui paraissent très éthérées et ça nous parlait.

Benjamin : elle utilise aussi pas mal de ralentis, des procédés qui collent avec ce qu’on fait.

Kevin : Ces scènes-là, ça s’est fait très naturellement, le synthé traduisait presque tout. Sur des scènes plus rythmées, c’est là où on a dû vraiment se creuser la tête.

Benjamin : Quand on a commencé à composer, on a fait quelque chose de très littéral et on s’est dit « ça se trouve, c’est nul ». Et après, on a filmé nos premières répétitions pour voir ce que ça donne, et on a hâte de montrer tout ça. Surtout que pour l’instant, on a bossé qu’avec un ordi et on n’a pas eu l’expérience cinéma. Ça va prendre une autre ampleur avec le cinéma et le système son.

Ce projet vous a inspiré de nouvelles envies ?

Benjamin : On aimerait poursuivre ce travail d’une autre manière avec Surprise Barbue avec l’ambition de collaborer avec un artiste vidéaste pour créer main dans la main quelque chose de nouveau, on aimerait beaucoup explorer ça. C’est un moyen de proposer autre chose aux spectateurs, un show multisensoriel, un peu plus entertaining. Au début, notre truc, c’était de jouer par terre, c’était rigolo, mais ce n’est pas une fin en soi, on veut pousser les choses plus loin. On aimerait ajouter un côté graphique à Surprise Barbue.

Le ciné-concert est à l’Eldorado à Dijon ce jeudi 6 avril, et on te fait gagner 2 places si tu commentes cet article !

Texte : Paul Dufour // Photo en une : Paul Dufour / Photo de l’article : D.R.